L'Alpha et le Chasseur

Problème d'orientation

La nuit commençait lentement à tomber et un silence olympien régnait à présent sur la Vallée de Katéri. Le lac dans lequel la cascade se jetait était calme, sans aucune brise de vent pour troubler la surface de l'eau. À son rivage s'étaient échoués les corps des deux aventuriers évanouis. Malgré leur état d'inconscience, ils se tenaient toujours par la main, même après avoir été violemment rejetés par les vagues.

Lys fut la première à reprendre connaissance dans un gémissement sourd. La tête lourde, elle mit plusieurs minutes à réaliser où elle était, encore sonnée par la chute dont elle venait de réchapper. Une main sur son visage contusionné qui la fit grimacer, elle finit par se redresser en position assise en regardant lentement autour d'elle, le temps de se remettre les idées en place. Lorsqu'elle vit la hauteur de laquelle ils étaient tombés, elle se sentit nauséeuse et préféra détourner les yeux, tremblante. Elle se rendit alors compte que ses doigts étaient encore entremêlés avec ceux du Chasseur ; les joues écarlates, elle s'écarta prestement de lui en le cognant involontairement au passage. Cela suffit à lui faire ouvrir les yeux à son tour. Comme elle, il s'assit sur son séant en maugréant dans sa barbe. Lui aussi fixa la cascade, le visage légèrement blême ; il venait de comprendre à quel point il avait frôlé la mort. Il finit par se tourner vers la belle guerrière en grommelant :

- Est-ce vous qui...
- Non, s'empressa-t-elle de le détromper. Je n'y suis pour rien cette fois. Je... Je vous l'ai dit, je ne maîtrise pas mes nouveaux pouvoirs magiques. Cela ne fait pas longtemps que je les ai et leur fonctionnement m'échappe encore. C'est pour cela que je n'ai réussi à immobiliser que quelques minutes à peine l'ours qui nous poursuivait, ou que je nous ai fait tomber dans le torrent au lieu de nous déposer sur la terre ferme. Quant à nous éviter la chute de la cascade... c'était mission impossible. J'étais trop épuisée à me débattre dans l'eau pour faire appel à la magie.

Killian trouva la force de railler :

- Eh bien ça promet ! Le monde pourra s'estimer heureux si on arrive à mettre la main sur cette fichue pierre de je-ne-sais-pas quoi...
- La Pierre d'Harmonie, le reprit-elle vertement. Tâchez de vous en rappeler, elle reste le dernier espoir de votre humanité.

Il lui lança un étrange regard avant de murmurer, si bas qu'elle n'entendit pas :

- Mon humanité est déjà morte en ce qui me concerne.
- Marmonnez autant que vous voulez dans votre barbe, soupira Lys, à bout de nerf. Je suis trop fatiguée pour me battre avec vous ce soir et je n'ose pas imaginer la route qu'il nous reste à faire... Je ne sais même pas où on est !
- Vous ne connaissez pas vos terres ? la houspilla-t-il de nouveau, que l'épuisement rendait plus irritable que d'habitude, ce qui n'était pas peu dire.
- Bien sûr que si, le rembarra-t-elle. Je connais mon territoire comme ma poche, je pourrai l'arpenter du bout en bout les yeux fermés ! C'est bien pour cela que je peux affirmer que nous ne sommes plus chez moi. Le problème, c'est que je ne me suis jamais aventurée au-delà de nos frontières, alors ici, je suis perdue !

Dans un profond soupir exaspéré, le Chasseur se releva d'un bond pour examiner attentivement les alentours.

- Qu'est ce que vous faites ? lui demanda-t-elle en le voyant s'accroupir près d'un massif de fleurs qui poussait si proche de la berge que ses branches feuillues effleuraient la surface de l'eau.
- Des edelweiss, déclara-t-il en l'ignorant, son attention entièrement tournée sur les petites fleurs blanches aux pétales déployés. Je vois...
- Vous voyez quoi ? s'impatienta la jeune Alpha qui se redressa péniblement sur ses deux jambes flageolantes. Cela vous écorcherait la bouche de me répondre ?!

Il lui adressa un regard de travers avant de répéter lentement, comme si elle était idiote :

- Des e-del-weiss. Les rares fleurs à résister au froid glacial de l'hiver, et elles ne poussent pas partout, ce qui va nous permettre de nous repérer. Je sais que l'on peut en trouver dans les Terres Écarlates mais comment savoir si nous y sommes vraiment...
- Les Terres Écarlates vous dîtes ? réfléchit-elle, les sourcils froncés. Alors nous ne sommes pas loin de la Montagne de Ardenti, la meute voisine de la mienne, grand-mère m'en a parlé un jour où elle m'expliquait les relations entre clans de Louvanes.
- Très intéressant. Mais ça ne nous dit pas exactement où nous nous trouvons donc... retour à la case départ. Quelle belle avancée ! grinça-t-il.