7 - Tu as faim, Mærochem ?

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En rentrant chez elle, Sali avait complètement oublié Mærochem dans son placard. Elle avait claqué la porte d'entrée, ignoré le chat posté devant la porte de sa chambre et s'était laissée tomber sur le petit canapé deux places du salon. 

Déjà qu'on ne l'aimait pas beaucoup avant ... alors si l'on pensait qu'elle avait tué ou tenté de tuer quelqu'un, sa vie allait devenir un enfer. Dans quel pétrin s'était-elle fourrée ? 

Elle se rongea les sangs jusqu'à l'arrivée de sa mère. Celle-ci commença par râler après les chaussures que Sali avait laissé traîner dans l'entrée, puis lui demanda ce qu'elle faisait, sottement assise à regarder dans le vide. Sali se demanda si elle devait lui parler de l'incident, mais n'osa pas, de peur que sa mère ne la blâme aussi. 

Elle aurait peut-être dû, car dans la soirée, elles reçurent un appel. La vieille sorcière décrocha et après une série de "mmmh" et de "oui, je comprends", elle raccrocha et tourna un regard dur vers Sali et son carré de cheveux noirs sembla se hérisser. 

« Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? » grinça-t-elle. 

Il n'y avait qu'une histoire qui vaille la peine d'être évoquée, aussi Sali n'eut-elle aucun doute sur la nature de l'appel reçu. 

« C'était un accident », marmonna-t-elle. 

« Tu me regardes quand tu me parles », gronda la mère. 

Sali releva les yeux et remit une mèche de cheveux derrière ses oreilles. 

« Ce n'est pas grand chose, j'ai perdu l'équilibre et ce garçon que je ne connais pas est tombé. »

« Il a été heurté par une voiture, Sali ! Il a le bras dans le plâtre et il passe la nuit en observation à l'hôpital ! » 

Un soulagement aussi immense qu'incongru emplit l'ado. Ouf, un petit radius-cubitus de cassé, on n'en mourait pas. Mais sa mère semblait penser le contraire. 

« Si tout se passe bien, il revient en cours après demain, vous n'êtes pas dans la même classe, mais je m'attends à ce que tu l'aides avec ses cours et tout ce dont il aura besoin, c'est bien clair ? » 

« De quoi il pourrait avoir besoin ? Je ne serais même pas là pour écrire à sa place. »

Excédé le dragon maternel inspira fortement par le nez. « Tu as fini ? Attends que ton père rentre de voyage, tiens ! » Sali se mordilla la lèvre inférieure à cette idée et sa mère la toisa d'un air suffisant en poursuivant : « Tu iras présenter tes excuses à ce pauvre garçon et tu te plieras en quatre pour être serviable, c'est bien compris ? »

Sali retint une grimace et acquiesça d'un "oui, maman", qui sonna insolemment aux oreilles de sa mère, si bien que cette dernière la mit de corvée de vaisselle et de toilettes pour deux semaines. Le problème c'était qu'avec une mère psychorigide et moitié maniaque, c'était tous les jours qu'il fallait laver les toilettes et la vaisselle devait être impeccable au sortir de l'évier et soigneusement rangée.  



Après un repas passé à regarder sa mère en chien de faïence, et une fois la corvée de vaisselle accomplie, Sali put enfin rejoindre le confort ténébreux de sa chambre. Ce fut seulement là, bien au calme, qu'elle se souvint du minuscule démon qu'abritait son armoire. 

Bien que ce soit un peu risqué, Sali entrebâilla la porte de l'armoire. Elle avait un peu peur que la créature, affamée, lui saute dessus ou se mette à piailler, mais non. Mærochem attendait tranquillement, lové à la même place que le matin. 

Sali roucoula doucement et frotta ses doigts devant lui pour l'inciter à sortir. Le petit démon-singe s'étira paresseusement et approcha. 

« Tu as faim, Mærochem ? » chuchota Sali. 

Bien sûr il ne répondit pas avec des mots, mais l'ado prit pour un oui le drôle de bruit de gorge qu'il produisit. 

« Il va falloir attendre que sonne minuit. J'irai chercher quelque chose dans le frigo. » 

La créature renifla l'air et Sali se demanda si elle l'avait vraiment comprise. 


Quand la jeune fille fut certaine que sa mère était bel et bien couchée et endormie, elle se faufila hors de sa chambre et marcha jusqu'au frigo de leur minuscule cuisine. Tant bien que mal elle réussi, en silence, à verser du lait dans un bol, prendre un bout de pain, un morceau de viande et quelques légumes. Les bras encombrés, elle revenait à sa chambre quand elle surprit la queue du chat qui disparaissait dans l'entrebâillement. 

Dans un drôle de chuchotement elle s'écria : « Missouri, non ! » et sans réfléchir elle se précipita sur sa porte, tant et si bien que le lait se renversa partout et l'une des carottes lui échappa des mains. 

Quand elle déboula dans sa chambre, Sali réalisa avec horreur que le chat coursait son pauvre bébé démon. Ils finirent par renverser sa lampe de chevet dont le pied en céramique éclata à grand bruite disparurent un moment sous le lit. Sali plongea à plat ventre, en vain. Elle finit par plaquer le chat au sol quand il ressortit de sous le sommier, au moment même où sa mère débarquait en furie dans sa chambre. Heureusement, la créature rouge n'était plus visible nulle part. 

« Qu'est-ce que c'est que ce cirque ? Tu n'arrêtes donc jamais tes conneries ? » La vieille avisa la lampe de chevet. « Très bien, ce sera déduit de ton argent de poche. » Puis elle repéra la nourriture et plissa des yeux. « Tu vas grossir ma pauvre fille, si tu manges à une heure pareille. Nettoie-moi ça. Et pas de grignotage, je le saurai ! »

Avec l'assurance de ceux qui savent qu'ils seront obéis, elle retourna se coucher, en grommelant après cette gosse tarée. Et Sali décida qu'elle s'en tirait à bon compte pour cette fois. Ce qui la peina plus, en revanche, ce fut de ne pas revoir le démon de toute la nuit.  En fait, au petit matin, il n'avait toujours pas ressurgi. Elle eut beau chercher, elle ne trouva nulle trace de lui. Elle se demanda alors si le chat ne l'avait pas tué et ce qu'il pouvait bien arriver au corps d'un démon quand il mourait. Est-ce qu'il disparaissait ? 

Il faudrait qu'elle demande à Adama. 

Sang perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant