Les mers d'un autre monde

*Une nouvelle piste*

"Commodore, rester dans cette taverne ne nous aidera pas a..." insista un officier.

Un coup de feu retentit et le bruit d'un corps inerte tombant sur le plancher résonna dans la pièce soudain silencieuse. Tout le monde se retournait pour observer d'un œil mauvais et craintif les Espagnols, tous assis au fond de la taverne. Ce n'était pas les deux-trois officiers qui se pavanaient avec leur costume rouge qui attiraient leur attention, mais l'homme aussi large que grand assit dans un coin. Des murmures portant son nom traversèrent la salle. Beaucoup, notamment de vieux corsaires, avaient reconnu le sanguinaire, ou le Faux Frère qui n'avait pas hésité à tourner le dos à sa patrie pour s'enrichir. Tout comme son bâtard il avait une très grande renommée et bon nombre de marin le craignait. 

Les regards dérivaient maintenant sur le gringalet à coté de lui, visiblement très mal à l'aise dans cette taverne infestée de brutes. Bolt Tomas Deker, prince héritier du royaume d'Espagne et unique fils, du moins l'unique reconnu, de Morgan Deker. Lui aussi, grâce aux vives rumeurs, s'était fait connaitre mais pas de la même manière que son demi-frère et que son père. Les dits à son sujet étaient bien loin d'être glorieux.

"C'est lui le commandant du galion qui a pris la fuite devant ce pirate de Deker, un vrai trouillard comme on n'en avait jamais vu.

-On dit qu'avec trois navires il n'a pas réussi à couler le maudit Bric de ce rusé de Deker !"

Les matelots partirent en fou rire, entrainant avec eux, la taverne toute entière.

Bolt, conscient qu'il était la raison de ces moqueries acerbes, dégluti et regarda son père afin d'y trouver de l'aide. Mais ce dernier leva les yeux au ciel et but d'une traite sa bouteille de rhum, lassé de la réputation de sa progéniture.

"Tu me fait hontes, je regrette sincèrement que toute l'intelligence soit allé au premier des fumiers" maugréa le commodore éreinté.

Les ivrognes aux bars qui avaient entendu, partir à nouveau à rire. Certains en tombèrent même de leur chaise, bouteille en main.Bolt, humilié, se referma sur lui-même. Les paroles de son père étaient plus blessantes que les rires.

Elles le frappaient comme à chaque fois en plein cœur le transperçant comme un couteau.

"Fermez-la vous autres, ou je vous taillade la langue !" beugla un officier espagnol en se levant de sa chaise.

La taverne devint soudainement silencieuse. Les brutes aux bars pestèrent amèrement avant de se retourner vers leurs bouteilles.

"Tss, même un simple matelot a plus de voix que toi, va t'assoir plus loin, je ne veux plus te voir ! Ta réputation risque de me faire défaut."

Le capitaine se leva, patienta un instant le regard poser sur son père indifférent, puis il partit s'assoir deux tables plus loin avec deux autres espagnols qui ne remarquèrent même pas sa présence. Comme un enfant, il boudait en silence et attendait que sa punition soit levée. Son cœur saignait. Bien que son père l'ait élevé avec une grande sévérité, jamais encore il ne l'avait congédié car il avait honte de sa présence.

"Les pères sont toujours ingrats avec leurs enfants, je connais bien ça."

Bolt, surprit, releva la tête et chercha du regard la provenance de cette voix rassurante. Un homme se balançant sur sa chaise une bouteille à la main et visiblement bien saoul regardait d'un air amusé l'air abattu du capitaine. Sa barbe blanche et ses yeux marrons clairs lui donnaient un air sympathique, mais Bolt loin d'être naïf préféra s'en méfier. En général c'est des individus aux airs bienveillants dont il faut se méfier, ils sont en général imprévisibles.