La faucheuse errait dans les rues de Busan telle une âme sans but. La nuit dominait dans cette région du monde et les étoiles, accompagnées de la lune, éclairaient ses pas. Elle avait traversé plusieurs quartiers et avait vagabondé des heures durant. L'aube s'apprêtait à pointer dans le ciel et elle attendait le lever du soleil. Bien loin du modeste appartement de Jae-Sun, elle était partie. Ou s'était enfuie plutôt. Peu importe à quel point il lui portait une estime, peu importe ce qu'ils représentaient l'un pour l'autre avant son décès, peu importe que ses paroles sincères l'aient bouleversé. Margot ne le guiderait pas dans la mort, elle refusait qu'il soit son premier défunt. Aussi forte et morte soit-elle, elle ne le supporterait pas.
Alors, elle l'avait quitté sans un bruit et sans un au revoir. Margot n'avait eu aucun mal à se détacher de son étreinte rassurante une fois qu'il se fût endormi ; elle avait ôté sa main de son emprise, ramené le drap sur lui et elle était sortie en traversant les murs dans un silence de plomb. Sa fuite était tellement plus simple en tant que femme immatérielle. Mais, malgré sa décision, elle était tiraillée entre deux culpabilités : celle de lui accaparer ses derniers instants et celle de l'abandonner lâchement. Puisqu'elle se sentait mal en restant ou en partant, elle avait choisi le chemin qui la ferait le moins souffrir. Cette solution lui semblait logique et bonne, et pourtant elle ne pouvait s'empêcher de mémoriser inconsciemment chaque rue qui l'éloigner un peu plus de son appartement, au cas où elle souhaiterait y retourner.
— Maman, maman, maman, répétait un enfant inlassablement jusqu'à obtenir l'attention de sa mère. Regarde, la lune nous suit ! Est-ce qu'on a fait quelque chose de mal ?
La femme sourit, attendrie par l'innocence de son garçon. Ce dernier ressemblait en quelque sorte à Valentino. Tous les deux de petite taille aux cheveux bruns et mal coiffés, sauf que l'un d'eux détenait une expérience de vie supérieure à cinq siècles. Margot imita la mère et étira ses lèvres en un rictus affectueux. Elle aussi, elle avait été une enfant. S'en souviendrait-elle un jour ? Tandis qu'il gesticulait pour suivre la lune qui ne bougeait évidemment que dans sa tête, la faucheuse s'arrêta un moment et l'observa en se laissant submerger par ses pensées.
Les lumières des réverbères se dessinaient dans le regard de l'enfant, si pur. Elle n'aurait jamais le droit à cela, aux joies et aux malheurs, à tous les infimes détails qui composaient une existence humaine. Elle ne serait jamais une mère et n'expérimenteraient jamais le rôle de parent. Des rires aux couches puantes, des premières expériences aux pleurs à trois heures du matin, des jeux aux sacs à dos remplis d'objets totalement inutiles mais qui font plaisir au petit ; elle ne connaîtrait pas cela. Rien, elle ne vivrait rien.
— Non, mon chéri, assura doucement la mère de sa voix la plus délicate et chaleureuse.
Elle s'accroupit en face de lui, attrapa ses petits doigts boudinés et caressa son visage rougi par le froid.
— La lune nous protège de là-haut, elle veille sur nous. Comme les étoiles. Quand nous montons au ciel, nous les rejoignons et nous brillons autant qu'elles ! Nous pouvons regarder la terre et notre famille pour les aimer par-delà la vie. Est-ce que tu comprends ?
— Je veux y aller, maman ! s'exclama-t-il joyeusement, en tapant dans ses mains. Je peux ? Je veillerai sur toi ! Ça a l'air trop cool !
— Certainement pas, mon chéri ! Il faut que tu te rappelles d'une règle très importante. Tu as l'interdiction de montrer là-haut avant moi, je dois absolument être la première. D'accord ? Mais, ce sera dans longtemps.
Le garçon arbora une moue adorable, ne saisissant pas tout. Dans son esprit candide et naïf, une question paradoxale naquit et il y réfléchit sérieusement. Si en montant au ciel, il était en mesure de préserver ses proches et de les aimer, alors c'était génial et il voulait y aller. Alors, pourquoi ne le lui permettait-elle pas ? La règle sonna absurde et incompréhensible, mais il finit par acquiescer docilement. De toute façon, il n'avait aucune idée de comment faire pour grimper là-haut. Sa mère se contenta de pouffer devant sa mine confuse et lui ébouriffa gentiment les cheveux. Il lui sourit goguenard, ses pensées dérivant déjà sur un tout autre sujet. Elle se releva et amorça quelques pas afin de continuer d'avancer. Seulement, le garçon en décida autrement.
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Avenge the Fallen
Mystery / ThrillerMargot Rosea étudie dans une école internationale à Busan. Sa famille s'impose sur le marché coréen comme étant l'une des plus fortunées et considérables. Cependant, Margot meurt subitement. Et elle revient miraculeusement sur terre dans la peau...