(18 septembre 2020)
Les bras croisés, une épaule appuyée sur le chambranle, un parangon de vampire les toisait. Grand, svelte, il portait une peau plus pâle que la mort et des traits résolument masculins, qu'encadrait une longue rivière de cheveux noirs et soyeux.
« Un problème de gibier ? » demanda-t-il d'une voix grave.
Moedr s'inclina à contrecoeur. « Ceneph, que faites-vous si loin de vos appartements ? Cette aile abandonnée ne convient pas à un hôte de votre rang. Le temps a rendu les lieux fragiles ; il est imprudent de s'y aventurer seul. »
Ce qui expliquait pourquoi Jordan l'y avait laissée, ironisa Sali.
D'un doigt, ledit Ceneph gratta distraitement le bois vermoulu du chambranle. Le reproche et l'hypocrisie du vieux vampire ne lui avaient nullement échappé.
« Je suis seul juge de ce qui sied ou non à mon rang, Moedr Menrihl. » Il poursuivit sur un ton de défi : « Et ces lieux me conviennent parfaitement. Il reste dans l'air (il leva la tête et huma en silence) comme une odeur de tragédie. Fort agréable, ma foi, ne trouvez-vous pas ? Plus d'une décennie doit bien s'être écoulée, et pourtant l'odeur du sang Jikahl s'attarde encore sur ces murs. » Il planta ses yeux noirs dans ceux de Moedr et se fendit d'un sourire torve. « Fascinant ... Pensez-vous qu'il faille y voir un présage ? »
Azrach eut un raclement de gorge méprisant, mais le vieux Moedr préféra ne pas répondre. Quand à Sali, il lui restait assez de bon sens pour comprendre qu'aucun de ces trois-là ne l'aiderait et qu'il valait mieux qu'elle fasse profil bas.
« Enfin. » Ceneph se redressa et prit une expression proche de l'ennui. « Pour répondre à votre première question, j'avais un creux. J'ai quitté mes appartements en quête d'un repas qui tienne au corps ... je dois avouer qu'il m'est aussi désagréable qu'incompréhensible, de découvrir qu'aucun met digne de ce nom ne nous attendait dans nos appartements. »
A ces mots, ses yeux se fixèrent sur Sali ; noirs et brillants, ils rampèrent le long de ses jambes presque nues et remontèrent lentement. Partout où ils passaient, la jeune fille eut l'impression d'être souillée, et lorsqu'ils atteignirent son visage, elle préférai détourner le yeux plutôt que de soutenir ce regard.
La prise d'Azrach s'était resserrée autour d'elle. Les narines frémissantes, le jeune vampire gazouilla d'un ton forcé : « La nourriture qu'on vous a servie n'était-elle pas à votre goût ? »
En un clin d'oeil, l'expression de Ceneph changea du tout au tout. Il avança d'un pas menaçant et la pièce sembla s'étrécir, s'assombrir même. « Essayez-vous de m'insulter, Menrihl ? Pensez-vous que vos pommes et vos cuisseaux puissent étancher ma soif ? Trouvez-vous qu'une nourriture aussi triviale suffise à effacer la langueur d'un voyage aussi long que le nôtre ? » Il prit sur lui pour retrouver son calme et poussa un soupir exaspéré. « Vliislav m'avait prévenu. Un clan balbutiant à la tête d'une Enclave est incapable de subvenir à ses besoins, et plus encore à celui de ses hôtes. » Il passa une main dans ses longs cheveux noirs, les repoussant en arrière. « Pour le respect du décorum, celle-ci fera l'affaire. (Il désigna Sali d'un geste agacé puis ordonna : ) Conduisez-là dans mes quartiers. »
Il se détourna, comme si l'affaire était close, mais Azrach n'en démordit pas si facilement. Ses doigts s'enfoncèrent si férocement dans la taille de Sali que celle-ci gémit. Elle n'aurait su dire si c'était elle qui tremblait d'effroi et de fatigue, ou si c'était le vampire contre son flanc qui tremblait de rage tandis qu'il répondait : « Celle-là n'a cessé de saigner sur le plancher. Elle est en déjà fort mauvais état. Nos chenils regorgent de proies, pourquoi ne pas ... »
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Sang perdu
VampirEnfant unique dans une famille modeste, fille d'une mère psychorigide et d'un VRP qui ne compte pas ses heures, il n'y a pas grand chose à envier à Sali ...surtout pas son goût immodéré pour le surnaturel et encore moins la créature qui vit au fond...