19 - Enfin

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(26 juillet 2020 ) 

Incapable de maitriser ses tremblements, Sali dut s'y prendre à deux fois pour ouvrir la porte du local puis celle du parking et enfin celle de l'appartement. L'impression d'être poursuivie par des forces maléfiques lui crispait le dos, des reins jusqu'aux omoplates. En refermant derrière elle, elle se rendit compte qu'elle avait laissé ses sacs par terre, dans le local à poubelle. Tant pis. Elle n'était pas prête d'y remettre les pieds.

Sa mère était toujours dans sa chambre et n'en ressortirait pas avant le lendemain. Adama ne croyait sans doute pas si bien dire, lorsqu'il affirmait que personne ne se soucierait d'elle si elle disparaissait.

De sa démarche chancelante, elle gagna la salle de bain. La douleur aurait sûrement été semblable si sa bouche avait été remplie de braises. Malheureusement, elle n'avait pas de charbons ardents à recracher. Les larmes roulaient sur ses joues. Jamais dans sa courte vie elle n'avait eu si mal. Ce grand malade d'Adama lui avait sans doute déchiqueté la langue.

Une morsure pouvait-elle faire mal à ce point ?

Face à la glace, elle dut s'aider de ses deux mains pour ouvrir ses mâchoires crispées. Lentement, précautionneusement, elle tirai sa langue traumatisée, prêtant une attention particulière à ce qu'elle ne frôle pas ses dents par inadvertance.

Un peu de sang goutta dans le lavabo, bien loin du flot qu'elle avait craint.

Fallait-il désinfecter ? Cette pensée lui arracha un gémissement. Bien sûr qu'il aurait fallut désinfecter. Adama mangeait des cadavre, bon sang !

Comment soignait-on une langue d'abord ? Pour le coup, elle regrettait presque d'avoir passé tant de temps à étudier le satanisme, et non la médecine. Elle avait bien vu ce reportage sur les langues fendues quelques mois plus tôt, mais c'était l'esthétisme et non l'aspect sanitaire qui l'avait le plus préoccupée.

Elle approcha du miroir, il fallait au moins qu'elle rince pour y voir clair. Rassemblant le peu de courage qui lui restait, elle ouvrit le robinet et contre toute attente le brasier qui la tenaillait se trouva soulagé par l'eau fraîche. Après un moment, Sali releva la tête et tira de nouveau la langue à son reflet. Où donc étaient les marques des dents qui l'avaient transpercée comme des dizaines de petites aiguilles ? Au lieu de perforations, sa langue était marquée, comme tatouée à l'encre noire.

Elle mit un instant à reconnaitre l'allure générale du motif : deux demi cercles concentriques, des arcs imbriqués l'un dans l'autre abritant des symboles complexes. Le dessin aurait pu sortir d'un de ses livres pour sorcière du dimanche.

Voilà qui pouvait expliquait les derniers mots d'Adama. Il l'avait marquée d'un demi-pentacle.

Sali recula contre le mur, la douleur s'estompait de minute en minute. A ce rythme, demain, elle ne sentirait peut-être plus rien. Mais le symbole gravé dans sa chair l'empêcherait de croire à un simple cauchemar. Déboussolée, ne sachant plus quelle attitude adopter elle passa sa tenue pour la nuit, puis, fuyant son reflet ainsi que le carrelage glacé de la salle de bain, elle se réfugia dans le salon.

Elle resta un long moment dans le noir, assise sur le vieux canapé. Le regard dans le vague, elle ressassait les paroles du démon. Il avait parlé d'évolution, de vampires ... Elle adorait regarder des films d'horreur, mais si les voir était une chose, les vivre c'était une autre histoire ...

Peut-être que c'était le karma ... est-ce qu'elle passait à la caisse pour des années de curiosité morbide et de hobby satanique ?

Bah, ça ne servait à rien de ruminer, elle aurait tout le weekend pour y songer Elle finit donc par se lever et rejoignit sa chambre à pas de loup. Elle vérifia que Mærochem se trouvait bien dans l'armoire. Le démon s'étira en la voyant, ses grands yeux luisant dans le noir. Et lorsque Sali se coucha, il la rejoignit. Blottie contre l'étrange créature la jeune fille attendit le sommeil, sursautant malgré elle au moindre bruit.

Peu à peu, sa langue cessa tout à fait de la faire souffrir ; ne subsistait qu'un léger fourmillement, à peine désagréable.

En revanche plus d'une heure passa sans qu'elle parvienne à s'endormir. Couchée sur le dos, les yeux grands ouverts dans le noir, elle eut tout loisir de sentir l'intrusion dans la chambre. D'abord un léger courant d'air sur son visage qui indiquait que la porte avait été entrouverte. Peut-être sa mère, qui jetait un œil sur elle. Ç'aurait bien été la première fois. Puis, un changement de luminosité subtil, suivi d'un bruissement de vêtements quasi inaudible. Quelqu'un venait d'entrer. Un pressentiment terrible lui noua les entrailles. Ce n'était pas sa mère.

Figée sur son matelas, Sali n'osait plus respirer et encore moins bouger. Mærochem n'était plus à ses côtés. Peut-être était-ce lui qui ...

Immersion ... rabattage ... redoutables prédateurs, les Vampires...

Ils viendront pour toi, sois en sûre.

Des pas feutrés sur le sol, une ombre au-dessus du lit. Un chuchotis lugubre dans les ténèbres.

« Enfin. »

Le visage était noyé dans l'obscurité, mais la voix réveillait un écho lointain. Ce fameux vendredi soir chez Parc, la fille bizarre à la peau trop pâle, aux cheveux trop noirs ... Tiraa.

Sali aurait voulu bouger, parler, crier, mais en dehors de ses yeux, son corps ne répondait plus. Elle respirait à un rythme tranquille, et son cœur continuait de battre avec une lenteur anormale. Ses muscles étaient parfaitement décontractés alors que dans sa tête toutes ses pensées étaient court-circuitées par la peur.

L'avait-on droguée ?

Etait-ce la faute d'Adama ?

Une seconde silhouette apparut dans son champ de vision. Impuissante, Sali la regarda approcher, des mains tirèrent la couverture et son corps frissonna au contact de l'air frais. Des doigts coururent sur son corps, un vague picotement surgit dans mon poignet. Elle crut sentir un liquide couler de son bras. Du sang ? Mais les sensations lui échappaient.

Un son humide, comme un bruit de déglutition. Elle avait mal, mais à peine. Elle ne sentait plus sa main. On la redressa et son corps bascula en travers d'épaules moyennement larges. Alors qu'on la portait hors de son lit, puis hors de l'appartement, ils passèrent devant la chambre conjugale. La porte était grande ouverte. Qu'avait-on fait à sa mère ?

Le sang afflua dans la tête de Sali alors que les larmes restaient coincées dans ses yeux. S'ils n'avaient pas fait de bruit, elle devait toujours dormir. Ils n'avaient aucune raison de lui faire du mal n'est-ce pas ?

Le couloir, les escaliers, ils connaissaient l'endroit ... ou voyaient dans le noir comme en plein jour, car ils n'hésitèrent pas un instant, ne trébuchèrent pas une seule fois.

Sali ne pouvait pas en être sûre, mais dans un coin de son esprit, il y avait cette question obsédante : si Tiraa était bien là, Jordan Parc était-il le second kidnappeur ?

Elle s'efforça de trouver cette pensée rassurante. Parc était un imbécile heureux, il ne lui ferait pas de mal.

N'est-ce pas ? 

Sang perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant