Demidov

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Cette nuit-là comme toutes les précédentes, je me réveillai en hurlant et trempé de sueur. Depuis notre sortie de l'hyperespace une semaine plus tôt, les cauchemars s'étaient accrochés à moi avec la voracité de sangsues affamées. Chaque nuit, traqué par les mutants, je fuyais à travers les coursives du Shturm et chaque nuit ceux-ci m'acculaient jusque dans ma cabine où ils se jetaient sur moi pour m'immobiliser sous leurs nombres jusqu'à ce que la transformation ait fini par faire de mon corps l'un des leurs. Certaines nuits, les visions étaient accompagnées d'une voix inhumaine psalmodiant dans une langue qui, j'en étais certain, n'avait jamais été parlée par d'autres créatures que celles de la Chasse Sauvage.

Assis dans mon lit les bras enroulés autour de mes jambes, je compris qu'une vie passée à bord de la station Baïkonour ne m'avait en rien préparé à ce que j'avais découvert dans les ténèbres de l'hyperespace. Le monde y était malade et mortifère. Et même le vaisseau finissait par conspirer à la damnation de votre âme. Lorsque la corvette avait émergé dans l'espace normale, plusieurs des matelots du dortoir avaient fondu en larme en remerciant le ciel d'être toujours en vie et toujours eux-mêmes. C'est sans honte que je m'étais joint à eux. Ce n'est qu'une heure plus tard, une fois sur que mes yeux aient été tout à fait secs que je finis par me décider à aller retrouver les autres membres de notre petit commando au mess.

— La ferme ! cria Volochine, un marin de seconde classe dont la couchette se trouvait à l'autre bout de la pièce.

Avec une infinie précaution, afin de ne pas éveiller les autres marins, je me levais du lit et me dirigeait vers le sas menant aux coursives du vaisseau. La semi-obscurité qui régnait dans les couloirs m'apprit que le vaisseau était encore en mode nuit. Par tradition et afin de garantir aux membres d'équipage le respect d'un biorythme salutaire, la vie sur les vaisseaux ainsi que sur les stations était calqué sur l'UTC : le temps universel coordonné. Le rythme de vie y était divisé en quart de 6 heures réparties entre les deux moitiés de l'équipage. Ainsi chaque homme se retrouvait à servir durant un quart de « jour » ainsi qu'un quart de « nuit ».

Mes pas me guidèrent jusqu'à la salle d'observation. Malgré toutes les merveilles technologiques de notre époque, la vie à l'intérieur d'un vaisseau spatial ne différait pas beaucoup de celle à bord d'un sous-marin de l'air préspatial. Des espaces de vie confinés, une promiscuité de tous les instants et de trop rares distractions en dehors des heures de service. Plus le temps passé dans l'espace était long, plus la pression psychologique devenait difficile à gérer. Même pour les membres d'équipage les plus endurcis. C'est pour lutter contre cela, que les grosses têtes avaient créé la salle d'observation. Les hublots représentant une faiblesse structurelle évidente sur un vaisseau voyageant de si longue période dans l'espace profond, il était bien entendu hors de question dans équiper le Shturm. Les tecs avaient donc bricolé un système d'écrans retransmettant en temps réel les images enregistrées par les batteries de senseur dispersées sur l'ensemble de la coque du navire. Une fois allumés et réglés, les moniteurs vous offraient une version plutôt convaincante d'une fenêtre sur l'espace. De plus, la salle disposait de fauteuils de détente, de consoles de jeux et d'un accès illimité à la bibliothèque du navire.

Dans la pièce, une dizaine de personnes tuaient le temps comme ils pouvaient. Mon regard se posa sur le capitaine Sabantsev. Le chef d'attaque des spetznas était assis un verre à la main et semblait plongé dans une partie de dames contre l'ordinateur du vaisseau. Bien sûr, le colonel Lemeline était aux commandes de l'opération. Mais, c'était le capitaine qui serait chargé d'assurer la coordination tactique de l'équipe si jamais nous venions à tomber sur un « os ».

— Je peux ? demandai-je en désignant le siège face à lui.

— Bien sûr, me répondit-il en m'invitant à m'asseoir. Vous aimez les dames ?

Point ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant