Les mers d'un autre monde

*Trahison*

Le temps d'un dernier regard par-dessus son épaule et Iloé entra dans la pièce. Plongée dans la pénombre, elle ne distinguait rien. Mais elle n'eut pas à chercher bien longtemps, quelque chose de pointu appuyait sur sa gorge. Elle ne chercha pas à se débattre, ni a montrer son mécontentement. Elle resta là, à écouter le souffle bruyant de son assaillant.

« Je me suis dit que tu avais faim. Je t'ai apportée du pain et de la soupe. Ce n'est pas grand-chose, mais je pourrais me faire tuer pour ça.

-D'abord tu me menaces avec une arme et maintenant tu m'aides .

-J'ai simplement sauvé la vie d'un allié, tu aurais fait la même chose à ma place » plaida Iloé.

Shelka marmonna quelques jurons puis se retira dans l'obscurité. Iloé l'entendit s'éloigner et se diriger vers le fond de la pièce. N'hésitant que quelques secondes, elle s'avança, à tâtons. Bien qu'elle connaisse cet endroit du sol au plafond allant même jusqu'aux planches mal clouées, elle préférait y aller par petit pas. Iloé n'était pas dupe, la captive avait en quelque sorte juré de ne rien faire au capitaine, mais pas à elle. En un battement de cils, elle pouvait se retrouver agonisante sur le plancher.

Lentement elle déposa à terre la gourde d'eau croupie et le bol de soupe fait la veille. Comme elle l'avait dit plus tôt ce n'était pas grand-chose, les esclaves n'avaient le droit à rien et voler comme elle l'avait fait pour nourrir un captif fantôme, étaient passible de la peine de mort. Toujours à petits pas elle recula jusqu'à la porte et s'adossa à elle. Iloé garda tout de même une main sur son arme à feu. La méfiance n'est pas un crime. À travers l'obscurité Iloé pouvait sentir le regard mauvais et incertain de Shelka. Elle devait surement être accroupie en face d'elle tenant encore son bout de bois aiguisé entre ses mains. Ou alors elle était à quelques centimètres d'elle, expliquant ainsi la petite brise chaude sur son visage.

Soudain les planches craquèrent, puis un bruit sourd résonna dans la pièce. Le bruit d'un reniflement, semblable à celui d'un animal à la recherche d'une quelconque odeur suspecte arriva jusqu'aux oreilles d'Iloé.

« Si j'avais voulu te tuer je t'aurais tirée dessus avec le pistolet. Et puis, tuer ne fait pas partit de mes plaisirs...

-C'est ce que tu veux me faire croire...

-Comme tu voudras, je ne te force pas »

Cette situation lui rappelait exactement sa première nuit sur le navire. Elle était à la place de Shelka et le capitaine à la sienne. Ça lui paraissait si lointain, tout comme son monde.

« Un peu de lumière ça serait trop demandé ? Pesta la captive.

-Personne ne doit savoir que tu existes. S'ils voient de la lumière dans une salle présumée vide, ils vont se poser des questions.

-Ah ! Si ça ne sentait pas la mutinerie vous n'auriez pas fait un plan aussi mauvais.»

Iloé marmonna pour elle-même. Ça puait tant que ça, Shelka avait raison. Si confiance il y avait, la lumière n'aurait pas posé problème.

« L'équipage est un peu à cran en ce moment, avoua péniblement la jeune femme.

-Accepter un pacte avec ce rat a été la pire erreur de ma vie, pourtant mon grand-père sait ce que j'en ai fait. Pff, la corde est déjà autour de son cou, il suffit qu'une de ces raclures effleure le tabouret pour...

-Valerens sait ce qu'il fait, je te l'ai déjà dit »coupa Iloé, avec une pointe de colère.

La jeune femme cru entendre un fou rire. Plutôt un rire forcé de la part de la captive.