Chapitre 8

144 15 1
                                    

Ça doit faire deux mois que je suis dans cette chambre. Lindsay et Troy viennent souvent me voir, mais cela ne me suffit pas. Je ne supporte plus ces menottes. J'ai besoin de plus de liberté, de pouvoir marcher et courir quand je veux. Si cette situation continue, je vais finir par craquer. La douleur de l'inactivité me parcourt tout le corps, et des petits picotements désagréables m'empêchent de rester tranquille. Malgré tout, les conditions se sont nettement améliorées. Je peux aller à la douche tous les soirs, même si Linds reste toujours avec moi, je dors mieux, j'ai repris de l'appétit et je peux regarder la télévision dans la chambre. C'est déjà un bon début. Je me sens de plus en plus à l'aise avec Troy. Hier par exemple, quand il est venu passer du temps avec moi, on a beaucoup ri tous les deux, et il me taquinait aussi. Plus le temps passe, plus je commence à m'attacher à lui. C'est complètement paradoxal. Je devrais détester celui qui m'a enlevée et éloignée de ma famille. Au lieu de ça, je sympathise avec lui. Et si Linds avait raison ? Si j'étais vraiment amoureuse de lui ? Dès le début je ressentais quelque chose. À la bibliothèque, lorsque nos regards se sont croisés, je savais déjà qu'une chose avait pris place en moi, une chose que je pensais pourtant ne jamais rencontrer, le coup de foudre. Je ne crois pas à tout ce qui est spirituel comme le destin, où notre vie est depuis le jour de notre naissance toute tracée du début à la fin. Moi je pense qu'on peut écrire sa propre histoire, qu'on est en mesure de décider nous même de notre vie. Mais ma mère, elle croit à ce genre de chose. Je me souviens que quand j'étais petite, elle m'a raconté une fois sa rencontre avec mon père. C'était l'hiver et elle faisait du patin à glace. Elle était très douée pour le patinage. Elle en a fait quand elle était enfant durant trois ans. Elle connaissait les bases et quelques figures. Les lames de ses patins la faisaient glisser comme une vraie professionnelle sur la glace. Mon père était en sortie avec ses amis. Ils voulaient faire du patin, mais lui contrairement aux autres ne savait pas en faire. Par peur d'être tourné en ridicule, il s'est élancé sur cette piste givrée. Il n'arrêtait pas de tomber. Ma mère le regardait faire. Il la faisait rire parce qu'il s'énervait à chaque fois qu'il se retrouvait à terre. Au bout d'un moment, elle a eu pitié de lui, et elle l'a entrainé à au moins tenir debout sur la glace. Après cela, ils se sont revus et ils sont tombés amoureux. Ma mère m'a raconté cette histoire une centaine de fois. Elle disait que c'était à partir du moment où elle a vu mon père, qu'elle a compris que c'était lui l'homme de ses rêves. Alors le coup de foudre, ça peut exister. Mais probablement que cet évènement spirituel ne marche que sur certaines personnes. Et si ça marchait sur elle, mais pas sur moi ? Il me faudrait un autre avis. Linds, elle m'a raconté qu'elle avait rencontré Sam au lycée, mais elle ne m'a pas expliqué comment elle a fait pour tomber amoureuse de lui. Lorsqu'elle viendra me voir, je lui demanderais. Un plateau est posé sur ma table de chevet. Tiens, pour une fois ce sont des pancakes. Normalement j'ai juste droit à un bol de céréales et un verre de jus d'orange. Peut-être que c'est une journée spéciale ou je ne sais quoi. Ça fait longtemps que je n'ai pas mangé de pancake. La dernière fois ça devait être il y a six mois pour l'anniversaire de ma mère. Mon père avait essayé de faire le petit déjeuner. Je dis bien "avait essayé" parce que qu'il n'a pas réussi. Les pancakes étaient beaucoup trop cuits, le bacon était devenu noir et il avait fait brûler un gâteau. De la fumée sortait du four et se propageait partout dans la cuisine. L'alarme incendie s'est même déclenchée. Lorsque ma mère est arrivée, elle a été surprise de voir le désastre que mon père avait causé. Au lieu de s'énerver, elle a ri. Mon père ne s'attendait pas à cette réaction. Alors ils ont recommencé tous les deux à préparer le bacon, les pancakes et le gâteau. Pour une fois, les œufs n'étaient pas ratés. Comme l'a dit ma mère, il s'est amélioré. Le cadeau de ma mère ça n'a pas été que mon père fasse la cuisine, mais qu'ils passent du temps ensemble, et c'est ça le plus important. Je regarde le plateau et la pile de pancakes. Il y en a trop, je ne vais jamais manger tout ça. Je remarque une bouteille de sirop d'érable posée juste à côté de l'assiette. Pour moi, le sirop d'érable est indispensable. Cette petite touche sucrée qui dégouline le long de la pile, qui quand on la met en bouche provoque une explosion de saveurs. Je commence à manger. Deux minutes plus tard, les pancakes ont déjà disparus. Moi qui disais que je n'allais pas tout manger au final il ne reste plus une miette. Je m'allonge sur le lit comme d'habitude. Il m'est presque impossible de me mettre assise à cause des menottes qui m'irritent le poignet. J'ai l'impression que je vais finir par le perdre à force. La porte de la chambre s'ouvre. C'est Linds qui entre tout sourire et s'installe à côté de moi sur le lit.

A contrarioOù les histoires vivent. Découvrez maintenant