Son sac sur le dos, Eléa courut à travers les couloirs, dérapant sur le carrelage jusqu'à la sortie puis elle jaillit dans la rue où elle descendit à grandes foulées affolées.
Elle traversa presque sous les roues des véhicules, forçant les conducteurs à freiner violemment pour éviter de l'écraser.
Cette fois, elle se moqua des invectives qu'on lui lança, vitres baissées, et elle poursuivit sa course effrénée et désespérée.
Elle manqua de chuter en s'engouffrant dans sa rue en tournant d'une manière trop serrée. Vacillant, elle retrouva son équilibre et continua jusque chez elle,entraîne par la pente.
Ouvrant violemment la porte, elle se rua dans la pièce à vivre, faisant sursauter ses parents qui, en cuisine, entamaient la préparation de repas du soir.
Le souffle court et le cœur battant avec force entre ses côtes, et pas uniquement à cause de sa course, elle tituba jusqu'au canapé pour s'y appuyer en laissant tomber son sac au sol.
Ses muscles tremblaient et ses jambes se dérobaient sous elle.
Elle s'écroula au pied du divan, la main crispée dessus.
Ses parents échangèrent un regard inquiet et se précipitèrent vers elle. Irina s'agenouille à côté d'elle, un bras autour de ses épaules, et s'enquit d'une voix inquiète en passant une main dans ses mèches hérissées :« Ma chérie, que se passe t-il ? Dis-moi.
- Je...je ne voulais pas. Sanglota Eléa en se laissant tomber contre sa mère qui l'enlaça.
- Quoi donc, ma puce ? Raconte-nous.
- Je... C'est Eve...j'en ai eu assez...elle a dépassé les bornes et je me suis énervée a...alors...mes pouvoirs...le sang coulait de partout...le sang... Maman...Les larmes étouffèrent le reste des paroles d'Eléa, qui n'aurait pas apporté beaucoup de précision à son résumé entrecoupé de pleurs. Ses parents en avait suffisamment entendu pour comprendre et deviner quel genre d'incident s'était produit et avait ainsi perturbé Eléa.
Cette dernière enfouit son visage contre l'épaule d'Irina en sanglotant toujours plus, l'image de la peau ensanglantée d'Eve aux yeux aussi rouges que les siens fixés dans son esprit sans qu'elle puisse l'en chasser.
Elle avait raison d'avoir toujours gardé sa magie enfouie au fond d'elle-même mais, apparemment, cela ne suffisait plus, elle ne parvenait plus à le conserver enfermé là où il n'était un danger pour personne.
Alors qu'Irina et Patrick échangeaient un regard préoccupé se demandant comment gérer tout cela, aussi bien par rapport au lycée et aux gens que par rapport à Eléa, cette dernière se serra davantage contre sa mère à la recherche de réconfort et de chaleur car elle se sentait glacée de l'intérieur, mais elle ignorait pourquoi.
Ses larmes continuaient à ruisseler et tout son corps était agité de tremblements nerveux qu'elle ne réussissait pas à calmer, ne semblant plus contrôler son corps, alors que la scène d'Eve ensanglantée et hurlante repassait sans cesse dans ses pensées sans qu'elle soit capable d'en formuler d'autres.
La saisissant délicatement par les épaules, Irina la détacha doucement d'elle pour l'examiner et son angoisse augmenta lorsqu'elle constata que son regard rouge ne semblait pas réellement la voir. D'ailleurs, elle ne l'entendit pas vraiment non plus lorsqu'elle appela d'un ton qui se fit de plus en plus inquiet à mesure qu'elle ne réagissait pas, restant inerte et les seuls mouvements troublant son immobilité étant ses tremblements.
Paniquant, Irina hésita à la secouer, ne voulant pas la brusquer mais ne supportant pas de la voir dans cette espèce de torpeur dont elle souhaitait se tirer.
Avant qu'elle ne le fasse, Patrick posa une main apaisante sur la sienne et lui expliqua d'une voix posée bien qu'il soit aussi inquiet qu'elle :- Elle est en état de choc, Irina. Il faut y aller en douceur et essayer de la réchauffer.
Lui faisant confiance, n'ayant aucune raison de douter de lui et de son expertise, Irina lâcha Eléa avec difficulté, ne voulant pas s'éloigner d'elle, même de quelques mètres, pour se rendre dans l'espace cuisine où elle réchauffa une tasse de thé bien sucrée.
Pendant ce temps, Patrick, resté à côté d'Eléa, s'empara du plaide plié sur le divan pour en envelopper la jeune fille, qui ne semblait toujours pas remarquer quoi que ce soit.
La tenant délicatement par les épaules, il entreprit de la mettre debout. Suivant le mouvement plus par réflexe qu'autre chose, Eléa se releva, tremblant toujours de tous ses membres et se laissa asseoir sur le divan, les mains crispées sur le plaid.
Paraissant revenir à elle et à la réalité alors que son dos s'enfonçait contre le dossier du canapé, elle remonta ses genoux contre sa poitrine en les entourant de ses bras où elle dissimula son visage, pleurant toujours.
Patrick resta à côté d'elle en s'efforçant de la rassurer, bien qu'il ne se sentait guère à l'aise avec la fille de son épouse, puis il échangea sa place avec Irina qui revint rapidement avec une tasse fumante.
La laissant s'occuper d'Eléa, sachant qu'elle était plus efficace que lui avec elle, il se leva pour aller décrocher le téléphone, posé sur la commode à côté de la coupe où s'entassaient toutes les clés de tout le monde, et appeler le proviseur du lycée, prenant les choses en main pour tenter de les garder sous contrôle et que tout cela ne retombe pas sur Eléa.
Elle en souffrait déjà suffisamment.
Il composa le numéro puis alla s'isoler dans leur chambre pour éviter qu'Eléa n'entende la conversation. Pas la peine de l'éprouver encore davantage.
Sur le divan, Irina passa la main dans les cheveux teintés de sa fille en lui murmurant des paroles réconfortantes. Eléa se laissa tomber contre elle en sanglotant, ayant la sensation que tout ce que toutes ces personnes affirmaient sur sa nature monstrueuse était finalement vrai mais Irina lui assurait le contraire d'une voix douce.
Préférant la croire, elle, elle se raccrocha à ses mots mais elle restait sous le choc sans parvenir à s'apaiser.
Elle s'empara de la tasse que sa mère lui tendait, refermant ses mains autour sans se soucier de la brûlure dans ses paumes, et avala le thé, petite gorgée à petite gorgée, en s'efforçant de maîtriser ses tremblements pour ne pas en renverser autour d'elle.
La chaleur de la boisson coulant dans sa gorge irritée par le produit qu'elle avait involontairement avalé dans le bac d'entretiens lui fit du bien, descendant jusqu'à son estomac en irradiant dans son corps, chassant le froid en combinant son action avec celle du plaid sur ses épaules.
Ses tremblements s'apaisèrent et ses larmes cascadèrent avec moins d'intensité de ses yeux rouges mais elle ne se sentait pas réellement mieux.
Elle termina de boire le fond de sa tasse d'une traite, récupérant toute cette chaleur qui lui manquait, qui l'avait fuit sous le choc.
Irina la lui prit des mains pour la reposer sur la table basse poussée contre l'accoudoir du divan pour elle revint l'enlacer de nouveau en la ramenant contre elle. Eléa se laissa tomber contre elle en calant sa tête contre son épaule alors qu'elle passait toujours sa main dans ses mèches ébouriffées en des caresses maternelles rassurantes.
Bercée par le calme et la sécurité de leur maison ainsi que par la douceur réconfortante de sa mère, Eléa fini par s'apaiser après de longues minutes à sangloter et elle ne fit plus que renifler régulièrement même si elle savait que tout n'allait pas s'arranger simplement comme l'affirmait Irina pour la rassurer et l'apaiser.
Tout n'irait pas mieux car elle cesserait d'y penser, l'événement ne s'effacerait pas car elle ne se torturait plus l'esprit avec, il faudrait en assumer les conséquences et les traverser, survivre à cette épreuve, mais, pour le moment, elle devait seulement se calmer et se remettre du choc pour être en mesure d'affronter la suite.
Ses sanglots s'apaisant donc, bien que l'image d'Eve couverte de sang s'accrochait à ses pensées sans qu'elle puisse l'en chasser, elle se détacha d'Irina, qui lui sourit, rassurée de la voir se calmer un peu et elle essuya ses joues, mouillant ses doigts de ses larmes. Elle l'encouragea de nouvelles paroles de consolation puis, la laissant seule quelques minutes sur le divan, elle alla allumer le chauffage dans la salle de bain et récupérer le pyjama préféré d'Eléa, le noir au pantalon décoré d'arabesques rouges, ses deux couleurs favorites, pensant qu'une douche lui ferait le plus grand bien. Parfaitement d'accord, la jeune fille l'en remercia.
Avant que cet événement ne vienne perturber et bouleverser sa journée, et certainement plus largement son existence, elle souhaitait effectivement uniquement se laver et s'enfouir sous ses draps.
Coinçant son pyjama sous son bras, elle gagna la salle de bain après que sa mère l'ait embrassé sur le front.
Son reflet, qui l'accueillit, lui montra ses traits décomposés et ses yeux rouges encore écarquillés par le choc mais cette image était loin d'être aussi terrible que celle d'Eve qui restait dans sa tête sans qu'elle puisse s'en défaire.
S'en détournant, elle retira ses vêtements qu'elle jeta dans le panier à linge sale.
Elle ignorait si elle pourrait les remettre un jour à présent qu'ils était rattachés à cet incident traumatisant.
Ne se posant pas la question, son habillement étant l'un de ces derniers soucis, elle lança la musique sur son téléphone, la laissant envahir la petite pièce, et s'engouffra dans la cabine de douche.
Ouvrant le jet à fond, elle laissa l'eau chaude pleuvoir sur elle, la réchauffant et détendant un peu ses muscles contractés mais qui ne suffisait pas à emporter les problèmes que sa magie avait causé sans qu'elle le veuille ni effacer cette journée plus que catastrophique.
D'ailleurs, l'eau qui ruisselait sur son corps hâlé ne réussissait pas à noyer cette scène sanglante qui se rejouait devant son regard, que ses paupières soient ouvertes ou fermées.
Sa crise de tremblements et de larmes la reprenant, elle se recroquevilla dans un coin de la cabine, entre les bouteilles de shampoings et les flacons de gel douche, la tête dans les bras, libérant de nouveau ses sanglots que la musique couvrit derrière le son des guitares électriques mêlé à celui de la batterie.
Le rythme, qu'elle commença inconsciemment à battre du pied contre le sol mouillé, toujours sous le jet brûlant, l'apaisa un peu et elle se reprit en reniflant.
Se forçant à se remettre, momentanément au moins, elle se releva pour se savonner et se rincer. Un coup de serviette et elle revêtit son pyjama.
Physiquement, elle se sentait un peu mieux, le traumatisme pesant un peu moins sur ses muscles, mais psychologiquement, s'était autre chose.
Elle luttait pour ne pas s'écrouler de nouveau, pas immédiatement.
Coupant sa musique pour glisser son téléphone dans la poche de sa veste, elle entendit ses parents échanger dans la cuisine. Elle ne saisissait pas les propos mais cela signifiait que Patrick avait terminé son appel.
Voulant se renseigner sur la situation et son cas, se doutant que c'était forcément le sujet de leur conversation et que, si c'était elle qui le leur demandait directement, ils ne lui répondraient pas franchement en cherchant à atténuer les faits, elle entrouvrit discrètement la porte pour écouter à l'insu de ses parents.
Ainsi, elle apprit, comme c'était prévisible, que le proviseur était outré qu'elle ait ainsi osé user de ses pouvoirs contre une autre élève alors que le personnel du lycée avait toujours été extrêmement tolérant à son égard, se moquant bien que cette action ait été totalement involontaire, et que Eve avait dû être hospitalisée en urgence à cause de la perte de sang.
Eléa se mordit la lèvre inférieure, ne sachant pas exactement que penser de cette information mais il était certain qu'elle les vivait mal et qu'elle en souffrait.
Ayant entendu ce qu'elle souhaitait apprendre, elle quitta la salle de bain, après avoir éteint le chauffage, et ses parents cessèrent de parler dès qu'elle entra dans la pièce à vivre et se tournèrent vers elle avec un plis soucieux sur le front.
Le regard bas et le visage sombre, Eléa lança d'une voix qu'elle découvrit enrouée par les larmes et le choc :
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Les Yeux du Pouvoir - Tome 1 : Rouge Sang [Terminé]
ParanormalRepérés à la naissance à cause de leurs yeux d'une couleur inhabituelle, qui varie selon la magie pratiquée, les magiciens ont toujours eu à souffrir de discriminations à cause de leur différence. C'est le cas d'Eléanora qui doit tous les jours affr...