La voix inexorable du Seigneur

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Margot et Jae-Sun regagnaient l'appartement, quand la foudre commença à gronder dans le ciel. La pluie ne tarderait pas à suivre et ils pressèrent le pas. Maintenant qu'ils avaient obtenu toutes les informations, elle pouvait se considérer comme apaiser, puisqu'elle connaissait désormais la cause de sa mort, ainsi que son assassin. Néanmoins, elle n'avait toujours pas vengé les morts. Si le Docteur Yoon se dénonçait, alors ce problème serait résolu sous peu. Elle prévoyait donc de retourner chez le coréen et de passer les dernières heures avec lui. Ils avaient encore un peu de temps. Ce n'était à priori pas l'avis de l'étudiant.

— De quoi vais-je mourir ? interrogea-t-il en observant les nuages sombres. Mort naturelle, c'est vaste ! Il existe beaucoup de morts naturelles. Je suis de plus en plus curieux à ce sujet.

— Ce n'est pas de la curiosité que tu devrais ressentir ! marmonna-t-elle.

Il lui sourit.

— Devrais-je dans ce cas éprouver de la peur, de l'angoisse ou de la tristesse ? Contrairement à la plupart des gens, j'ai au moins eu la chance d'être prévenu. Je l'ai accepté et je l'attends. La mort m'intrigue plus qu'autre chose.

— J'aimerais être aussi détendue que toi sur certains points, confia la faucheuse. J'ai l'impression de me plaindre tout le temps et de ne jamais arriver à me raccrocher. Je suis pendue à une corde qui me relie à ma vie d'avant et je redoute le jour où mes bras faibliront. Je serai alors obligée de lâcher et devenir l'être insensible et accoutumée à la mort qu'ils souhaitent tous que je sois. 

Jae-Sun fit mine de réfléchir une minute et répliqua :

— Tu as l'impression de te plaindre tout le temps, parce que tu te plains tout le temps !

Margot lui répondit par un regard noir et il gloussa en ravalant un rire narquois.

— Mais, c'est une bonne chose. Sinon tu serais très bizarre ! Se plaindre est un réflexe basique de l'humain. Râle autant que tu le pourras, de cette façon tu garderas les bribes d'humanité qu'il te reste. 

La foudre retentit une nouvelle fois et Margot se tendit en songeant à la cause de la mort du coréen. Et s'il était frappé par un éclair ? Les nuages s'approchèrent et planèrent sur la ville, la pluie s'abattrait bientôt. Elle s'apprêta à le hâter pour qu'ils rentrent à l'abri, mais Jae-Sun avait le regard fixé sur un point à sa droite. Sa mâchoire était crispée et son dos droit l'agrandissait encore plus. De profil, il était vraiment beau. Vivant. Ce mot lui fit l'effet d'un coup de poing dans l'estomac ; c'était un adjectif magnifique et pourtant si sinistre. Il établissait à la fois que le jeune homme respirait et qu'il cesserait de respirer. Elle s'avança d'un pas et sa main se leva en direction de son visage. Il brillait presque dans ce décor ténébreux. C'est à cet instant qu'elle se rendit compte d'à quel point elle n'était pas prête. 

Oppa, je... 

Cependant, il ne la laissa pas finir.

— Regarde qui est là. 

Elle cligna de nombreuses fois des yeux et se détourna finalement de lui. La faucheuse observa ce point fixe et elle aperçut une femme vêtue en habits de la Grèce Antique, un péplos avec des sandales. Margot arbora une mine perplexe, ne s'empêchant pas de grimacer. Ce vêtement était certes élégant, mais il n'était certainement pas qualifié pour cette époque. En plus, la couleur ne concordait pas du tout avec le véritable costume traditionnel. Le tissu rayonnait d'un rouge terne, un rouge vin. 

— Ne vous posez pas de questions, ordonna la femme aux allures de déesse grecque. Votre humain est mourant, nous le savons, c'est pourquoi nous vous retiendrons peu. Amriel vous convoque urgemment. 

Margot ne pipa mot, mais son aura parla d'elle-même. Elle n'était clairement pas encline à quitter Jae-Sun.

— Vous n'avez pas le choix.

Cette femme possédait étonnamment une musculature épatante visible sur ses bras dénudés et sur ses mollets. En tout point, la faucheuse aurait pu croire à une déesse. Elle ressemblait d'ailleurs à ces dessins de Hécate, divinité de la Triade Lunaire, qu'elle s'émerveillait à contempler. Malgré son air distingué et gracieux, ses traits se durcissaient à vue d'œil et elle n'autoriserait pas la jeune novice à désobéir à un ordre direct. C'est pourquoi Margot céda docilement. 

— Vous teniez tant que ça à garder votre robe grecque ? fit-elle sans intérêt en la rejoignant.

Hécate 2.0 l'ignora superbement et lui attrapa le bras fermement dès qu'elle fut à son hauteur. Margot put tout juste se retourner et rassurer le coréen d'un bref regard qu'elle disparut. Jae-Sun demeura seul sur le trottoir, le tonnerre hurlant si fort au-dessus de lui. Il se remit en marche et ne pensa à rien. Il aurait apprécié longer la plage, mais il se dit que les vagues déchaînées n'étaient pas si agréables à regarder. Après plusieurs minutes à vagabonder les yeux rivés sur le ciel, il atteignit sa destination. Qui n'était pas chez lui. Et il vit une personne qu'il ne s'attendait pas à croiser par ici. 

— Vous me rendez souvent visite ! Vous devez vraiment bien m'aimer ! 

Jae-Sun ne prononça rien d'autre et finit de monter la légère pente sous les grondements du tonnerre. Devant lui, le portail des Rosea le surplombait. Il scruta la sonnette et dressa un doigt déterminé. La personne le stoppa aussitôt. Il s'agissait évidemment de Valentino, qu'il hésitait à renommer le pot-de-colle professionnel. Toutefois, il avait boutonné son costume rouge, ce qu'il ne faisait pas d'habitude, et son visage d'enfant s'était assombri. Solennel et silencieux, il bloqua le poignet du coréen pour ne pas qu'il appuie et celui-ci n'osa pas lui rendre son regard. La gorge serrée, il demanda :

 — Je ne la reverrai plus, n'est-ce pas ?

Valentino le lâcha lentement.

— Pas avant votre mort.

Jae-Sun pivota vers le garçon.

— Elle n'aurait rien empêché. Vous le savez. Je n'aurais pas permis qu'elle s'oppose à ma mort.

— Ce n'est pas pour cette raison que nous l'avons éloigné de vous. Park Jae-Sun, même si je n'ai pas le droit de vous avertir de quoi que ce soit, sachez seulement que...le Seigneur vous accueillera avec grandeur. Vous êtes un des rares humains dont le départ me semble triste. 

Le coréen pouffa en se raclant la gorge.

— J'en suis ravi !

Il tapota l'épaule de Valentino et sonna au portail.

— Au revoir, petit gars !

Sur ces mots, le portail s'ouvrit et Valentino s'envola. L'image de Margot à l'esprit, Jae-Sun pénétra sur le territoire des Rosea et il ne comptait pas en ressortir.  

Avenge the FallenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant