Margot avait pris le temps d'assimiler chacune des règles de l'au-delà. La plupart concernait un silence à garder devant les humains. Saluer le défunt, le rassurer, le consoler, puis faire en sorte qu'il la suive. Laisser au Seigneur la tâche de tout leur expliquer. Elle ne devait rien révéler du fonctionnement des Anges de la Mort, ou des services. Leur mission se révélait d'une simplicité et d'une répétition mortellement ennuyeuse. Veiller à ce qu'une personne meurt bel et bien à l'heure indiquée dans le dossier et de la cause décrite, vérifier que tout soit en ordre, et le conduire là où il recevra son jugement. Clôturer le dossier en apposant son seau et le remettre aux Bureaux des Dossiers qui se chargeront de le ranger dans les Archives. Aucun lien avec le mort, aucune sympathie, aucun attachement. Il suffit de le mener vers son ultime voyage.
Dix jours exactement avant de trépasser, le défunt perçoit son faucheur s'ils se croisent, mais l'Ange de la Mort est pieds et poings liés par une stricte interdiction de s'adresser à lui. Il s'agit simplement de se montrer au futur mort, afin qu'inconsciemment le visage de celui qui l'arrachera à la terre lui paraisse rassurant. Mais, si jamais un humain échappe à son décès, il faut immédiatement se référer aux Bureaux des Statistiques qui épluchera le dossier de long en large afin de trouver une raison à ce changement et y remédier.
— Faucheuse Margot, l'interpella une femme en entrant discrètement dans sa chambre, voici votre tenue. Elle n'est pas très confortable, mais vous vous habituerez. Le patron nous a imposés ces uniformes ridicules, soi-disant pour une unité de groupe, et il déteste que nous ne les mettions pas, même lors de nos jours de repos.
La femme n'eut aucune réponse, seulement un hochement de tête poli, alors elle s'inclina brièvement et sortit. Margot s'était renfermé sur elle-même depuis la veille et elle ne comprenait pas pourquoi. Était-ce dans sa nature ? Elle avait pourtant l'impression d'être aimable et enthousiaste. Face à tous les faucheurs qui déambulaient dans sa chambre, la jeune femme ne parvenait pas à réagir. Elle le voulait ; elle voulait leur sourire et les remercier de l'aider à s'acclimater à ce nouvel environnement. Mais, les mots se bloquaient dans sa gorge. En plus du poids sur sa poitrine et à ses poumons, elle éprouvait un quelque chose incompréhensif. Une peine qui la faisait souffrir et elle en ignorait la provenance.
— Est-ce normal de ressentir un grand chagrin ici ? avait-elle demandé à Amriel, quand il était venu la voir après sa première nuit.
— Ce peut être un effet post-mort. Votre vie vous manque, c'est sûr, mais ne vous inquiétez pas, Dame Margot. Vous serez très bien avec nous.
— Je ne crois pas que ce soit un effet de quoi que ce soit..., lui avait-elle répondu, hésitante. C'est comme si...j'avais besoin de me souvenir impérativement de mon passé, d'un événement...triste.
— Oh, toutes mes excuses, sincèrement, mais vos souvenirs ont déjà été stockés dans votre dossier aux Archives et je tiens à vous prévenir au cas où vous tenteriez de les retrouver qu'il est impossible d'accéder à son dossier. Il vous faudrait plus d'une éternité ! Seuls les faucheurs travaillant là-bas savent comment fonctionnent le rangement et le stockage. Et pour ne pas qu'ils aient le temps d'en parler, la structure change régulièrement, tous les ans à peu près, et leur mémoire est partiellement effacée afin de garantir le secret.
— C'est cruel ! Nous sommes forcés de porter pour toujours notre passé sans avoir une chance de nous en souvenir. Si le Seigneur désirait imposer une paix intérieure, il n'avait qu'à supprimer le fardeau de notre mémoire oubliée !
— Il existe un but à tout ce que décide le Seigneur, ayez confiance en lui, Dame Margot !
Autant dire qu'elle avait passé un bon moment à rechigner. Cependant, mettant de côté ses questionnements, la jeune femme se leva et glissa un regard médusé à cet uniforme. Une chemise écrémée qu'elle rentra dans un pantalon serré mais droit qui suivait la ligne mince de ses jambes. Le col légèrement plongeant de son haut ne la dérangea pas. Au contraire, elle le trouva assez élégant. Elle enfila également un blazer et une ceinture dorée. Le bas et la veste arboraient tous deux une agréable couleur vin qu'elle apprécia grandement.
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Avenge the Fallen
Mystery / ThrillerMargot Rosea étudie dans une école internationale à Busan. Sa famille s'impose sur le marché coréen comme étant l'une des plus fortunées et considérables. Cependant, Margot meurt subitement. Et elle revient miraculeusement sur terre dans la peau...