Les flots de Busan

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Elle retourna à l'embarcadère en s'efforçant de ne pas paraître abattue pour que Ray lui pose le moins de questions possible. Toutefois, celui-ci était endormi. Elle en profita pour regagner la terre ferme. Au lieu d'atterrir directement chez Jae-Sun, elle arriva sur la plage de Haeundae et se positionna face à la mer. Les vagues s'élevaient violemment et peu de personnes s'étaient aventurées par ici. Sa frustration grimpa et grimpa en elle jusqu'à ce qu'elle explose. La faucheuse hurla de concert avec les rugissements de l'eau. Elle lâcha prise et son excès de ressentiment s'envola avec son cri. 

Se présumant légèrement plus encline à aborder les récentes découvertes avec le coréen, elle le rejoignit rapidement. A son retour à l'appartement, Jae-Sun était comme à son habitude sur le canapé et il fixait cette fois le mur sans avoir allumé la télévision. Il reconnut instantanément le regard de Margot et il perçut toute sa colère et son irritation. Elle se jeta automatiquement à ses côtés et il lui attrapa la main aussitôt.

— Quel est le topo ? s'enquit-il.

— Jade n'a toujours pas eu son entrevue avec mes parents, parce qu'ils ont soi-disant dû partir en urgence à leur entreprise, pendant que ma grand-mère s'est amusée à nous jouer le rôle de la chef de la famille. Tu aurais dû la voir..., elle ressemblait à une mafieuse !

Jae-Sun pouffa et commença à rire de sa remarque, pensant à de l'ironie. Il voyait mal comment une vieille femme en fauteuil roulant, toute chétive et fragile, pouvait se montrer aussi féroce qu'une mafieuse. Sauf que Margot ne rigola pas avec lui.

— Sérieusement ? lâcha-t-il, bouche bée.

— Elle était menaçante, déterminée à virer Jade de la Corée du Sud et entreprenante. Elle agissait à l'exact opposé d'une grand-mère aimante et chaleureuse. Quand j'ai assisté à ça, à son regard ténébreux et son ton sec, la crainte dans les orbes de Jade, tout m'a paru tellement sordide. Mon intuition me hurlait que ma grand-mère n'était pas comme ça, que ce n'était pas normal. Elle m'a quasiment effrayé.

— Sans vouloir te vexer ou t'inquiéter davantage, murmura le coréen, j'ai l'impression que toute ta famille est suspecte à un certain point. Ils sont tous divisés entre l'image qu'ils renvoient et leur véritable comportement. J'ai du mal à discerner le masque du vrai visage. Que ce soit un complot visant à affaiblir les Rosea ou à mettre le doute sur eux, j'ai presque envie de les accuser naturellement.

— Je comprends, c'est attirant. Ils sont les boucs émissaires faciles.

La faucheuse se souvint parfaitement de la conversation glaciale entre la secrétaire et la matriarche, et elle acquiesça lentement aux paroles du coréen. A vrai dire, elle se devait d'avouer que chacune des personnes liées aux Rosea portait en elle une certaine culpabilité. Thomas d'abord qui n'était pas honnête et était louche de par sa relation ambiguë avec Victoria, puis cette Jade qui était réapparue aux moments des meurtres pour une raison qu'ils ignoraient encore, et Mireille maintenant qui avait une attitude complètement différente dans la sphère privée. Il ne manquait plus que ses parents commettent une action douteuse et eux aussi se retrouveraient à la barre des accusés.

Plus les heures défilaient et moins elle réussissait à comprendre. Le temps s'effritait et Jae-Sun était de plus en plus en mesure de distinguer la mort. Et si la réponse tant attendue lui pendait au nez, mais qu'elle n'était pas prête à l'accepter ? Chaque nouvelle information vidait Margot de toute son énergie ; au fur et à mesure de leur enquête, elle redécouvrait les personnes qui l'avaient accompagnée et elle détestait cela. Elle se souvint du coffre et un espoir s'alluma en elle. Il pouvait leur mener à une piste solide.

— Deux. Un. Neuf. Neuf. Six. Ma grand-mère garde un coffre-fort dans son boudoir. Il me manque malheureusement le premier. Il y a une enveloppe épaisse à l'intérieur et elle tenait à la garder enfermée. Elle était même mécontente en la regardant. Peut-être qu'elle contient le morceau de renseignement qu'il nous faut.

— Nous avons donc besoin d'un moyen pour entrer chez toi et atteindre cette pièce. Franchement, le mieux serait de s'infiltrer parmi les employés pour que je puisse au passage les interroger. Ou alors, tu pourrais les espionner.

— Le temps va nous faire défaut, souffla-t-elle.

Jae-Sun ne rebondit pas sur ces mots.

— Un. Le numéro qu'il te manque, c'est un ! annonça-t-il. Le mois de décembre, le douze, et mille neuf-cent quatre-vingt seize. Il s'agit de ta date de naissance. Tu es née le sept, au cas où tu voudrais le savoir. Si ta grand-mère a utilisé ta date de naissance pour verrouiller ce coffre important, tu as forcément compté pour elle ! Elle t'a beaucoup aimé et elle ne t'aurait jamais fait du mal.

— Ou bien elle se sent coupable et se sert de ma date de naissance pour se souvenir de ce qu'elle a fait.

— C'est une possibilité, concéda-t-il.

La jeune femme ignorait à quel point elle visait juste. La matriarche cachait d'innombrables secrets pour protéger les Rosea, elle-même coulant et se noyant complètement dans ces eaux mensongères. Si elle aspirait à sauver sa famille, elle devait entretenir inlassablement cette affreuse mascarade, en dépit de sa propre conscience. Ce code représentait ses larmes qui refusaient de s'échapper de ses yeux secs, ses cris qu'elle retenait tous les soirs, son désir de changer les choses qui ne s'atténuait jamais mais qu'elle repoussait constamment.

— Une secrétaire qui fuit une vieille dame, une domestique qui s'avère être la femme d'un riche homme d'affaire, meilleur associé de mon oncle, et qui s'infiltre dans ma famille afin de comprendre pourquoi son époux est mort avant d'hériter de la société promise au profit de mes parents, et une cousine qui finit mêler à toute cette histoire, parce qu'elle se souvient. Mais de quoi se souvenait-elle pour qu'elle soit tuée ? Et surtout, comment Laura et moi avons été entraînées dans cette affaire ? Savions-nous également quelque chose ? Victoria nous avait-elle parlées et le meurtrier s'en était-il pris à nous pour cette raison ?

— La bonne nouvelle, c'est que nous avançons dans l'enquête !

— Pas assez vite, rétorqua Margot.

Jae-Sun inspira profondément et se risqua à lui confier ce qui hantait son esprit depuis deux ou trois jours déjà.

— Ne te braque pas, s'il te plait, et ne panique pas non plus. Cependant..., nous devons admettre que tout pointe tes parents. Ça fait vingt ans qu'ils sont dans l'œil du cyclone, qu'ils ont échappé aux médias et aux sérieuses suspicions de la police. Soit ils sont les victimes, soit...

Elle aurait préféré lui affirmer le contraire, le convaincre de la totale innocence de ses parents, mais aussi de celle de sa grand-mère, de Jade, ou de Thomas. Elle ne voyait pas comment ces personnes auraient pu assassiner de sang-froid des femmes de leur entourage. Jae-Sun n'eut pas à finir, elle avait saisi. Ils pouvaient tous incarner le coupable. Margot soupira simplement et accepta sa théorie sans le contredire, puisqu'elle n'avait pas le choix. A partir d'aujourd'hui, sa quête s'était alourdie : en plus d'identifier le tueur, elle se rajoutait la charge essentielle de prouver que ses parents n'étaient pas des criminels. Elle ne les laisserait pas se faire accuser de la sorte sans chercher à redorer leur blason. 

Avenge the FallenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant