La hiérarchie angélique

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Contre toute attente, Margot le crut sur parole. Cette vision, sa mémoire qui lui faisait défaut, et cet endroit sordide qui lui donnait une impression de pureté et où elle se sentait légère et souple comme si la gravité n'appuyait plus constamment sur son corps. Et ceci l'effraya mille fois plus. Car cela signifiait qu'elle avait été tuée. Par asphyxie. Quelqu'un l'avait assassiné froidement, une personne dont le visage restait flou dans son esprit. En fait, elle se sentait morte. Quand bien même elle le niait ou refoulait cette atroce vérité, elle ne pouvait pas se mentir très longtemps. La jeune femme avait toujours été perspicace et vive ; honnête et allant droit au but, elle observait, questionnait et déduisait. 

Au lieu de se calmer ou d'écouter ce que ces trois individus avaient à lui dire, Margot décida de passer immédiatement à la partie des questions et d'arriver à quelques déductions. D'abord, elle estima que sa mort était un fait avéré et qu'elle se trouvait quelque part dans l'au-delà. Elle confirma ceci avec l'atmosphère étrange de la pièce qui paraissait en suspens, comme si elle était dans l'espace. Aussi, les sons attirèrent son attention, car il n'y en avait pas justement. Le silence était total. Si aucun d'entre eux ne bougeait pas, alors un vide sonore atteignait leurs oreilles –  une sensation désagréable à l'extrême qu'elle détestait déjà. 

Ensuite, elle nota qu'elle ne se souvenait bel et bien de rien. Hormis du moment de sa mort. Margot s'employa à lister tous les éléments qu'elle pouvait recueillir de sa mémoire, pendant que les trois autres la fixaient sans comprendre pourquoi son regard était rivé sur le plafond depuis cinq minutes. Valentino voulut l'interroger, mais il lui accorda un temps supplémentaire. Le garçon supposait qu'elle ne parvenait pas à accepter la réalité. S'il savait qu'elle était en train de ressasser le moment de son décès encore et encore, il l'en empêcherait pour son bien-être mental. Il n'était pas bon de se tourmenter de la sorte.

La jeune femme en vint à plusieurs conclusions. En tout premier, elle avait volontairement laissé une personne entrer dans sa chambre et la connaissait suffisamment bien pour lui tendre un verre d'eau en comprenant qu'elle n'était pas à son aise. Ensuite, elle la connaissait suffisamment pour hésiter à se défendre. Donc, quelqu'un avec qui elle avait possiblement l'habitude de se taquiner ou de plaisanter. Ce n'était pas grand-chose, mais cela représentait l'unique espoir auquel elle comptait s'accrocher. Margot avait été assassinée par une connaissance, voire un proche, et son meurtrier courait toujours dans la nature. Un membre de son entourage. Peut-être un ami ou un parent. Elle n'en serait jamais certaine, puisqu'elle ne se rappelait plus de sa famille, ni des gens avec qui elle était intime.

— Inspirez, expirez ! cria brusquement Justinien, si fort qu'il fit sursauter tout le monde, se recevant une tape derrière le crâne de la part du garçon.

— Nous comprenons parfaitement ta réaction, enchaîné immédiatement Ray. La première fois, la nouvelle est tout le temps dure à encaisser. Un être sensé mettrait-il sa foi en de telles paroles ? Je sais que, de ton point de vue, il faut être fou pour croire en sa propre mort, cependant...

Margot se redressa vivement et s'adossa au mur, ignorant les vertiges qui la saisirent. Ray arrêta de parler à son mouvement inattendu et les trois la scrutèrent en attendant sa réponse.

— Dans ce cas, mes sens ont dû m'abandonner et je dois être folle ! rétorqua-t-elle avec une nonchalance qui l'étonna. Je vous crois, parce que je m'en souviens. Je le ressens encore. Cette texture douce et délicate sur mon visage, celle de mon coussin en velours favori, celle du coussin qui a servi à me bloquer la respiration jusqu'à ce que je meurs. Je vous crois pour une raison très simple. Mes poumons me font toujours souffrir !

Les deux hommes baissèrent leur tête, sincèrement désolés d'entendre cela, et Valentino lui transmit tout son réconfort au travers d'une accolade brève. A vrai dire, les personnes aux morts violentes, lentes, ou agonisantes, gardaient la sensation de cet instant pendant des jours, des semaines parfois. Elle souffrirait ainsi jusqu'à ce qu'elle réussisse à mettre de côté son ressentiment ; de cette façon, la douleur disparaîtra et elle pourra pleinement se concentrer sur sa nouvelle mission. Le garçon en était convaincu, parce qu'il avait vécu un décès des plus tortueux et il avait longuement redouté ce sentiment de crainte et de haine au fond de son cœur, une fureur qui lui avait broyé l'âme. 

Avenge the FallenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant