20 - la 247e enclave

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(26 juillet 2020) 



La tête dans le cirage, Sali ouvrit les yeux sans grande conviction. Les souvenirs de la nuit dernière affluaient avec une clarté douloureuse, tant physiquement que mentalement. Si elle revoyait Adama, elle aurait deux ou trois mots à lui dire. La prévenir de son enlèvement ... quelques heures avant seulement. C'était du joli. 

Affalée sur une méridienne au revêtement de velours, Sali resta immobile dans un premier temps. Elle était seule, a priori. Nulle trace de ses kidnappeurs à ses côtés. A demi soulagée, elle nota qu'elle était toujours vêtue de ses chaussettes montantes et du t-shirt xxl qui lui servait de pyjamas. Par chance, c'était également l'une de ces nuits où elle avait décidé d'enfiler un mini-short. Au moins, elle ne risquait pas de mourir les fesses à l'air. Maigre consolation ceci-dit.

Il faisait froid et, allongée sur cet espèce de canapé bourgeois, elle se sentait un peu trop exposée. Elle roula doucement de côté dans l'espoir de se laisser tomber silencieusement à terre. Au lieu de quoi, elle chuta comme une masse et se mangea le parquet dans le menton. Paniquée, elle rampa tant bien que mal sous le divan en ravalant un juron.

Là, c'était mieux.

Le nez collé dans la couche de poussière crasse qui tapissait le sol, elle réprima une vilaine envie d'éternuer. Aux picotements pénibles qui remontèrent depuis ses jambes, Sali comprit que le tranquillisant utilisé lors de son enlèvement produisait toujours ses effets. Elle préféra donc rester tapie à terre, sur ce qui avait dû être autrefois un splendide parquet, le temps de mieux étudier les alentours. 

Ses yeux s'étaient rapidement habitués à la pénombre, si bien qu'elle y voyait à présent suffisamment pour identifier le mobilier. Avec du recul, cette vision nocturne particulièrement développée avait peut-être à voir avec cette histoire de sang de démon. 

L'endroit dans lequel on l'avait laissée avait dû, en d'autres temps, respirer la magnificence. C'était indéniable. Mais désormais déchu de sa gloire, il sentait le rance et le moisi des lieux désertés.

Non loin de la méridienne qui lui servait d'abri, la jeune fille discerna les contours d'un lit, surmonté d'un baldaquin ostentatoire. L'un des pieds du sommier s'était rompu et la structure semblait sur le point de devoir s'effondrer. Il aurait pu s'agir de l'ouvrage du temps ou de l'usure, mais au fil de son examen de la pièce, Sali compris que la pièce avait été consciencieusement saccagée.

A l'exception des fenêtres aux vitraux intacts, tout était renversé, esquinté, brisé ; des commodes aux chaises, en passant par les lambeaux de tentures qui ruisselaient tristement sur les murs.

Décidant qu'elle était résolument seule, elle décida à sortir la tête de sa cachette. Puis, comme rien ne se passait, elle s'enhardit à sortir toute entière, l'oreille alerte et l'oeil vif. Doucement, lentement, comme une vieille chèvre arthritique, elle se déplia et se redressa.

Remise sur pieds, elle jeta un regard circulaire aux lieux et repéra la double porte surdimensionnée qui avait autrefois été le point d'entrée de ces appartements de luxe. Désormais éventrée par une poutre laissée en travers du passage, elle offrait un spectacle sinistre avec ses battants de bois brisés, aux bords dangereusement hérissés. Elle ressemblait à une bouche pleine de dents acérées qui s'ouvrait sur un océan de noirceur.

Un frisson lui parcourut l'échine. Aussi tourna-t-elle son attention vers les trois fenêtres de la pièce. Avisant un fauteuil encore debout près de l'une d'elle, Sali boitilla dans sa direction avec la démarche élégante d'un sodomite nouvellement converti.

Sang perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant