Le pianiste enchanteur

59 1 0
                                    

Se traînant dans les couloirs désormais vides, Margot songea à sa nouvelle condition. Elle réfléchit logiquement et en vint à un point évident : si elle décevait le Seigneur, elle risquait de ne plus pouvoir retourner sur terre. Maintenant qu'elle était revenue, la jeune faucheuse n'avait plus envie de s'apitoyer ou d'aller au Paradis. Elle désirait uniquement trouver des réponses à son meurtre. Or, ce serait impossible dans le cas où son statut d'Ange de la Mort lui serait retiré. Elle aspira donc à mener sa mission à bien et pour cela elle devait rencontrer un défunt. Plus le temps s'écoulait, plus elle espérait que n'importe quoi lui occupe l'esprit, lui change les idées pour qu'elle puisse rapidement se remettre de ses émotions et débuter sa mission. Tel un cadeau du ciel, une voix s'éleva timidement d'une des salles du couloir.

Je t'ai pris au mot, quand tu m'as dit que tu m'aimais.

Puisque je m'extasiais face à tes courbes enjôleuses,

Mon esprit embrumé par ces gestes qui m'ont captivé.

Tu brillais sous mille éclats, prise entre l'ombre et la lumière.

L'innocence de l'ange, le charme du démon,

La candide ignorance de l'enfant, la fourbe séduction de la femme,

Tu m'effrayais et je t'adorais, maîtresse de mes sentiments.

Un piano accompagné ces mots qui d'abord la firent glousser tant ils étaient clichés, mais finalement elle les trouva touchants. Margot avait l'intime certitude qu'elle connaissait cette voix, mais sa mémoire la bloqua une fois de plus. Elle se rapprocha promptement de la pièce d'où s'échappait la mélodie délicate. Elle passa à travers la porte et pénétra dans une salle de musique. Piano à queue, violons, violoncelles, même deux basses, trompettes, tubas et autres instruments à cuivre, une batterie et des guitares. Cette école devait sûrement bénéficier d'un département musical, cet équipement la pousserait presque à essayer de jouer. 

Naturellement, son regard fut retenu par le violoncelle. Il la tenta davantage. Peut-être en pratiquait-elle à l'époque, ou aimait-elle particulièrement le son. Dubitative, elle parvint à décrocher son attention de l'instrument pour se concentrer sur le pianiste. Il jouait avec passion sans partition, ayant appris par cœur les notes et les paroles. Sa voix grave sonnait merveilleusement bien à ses oreilles, cristalline. 

Je souhaite tout posséder, tout toucher,

Te posséder et te toucher,

Mes mains sur ta peau, mes mains sur ta bouche ;

Je souhaitais tout obtenir, tout t'offrir,

T'obtenir et t'offrir mon cœur,

Mes lèvres sur ta peau, mes lèvres sur les tiennes.

Je ne prétends plus te comprendre,

Lorsque tu danses à en perdre ton souffle,

Lorsque tu te sacrifies à cette spirale diabolique.

Je ne prétends plus t'aimer,

Lorsque tu pars sans laisser de trace,

Lorsque tu pars sans dire adieu.

Puisque ce chemin ne mène à rien,

Dès qu'elle fut à sa hauteur et qu'elle put le voir distinctement, la faucheuse le reconnut. Il s'agissait du jeune homme de tantôt. Celui aux vêtements différents et à la dégaine rebelle. Elle n'eut pas à l'étudier longtemps pour remarquer qu'il était absorbé par sa prestation privée. Il avait attendu la fin de la pause et ne devait sûrement pas apprécier le public, mais elle ne comptait pas repartir de sitôt. Elle l'examina calmement, bercée par ses paroles. La tête baissée et les paupières closes, il maîtrisait à la perfection le piano. 

Avenge the FallenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant