Avenge the Fallen

L'enchantement divin

Justinien se téléporta avec le garçon et le silence revint dans l'appartement. Cependant, Margot n'arriva pas à se détendre ; ses épaules étaient crispées et ses poings serrés. Elle attendait le moment où elle devrait affronter le regard de Jae-Sun, elle ne savait pas ce qu'elle y lirait. C'est incertaine qu'elle écouta les échos de sa respiration. La faucheuse était au moins sûre d'une chose : elle n'aurait pas à lui expliquer quoi que ce soit, puisqu'il avait déjà tout entendu. Si les deux hommes ne s'étaient doutés de rien, dos à l'entrée, elle avait vu du coin de l'œil le coréen qui était revenu et qui s'était dissimulé dans le couloir pour ne pas déranger.

Il ne tarda pas à se montrer. Il passa sa tête hors du couloir pour vérifier que les faucheurs étaient bel et bien partis, puis il avança vers elle avec des pas chancelants. Jae-Sun hésitait. Qu'était-il censé lui dire ? Au fond, ce que le dossier racontait, il s'en fichait pas mal. Au contraire, il était presque heureux de bénéficier de ces heures supplémentaires. De ce fait, il pourrait l'aider plus longtemps.

— Tu n'as pas à disparaître, assura-t-il de sa voix bienveillante.

— Tu n'as pas à décider, rétorqua Margot sèchement.

— Bien sûr que si ! Je pense même que cette décision me revient entièrement ! C'est ma vie, ou plutôt ma mort, et j'estime avoir le droit de choisir la personne qui sera à mes côtés. Je ne veux pas d'un autre faucheur et je ne veux pas que nous perdions une minute ensemble !

— Ils ont peut-être raison, s'entêta-t-elle. J'ai pu t'aimer auparavant et cet amour m'aveugle maintenant.

Pour toute réponse, Jae-Sun pouffa amèrement et glissa une main nerveuse dans ses mèches rebelles.

— C'est faux. En fait, tu ne m'aimais pas du tout ! N'importe qui à l'école pouvait affirmer que tu te focalisais tellement dans tes études que tu étais complètement fermée au monde autour. Certains suspectaient que tous les après-midi avec tes amis étaient en réalité destinés aux révisions. Tu n'obtenais pas tes notes sans travail, Margot, et rien ne comptait plus pour toi. Tu te moquais bien d'avoir une vie sociale, tant que Thomas et Laura te soutenaient. Par contre...

Il marqua une pause et expira lourdement.

— Par contre, après la soirée où tu m'as embrassé et où tu as immédiatement regretté, beaucoup ont cru que j'étais tombé sous ton charme,...ce qui est vrai. Mais, ça ne change rien à ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui ! Je ne t'assiste pas dans ton enquête parce que j'ai pu avoir des sentiments pour toi. Je le fais, parce que cela me semble juste et nécessaire ! Alors, je t'interdis d'envisager une seule seconde de t'en aller et de m'abandonner !

Ce serait lâche de sa part. Il ne refusait pas de lui prêter main forte et l'accompagner dans ces instants difficiles, il était bon avec elle et prenait soin d'elle le temps de sa transition en faucheuse, et, plus important encore, il lui était entièrement loyal malgré sa mort imminente. Le quitter reviendrait à le trahir de la pire des manières. Toutefois, elle avait promis à ses collègues et elle se retrouvait en mauvaise posture. Présentement, elle chassa ce dilemme de son esprit et se contenta d'acquiescer, ce qui rassura le coréen. Elle improviserait plus tard. Jae-Sun souffla sa frustration et s'assit à côté d'elle maladroitement.

— Techniquement..., avoua-t-il, je n'étais pas grand-chose à tes yeux. Une bouche embrassée à une fête démentielle, une brève rencontre au détour d'un couloir, un étudiant qui joue du piano, c'es tout. Il y avait constamment une sorte d'affection dans tes yeux, une politesse que tu offrais à toutes les personnes que tu jugeais sympathique. Mais, rien de plus. Il est clair que...c'est moi qui étais attiré par toi, et non le contraire. Les faucheurs n'ont pas à lire entre les lignes.

— Pourtant, Thomas a...

— Thomas a supposé que tu ne me rejetterais et que tu me laisserais probablement une chance. Ne te tracasse pas à ce sujet. De toute façon, je vais mourir. C'est malvenu d'évoquer nos sentiments respectifs.

— C'est trop tard, soupira-t-elle et il hocha de la tête.

Une minute de silence pesa sur eux. Margot était assurément d'accord avec ses propos. Quand elle l'avait croisé dans cette salle de musique à son retour sur terre, elle n'avait ressenti qu'une profonde adoration face à sa détresse qui résonnait grâce aux martèlements des blanches et noires. Son talent l'avait conquise. Aucun amour.  Elle nota néanmoins à quel point il était précieux pour elle désormais. Chacun de ses mots avait le don de la booster, de lui insuffler une force et de l'inspirer. Il était doué pour les discours et ils s'accordaient à merveille. Cette alchimie serait écrasée par la mort, quel gâchis. 

— C'est tout de même étrange, susurra Jae-Sun. D'après le ton du faucheur, le fait que l'heure de ma mort se soit décalée l'a profondément interloqué. 

— Plus que ça ! certifia Margot. Il avait l'air...presque effrayé. Ils sont convaincus que je vais tenter quelque chose pour te tirer des griffes de la mort.

— Tu le ferais ? titilla-t-il. Tu prendrais ce pari ?

— Au risque de te décevoir, je crains d'être pieds et poings liés. Je dois admettre que j'y ai réfléchi, plusieurs fois d'ailleurs, mais j'ignore tout du fonctionnement de la mort. Dans le cas où je voudrais vraiment te sauver, je ne serais pas en mesure de le faire. 

— C'est bien mieux ainsi. Ne t'aventure pas sur ce terrain glissant. Les faucheurs ne t'apprécient pas trop depuis que tu as insisté pour réaliser ton enquête, ne te brouille pas plus avec eux. Je présume qu'en acceptant ma mort, tu leur prouveras que tu es prête à te soumettre aux lois de l'univers ! 

— Sûrement. Mais, je n'en ai pas envie ! 

Il sourit tristement et la prit dans ses bras. Lui non plus n'en avait pas envie et ce n'était pas la mort qui le contrariait. C'était l'impossibilité de l'aider quelques jours de plus. Il redoutait de trépasser avant que leur enquête ne soit terminée. Voilà pourquoi ils devaient approfondir leur recherche au plus vite.