Convalescence

112 14 2
                                    


« Abaissez les voiles ! Fermez les écoutilles ! Attachez-vous avec les cordages ! »

Les ordres pleuvaient comme l'averse qui s'abattait sur le pont. Le navire oscillait de plus en plus sur l'eau, entamant parfois de longues ascensions, parfois interminable avant de redescendre et de s'écraser sur une vague en contrebas. Ces roulis dignes d'une attraction se répétaient sans cesse accompagnés de son assourdissant. La tempête se déferlait sur la zone et il était difficile de passer au travers. L'invitation d'entrée dans ce tohu-bohu avait été acceptée, la soirée avait commencé, il ne restait plus qu'à attendre l'aube et espérer que les rayons les accueilleraient fièrement. Le capitaine hurlait des ordres et des contre-ordres, il ne savait nullement gérer une telle tempête et personne ne pouvait lui apporter une quelconque aide. Il avait tué l'unique cartographe du navire et emprisonner les derniers officiers. Nell était la seule à pouvoir sortir ce navire de cette houle dangereuse, mais le sort en avait décidé autrement pour elle. Son sort avait été scellé. Les mauvais choix entraînent bien souvent la pénitence. Si ça n'avait pas été Adamak, une autre main aurait tenu l'arme. Ce n'est qu'une question de temps qui s'écoule et de chance qui se succède. Certains ont la chance d'assouvir leur volonté à l'instant même, d'autres doivent patienter le bon moment.

« Attachez les canons et les barils de poudre, rien ne doit transpercer la coque ! » Cria au-dessus du vacarme le quartier-maître avant qu'un grondement ne couvre sa voix

Des sons de pas résonnaient dans les cales, des râles remontaient à travers les planches en bois. Personne n'était serein à l'idée de passer cette tempête.

« C'est de la folie ! Jamais ça ne serait arrivé sous le commandement...


-Ferme là, ce n'est pas le moment de regretter tes actes ! Il faut qu'on sorte vivant de cette tempête ou nous allons tous y passer ! Ordonna un mutin, il faut suivre la majorité surtout en ce moment. »

Les voix disparurent instantanément sous le bruit des vagues et de la pluie battante. La nuit allait être mouvementée songea Iloé inquiète. Les tonneaux vides de la pièce valdinguaient d'un côté à un autre, s'écrasant contre le mur en bois. Parfois, ils changeaient de cap et venaient se cogner aux prisonniers. Iloé, tant bien que mal, arrêtait ces caques avant qu'ils ne blessent Deker enveloppé dans ses bras, toujours inconscient. Les soins avaient été difficiles. Le liquide avait plus lavé le sol que la plaie, de plus le médecin, appelé à faire son travail, n'avait pas pu rester bien longtemps.

« S'il continue comme ça, il va nous mener droit vers la mort... Non, je ne prendrai pas le risque de quitter le navire... Je sais que tu peux nous aider, mais là, c'est du suicide ! Tu as beau avoir ce genre de pouvoir, tu ne peux pas contrer cette tempête. »

La flamme de la lanterne vacilla soudainement et un froid désagréable vint faire frissonner Iloé.

« Je ne risquerai pas notre vie dans cette tempête ! Autant mourir d'une balle entre les deux yeux ! »

Un grondement inhumain ricocha dans la pièce de plus en plus froide.

« S'il te plaît, il est encore trop tôt. Valens ne tient pas encore debout, il est à peine conscient, raisonna la prisonnière, ce n'est pas comme ça que nous pourrons nous venger... Patiente encore, je sais pertinemment que c'est la vengeance qui te retient ici, laisse-lui encore quelques jours, je t'en prie. »

La température s'adoucit soudainement jusqu'à devenir douce sur la peau de la jeune femme, pendant que le navire baignait dans ce froid glacial. Iloé essaya de fermer les yeux malgré le vacarme incessant. Elle ne pouvait rien faire de plus à part attendre l'aube dans la crainte. Le navire allait passer cette tempête comme à son habitude, s'était ce qu'il fallait se dire. Compter sur les prouesses du « capitaine » n'était pas envisageable.

« J'espère seulement que le navire ne se brisera pas sur les eaux... » Souffla-t-elle résiliée.

Consciente de son impuissance, elle resserra un peu plus son étreinte et reposa sa tête contre la poutre. Elle s'autorisa à fermer quelques secondes les yeux. Rien qu'un instant, le temps de calmer son cœur et son souffle. Une légère brise vint caresser sa joue comme une main maternelle qui essayait de calmer son enfant lors de ses longues nuits agitées. L'allié était sans aucun doute un pilier puissant. Elle maintenait le tout hors de l'eau, elle était la capitaine d'un navire imaginaire voguant vers un but bien précis. Tantôt une guerrière, tantôt une mère, l'allié endossait bon nombre de rôles. Iloé s'en voulait de compter autant sur elle, mais avait-elle le choix ? Sans elle que pouvait-elle faire ?

Iloé soupira longuement. Le temps ne daignait pas passer. Les minutes paraissaient interminables et semblaient durée une éternité. Le sommeil ne venait toujours pas face à cette inquiétude croissante. Le matin était encore bien loin. Alors qu'elle se résignait à passer la soirée dans la peur, un geste inattendu la fit soudain espérer. Ce geste insoupçonné réchauffa un peu plus la pièce sombre, et morne. Le cœur d'Iloé battait maintenant pour une autre raison, cette fois assuré. Un lourd poids s'enleva soudain de ses épaules, libérant ainsi son corps las. C'est avec douceur qu'elle accueillit cette présence bienveillante sur sa joue. Lentement, elle entrelaça leur doigt tout en savourant ce souffle de vie qui s'était fait depuis, silencieux. La chaleur de la main fit sourire la jeune femme, qui n'espérait plus. Cette main glaciale s'était finalement ravivée en même temps que la lueur malicieuse dans ses yeux verts.

« Tu te réveilles enfin. »

Valerens murmura des mots inaudibles. Sa voix affaiblie ne lui permettait pas de se faire entendre dans cette tempête. Mais son désir de communiquer lui fit faire un geste simple, qui pourtant, valu mille mots. Souvent, un simple sourire suffit à réveiller un cœur meurtri.

Les mers d'un autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant