Épilogue

40 1 0
                                    

Quelque chose le turlupinait. Jae-Sun avait rêvé cette nuit et ce songe prenait une place considérable dans son esprit, sans qu'il ne comprenne pourquoi. Aujourd'hui, au lieu de supporter les cours lassants d'un professeur désintéressé et les messes basses de ses camarades déchaînés sur les rumeurs, il préférait le calme de sa salle de musique. Depuis ce matin, il était également obnubilé par ce lieu. Il pensait tout le temps à venir y jouer un morceau, impatient de pénétrer dans ce lieu et de frôler les blanches et noires. Instinctivement, il joua un air qu'il improvisa de nulle part et bredouilla des paroles sans aucun sens.

— Une brise en été, une feuille en automne, un flocon en hiver, une pétale au printemps ; sublime, si proche et si inatteignable, éphémère amertume ; pourquoi me manques-tu ?

Sa voix avait prononcé des mots qu'il ne reconnut pas. Il ne chercha pas non plus à saisir la raison qui l'avait poussé à les dire à haute voix. Les sourcils froncés, ennuyé de tout, il quitta son école. Il traversa le marché et s'arrêta net face à un stand de hotteok. Il n'avait pas faim. Se secouant vivement, il continua et ses pas le menèrent sur la plage. Un sourire éblouit son visage, sans qu'il ne le contrôle. Un sentiment de nostalgie noua ses entrailles. A nouveau, il remua sa tête, replaçant ses cheveux derrière ses oreilles, et pressa l'allure.

En rentrant chez lui, Jae-Sun reçut l'appel de son cousin. Ils ne s'étaient pas contactés depuis si longtemps, il avait hâte d'entendre de ses nouvelles. Il décrocha rapidement et à la suite de quelques formules de politesse, ils conversèrent au sujet de son dernier voyage d'affaire en Chine et le coréen réaffirma son désir de visiter les panoramas qu'il lui décrivait. Puis, naturellement, ils dévièrent sur un tout autre sujet. Le fameux songe qu'il avait fait cette nuit et qui l'avait profondément marqué.

— Pour résumer, fit son cousin, tu as rêvé, mais tu ne t'en souviens plus. De mon point de vue, c'est totalement normal et banal ! Pourquoi tu m'en parles ?

— Parce que ! s'exclama Jae-Sun, j'ai l'impression que c'était important. Voire essentiel ! Je m'en veux d'avoir oublié, mais je ne sais même pas ce que contenait ce songe ! Ah, Hyung ! Je n'arrête pas d'y penser !

— Cesse de te torturer l'esprit ! 

Il opina du chef, approuvant les paroles de son cousin sans être satisfait. Il sentait au fond de son âme que s'il réussissait à s'en souvenir, ce rêve bouleverserait sa vie. Ils discutèrent un moment, Jae-Sun étant distrait par sa volonté de se rappeler. Son cousin s'apprêtait à lui demander comment c'était déroulé son stage par automatisme, mais il s'arrêta à temps. Il n'avait pas envie d'évoquer le mari de sa collègue qui s'était finalement dénoncé aux autorités. 

Lorsqu'ils raccrochèrent, le coréen reçut un message. Celui-ci avait été envoyé par Thomas, un gars dans sa classe. Un français qui n'arrêtait pas de lui proposer des sortis ensemble ces derniers temps. Il déclinait les offres gentiment, mais se déroutait de cette soudaine proximité. Pourquoi ce mec agissait-il comme s'ils étaient amis ? D'habitude, ils s'ignoraient, puisqu'ils ne s'appréciaient pas forcément. Il avait son cercle d'amis qui s'était considérablement réduit, et lui il était le solitaire de l'école. 

Toutefois, parce qu'il avait été l'ami de Laura, Victoria et Margot, les trois défuntes de son école, il présumait que l'étudiant se retrouvait subitement seul et perdu. Il cherchait peut-être un nouveau soutien, mais Jae-Sun choisit de ne pas trop se rapprocher. 

Tandis qu'il s'interrogeait sur le français et qu'il pensait à laisser tomber ses études, aimant de moins en moins l'ambiance régnant dans son école internationale, il joua un air de piano et constata qu'il adorait trop son instrument pour le délaisser. 

Deux personnes l'admirèrent dans son dos sans qu'il ne les voie. La première le scruta silencieusement, tandis que des larmes montèrent à la deuxième. Mais, elle ne pleurerait pas. Plus maintenant. Au contraire, Margot autorisa la fierté à la combler. Elle était ravie que Jae-Sun ne se souvienne plus d'elle. Ainsi il vivait une existence bien ordinaire, loin d'elle. Évidemment, elle l'encourageait toujours et n'intervenait plus.

Valentino se tourna vers elle et la questionna d'un regard. Oui, son cœur se broyait, parce qu'elle ne converserait probablement plus jamais avec lui, qu'ils n'enquêteraient plus, qu'il ne la percevrait plus. Non, elle ne regrettait rien, bien heureuse qu'il respire encore.

— Lui redonner une vie ! Ca, c'est une preuve de son amour ! Je te l'avais dit que le Seigneur était juste et bon, il a été clément avec lui ! affirma-t-il.

En effet. C'est pourquoi elle avait cessé de se révolter après un mois à tenir tête aux faucheurs. Elle s'évertuerait désormais à occuper son poste d'Ange de la Mort avec des conditions. D'abord, elle n'était pas obligée de rester dans l'au-delà et pouvoir marcher à sa guise sur terre. Ensuite, elle terminait ses dossiers, mais avait le droit à un temps de répit pour s'en remettre. Enfin, les deux précédentes requêtes s'étendaient à tous ses compères afin qu'ils aient tous une certaine liberté. Elle ne causerait plus d'ennui. La justice avait été rendue. 

Désormais, elle se chargerait des âmes, partout dans le monde, elle accompagnerait les défunts munie de son air rassurant. Pendant que Jae-Sun expérimenterait toutes les étapes de la vie. Il finirait, ou non, ses études, trouverait un travail et s'épanouirait dans la musique. Il tomberait de nombreuses fois amoureux, se fiancerait avec une ou deux femmes et se marierait, aimerait ses enfants ; la vieillesse le submergerait et la mort le réclamerait de nouveau. Ce jour-là, Margot ne s'interposerait pas. Les Archives avaient accepté son point de vue : puisque l'horaire et la cause de la mort du coréen n'avaient cessé de changer durant les dix jours, cela signifiait que le destin ne s'était pas mis d'accord à son sujet et il méritait donc une seconde chance.

— Puisque je suis celle qui aie altéré sa vie, il ne devait pas en payer les conséquences, conclut-t-elle, solennellement. Je souffrirai. Seule gardienne de nos moments révolus.

— Il vit, ajouta Valentino. Mais, il ne se souvient plus. Tu ne vas pas t'opposer à sa perte de mémoire, n'est-ce pas ?

Elle grimaça, mais ne répondit pas immédiatement. Valentino pouffa. Il était son unique allié pour le moment, bien que certains faucheurs ouvraient les yeux sur elle et comprenaient ses motivations. 

Margot s'approcha du jeune homme. Son regard était rivé sur son piano. Pourquoi un sentiment se dégageait-il de ce vieil instrument qui prenait la poussière au fur et à mesure des mois ? Il jouait très peu chez lui, bénéficiant de la salle de musique à son école. Il remarqua que, justement, la poussière avait épargné le bois. Il ne l'avait néanmoins pas nettoyé. Curieux, il appuya sur quelques notes, le front plissé. La faucheuse s'assit à ses côtés, mais aujourd'hui il ne ressentit pas sa présence.

— Éphémère amertume ; pourquoi me manques-tu ? sifflota-t-il, englouti par ces paroles dont il ne savait rien. Mais, qui me manque ?

Il se posa la question. Justinien, qui s'était occupé de ramener le coréen sur terre, avait prévenu la blondinette. La première semaine de son retour, le coréen se questionnerait beaucoup, mais il délaisserait ses doutes peu à peu et il oublierait aussi. Il était voué à oublier. Elle sourit tristement et caressa délicatement sa joue du bout de son doigt. Jae-Sun frissonna soudainement et cessa de jouer. Puis, elle se releva et s'éloigna, rejoignant Valentino. Tous deux jetèrent un ultime regard au jeune homme. Avant de disparaître, Margot trouva finalement les bons mots pour s'exprimer.

— Grâce à lui, je me suis souvenue. Peut-être que son subconscient le guidera jusqu'à moi et que sa mémoire se libérera. En attendant, qu'il oublie tout. Et qu'il vive bien. Moi, je me contenterai de l'observer à distance et quand son heure sera véritablement venue, je l'accueillerai volontiers dans l'au-delà.


Avenge the FallenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant