Avenge the Fallen

Le chant des morts

Pascal n'essaya pas de se défendre ; il laissa les policiers l'encercler et lui passer les menottes avec une violence qui leur procurait de la satisfaction. Des semaines que l'affaire Rosea durait et grâce à l'enveloppe, ainsi que l'apparition de Noh Jin-Hyun, ils avaient enfin pu l'appréhender avec toutes les preuves nécessaires. En plus des documents officiels qui avaient été remplacés au fil des années par des faux, le meurtrier se retrouvait devant le fait accompli ; le corps pendant de Jae-Sun sur le bord de la fontaine témoignait de ses crimes.

A l'extérieur de la propriété, les sirènes des secours se mêlèrent à celles des voitures de police. Pendant que les ambulanciers se précipitèrent dans la maison, les employés se faisaient arrêter les uns après les autres pour être interrogés et placés en détention provisoire le temps de déterminer s'ils étaient complices de quoi que ce soit. Maintenant que les autorités étaient convaincus de la culpabilité des Rosea, rien ne leur échappa. Ils travaillèrent méthodiquement et appelèrent quelques renforts supplémentaires afin de boucler la zone et limiter les déplacements dans le quartier. 

— Je t'avais prévenu, souffla d'une voix rauque Candice assise à côté de son mari dans la voiture. Je t'avais dit qu'il valait mieux ne pas confronter ce jeune homme. Il en savait trop, ce n'était pas normal. 

Elle pouffa amèrement.

— Margot l'a peut-être aidé, au final. 

— Tais-toi, gronda Pascal. Notre avocat nous sortira de là, ce n'est qu'une question d'heures. Nous procéderons comme d'habitude et...

— D'habitude ! s'exclama Candice, hors d'elle. D'habitude, il n'y a pas de petit con qui vient se sacrifier ou je-ne-sais-quoi pour nous inculper aux yeux de la police !

— Il l'aurait fait exprès ? rétorqua-t-il, dubitatif.

— A ton avis, pourquoi est-ce qu'il aurait risqué sa vie sans aucun plan ? Qui plus est, d'habitude, personne n'a les informations confidentielles que ta mère gardait ! Je savais qu'elle aurait dû détruire ces papiers, bon sang ! 

Pascal ne répondit pas et regarda sa mère dans la voiture d'à côté. Elle paraissait fébrile et épuisée ; il lut en elle du soulagement qu'il ne comprit pas tout de suite. Ils étaient sur le point de chavirer dans le chaos et elle renvoyait une aura de paix. Puis, il se rendit compte qu'elle était après deux décennies libérée de son fardeau. Mireille pivota tranquillement vers lui et elle n'exprima qu'un profond mépris à son égard. A travers les vitres, elle mima une phrase qui glaça le sang de son fils et il la répéta à voix haute pour sa femme :

— Je ne vous protègerai plus. Quelle garce ! Elle ose nous lâcher ! Qu'est-ce qu'elle croit, hein ? La justice coréenne n'aura pas de pitié pour elle !

— Qu'est-ce qu'elle s'en fiche, répliqua sombrement Candice. Elle se moque pas de mal de son sort. Elle est vieille et subit sa propre culpabilité depuis trop longtemps. Elle n'hésitera pas à tout dévoiler.

Les policiers démarrèrent et emportèrent les trois derniers Rosea au commissariat, alors que Margot se tenait toujours en transe face au corps inerte de Jae-Sun. Les secours se jetèrent près de lui ; il avait été au préalable sorti de la fontaine et immédiatement deux mains se posèrent entre ses pectoraux pour appuyer. Les ambulanciers tentèrent d'extraire l'eau de ses poumons, mais ils n'y arrivèrent pas. La pluie continuait encore de s'abattre sur Busan et un éclair déchira le ciel. Le tonnerre vrombit au-dessus de leur tête. Elle n'en revenait. Immobile et en larmes, elle ne bougeait même plus et respirait à peine. Elle attendait avec frayeur et angoisse que l'âme du coréen s'élève. 

Dans son dos, Jin-Hyun bousculait les policiers pour rejoindre la faucheuse, mais le passage dans le jardin arrière lui était interdit. Il siffla discrètement pour attirer son attention, mais elle ne voulut pas se détourner de son ami. Les ambulanciers se démenèrent et elle ne pouvait rien pour les aider, hormis attendre. Le jeune homme insistait en lui faisant des signes de plus en plus évidents. Margot soupira et décida de sortir en priant. Elle avait confiance en Jae-Sun et elle avait confiance aux personnes qui étaient censées le sauver. La faucheuse entraîna le futur mort à l'écart.

— J'ai entendu les policiers parler entre eux. Ils ont réussi à déchiffrer tous les documents et à éclaircir toutes les parts d'ombre dans leur enquête. Les Rosea n'ont aucune chance d'échapper à la prison. Ils m'ont demandé de venir au commissariat pour témoigner. Puisque c'est moi qui ais apporté l'enveloppe et que j'ai affirmé être un ami de Park Jae-Sun, ils vont sûrement m'interroger sur la façon dont j'ai rassemblé les preuves. Qu'est-ce que je leur réponds ? 

— Dis-leur simplement que Jae-Sun t'avait confié l'enveloppe au cas où il se retrouverait en mauvaise posture et que tu n'as pas directement participé à l'enquête. Tu ne sais donc pas comment Jae-Sun a obtenu les informations, ni quelles ont été ses sources. Ils exigeront probablement que tu restes dans le coin pour qu'ils puissent te poser des questions si besoin et te convoqueront au procès.

Jin-Hyun répondit par un rictus quelque peu chagriné.

— Je ne vivrai pas assez longtemps pour assister à ce procès.

Elle s'apprêta à s'excuser, culpabilisant de lui avoir lancé cette réalité à la figure sans ménagement, mais il secoua la tête et déclara :

— Je suis tout de même content ! J'ai fait une bonne action juste avant ma mort. Là-haut, je pourrais me vanter d'avoir dénoncé une famille de criminels !

Elle ne parvint pas à lui sourire en retour. La faucheuse le salua et regagna rapidement le jardin. Plus elle s'en approcha, plus une panique s'intensifia en elle et détruisit ses dernières barrières qui lui permettaient de rester relativement calme. Jusqu'à présent ses larmes étaient silencieuses et pleines de souffrance qu'elle intériorisait, mais en mettant un pied à l'extérieur, elle n'eut plus la force de se retenir. Margot s'adossa au mur et imagina avec colère ce que ses meurtriers avaient fait au coréen. Les bout de verre brisés, sa cheville rouge et gonflée, sa peau pâle et tournant vers les nuances de bleu. En relevant les yeux, elle ne put empêcher un cri de rage et de tourment.