Chapitre 36 - Oreilles sifflantes

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Plusieurs ambulances stationnaient dans la cour derrière le bâtiment principal, étant passées par le portail permettant l'accès aux véhicules normalement prévu pour l'approvisionnement du réfectoire.
Appelés par l'inspecteur Carmody pour s'occuper des élèves, les secours étaient arrivés sans tarder, suivis de peu par la presse, qui tentait d'obtenir la permission de la police de s'approcher davantage et d'interroger les témoins de l'évènement, ce que les autorités lui refusaient. De toute manière, personne n'était en état de répondre à des questions.
Les élèves étaient installés dans les ambulances avec les secouristes qui se chargeaient de les soigner.
Eléa était assise sur une civière, une aiguille plantée dans le bras pour transfuser le sang qui lui manquait, les infirmiers ayant rapidement compris qu'une soudaine anémie était la cause de sa faiblesse, aussi grâce aux indications de Gabriel. Ce dernier était installé non loin, sur les marches métalliques menant à l'intérieur de l'ambulance et regardait une jeune femme terminer de fixer une attelle à son indexe, les coups qu'il avait décoché à Christophe ayant légèrement endommagé son métacarpe.
Les soins terminés, il se tourna vers Eléa à qui il adressa un petit signe de la main avec son attelle, s'efforçant de plaisanter pour détendre un peu l'atmosphère alourdie après cette prise d'otages. Il y parvint au moins à moitié puisqu'il lui arracha un sourire sur son visage aux traits tirés et au teint cireux. Cette petite victoire rassura Gabriel car elle signifiait que, bien que ce serait dur et peut-être long, elle pourrait se remettre de cet incident, elle et les autres, répartis dans les ambulances autour d'eux.
D'ailleurs, ils entendaient Roxanne qui vociférait non loin, réveillée depuis peu par les ambulanciers après son évanouissement, encore bouleversée d'avoir failli mourir. Seulement, Lison se demandait si son hystérie ne provenait pas un peu d'ailleurs, comme en témoignaient ses tremblements.
Dans tous les cas, les secouristes s'échinaient à la calmer, sans beaucoup de succès, sous le regard de Lison, qui, parmi les moins "endommagés" après la prise d'otages, n'avait guère besoin de secours et l'ambulancier face à elle se contentait d'un simple examen de contrôle, s'assurant qu'elle se portait aussi bien qu'elle le semblait, pour enchaîner avec plusieurs questions pour vérifier son état psychologique après cet incident.
Cependant, elle y répondit sans s'y intéresser réellement ou se soucier vraiment des réponses qu'elle formulait, davantage préoccupée par l'état de Léo, assis à l'arrière d'une ambulance située en face. Encore épuisée par sa forte dépense d'énergie, il peinait à rester assis, la vision floue et la tête lui tournant. Cherchant à lui redonner des forces, deux secouristes lui tendaient de quoi manger et de quoi boire en lui dispensant des conseils pour les prochains jours où il devrait se reposer.
Dans le même état d'épuisement, Lavande buvait lentement un verre de jus d'orange sous l'œil attentif d'une infirmière, les doigts encore agités de tremblements nerveux. Alana s'enquérait de l'état d'Irwan, qui enchaînait les plaisanteries pour désamorcer l'angoisse engendrée par la prise d'otages, après que tous deux aient subit l'examen de formalité et qu'on leur ait dit qu'ils avaient uniquement besoin de se reposer pour se remettre.
Non loin, Marianne mangeait elle aussi, légèrement étourdie, sous le regard prévenant et inquiet de Damien. Le jeune homme avait rapidement compris que quelque chose de grave se passait lorsque, en rentrant chez lui, il avait vu les voitures de police, sirènes hurlantes, se diriger vers l'institut où Marianne était rentrée quelques instants auparavant. Durant tout le temps qu'avait duré la prise d'otages, il était resté devant le mur de l'école, comme les quelques curieux qui avaient cherché à savoir ce qu'il se passait,rongé par l'angoisse. Lorsque les ambulance étaient entrées dans la cour et que les élèves étaient sortis de la classe, on l'avait laissé entrer sur insistance de Marianne auprès de qui il était depuis.
Raphaël était installé non loin, assis directement sur l'herbe, les genoux remontés contre sa poitrine, et entièrement focalisé sur l'écran de son téléphone, fuyant un peu la réalité pour se défaire de son inquiétude et se cacher de ce traumatisme. Ce qui ne l'empêchait pas de jeter des regards soucieux vers l'ambulance où Salim était enfermé avec trois ambulanciers qui vérifiaient l'état de son genou avant de décider si ils pouvaient l'opérer sur place ou si ils devaient le conduire à l'hôpital.
Que se soit l'un ou l'autre, le jeune homme n'était absolument pas un patient facile, bien au contraire. Il repoussait les secouristes, les sommait de ne pas l'approcher, refusait qu'ils le touchent et ne leur permettait pas d'examiner sa blessure, s'agitant en tous sens malgré la douleur que cela provoquait dans son genou. Encore une fois,c 'était seulement pour les dissuader de le toucher et ainsi s'éviter des visions supplémentaires, en ayant déjà suffisamment eu pour aujourd'hui et étant déjà trop éprouvé.
Cependant, il n'allait pas rester avec une balle dans le genou à pouvoir seulement se trainer au sol pour unique moyen de déplacement et à souffrir mais il ne pouvait pas se résoudre à subir encore des visions de mort, pas maintenant, pas aujourd'hui. Les secouristes choisirent pourtant pour lui en lui attachant les mains avec des liens à scratches fixés sur le côté de la civière, certainement prévus pour empêcher certaines personnes de se blesser, ou bien pour les jeunes magiciens récalcitrants.
Salim ne cessa pour autant pas de se débattre, secouant la tête en tous sens en grognant, cherchant également à esquiver les ambulanciers qui tentaient de placer un genre de rond en plastique moue dans sa bouche pour l'empêcher de se mordre à cause de la douleur. À force d'insistance et en lui tenant le crâne à deux mains, ils y parvinrent, après une injections d'anesthésiant,ils purent débuter l'intervention en commençant par découper son jeans pour accéder plus facilement à sa blessure.
Ils la nettoyèrent et entreprirent de retirer la balle à l'aide de longues pinces effilées. Salim se cabra en poussant un gémissement de douleur lorsqu'ils retirèrent le projectile de son genou. Ils bandèrent la plaie en serrant pour stopper l'hémorragie puis, après quelques minutes à ce concerter, ils conclurent qu'il fallait l'emmener à l'hôpital pour apporter des soins plus complets et plâtrer sa jambe, la rotule ayant besoin de se réparer.
L'un des secouristes quitta l'ambulance pour avertir Monsieur Moreau, Monsieur Belforde n'étant toujours pas descendu de son bureau, qu'ils conduisaient Salim à l'hôpital de la ville. Raphaël se redressa en entendant cela, souhaitant les accompagner mais sachant qu'il n'en aurait pas la permission. Alors, il se contenta de regarder l'ambulance partir, comme les autres. Au moins, Salim était tiré d'affaire et en de bonnes mains. Sa situation était réglée, ce qui n'était pas le cas de tous.
En plus de Salim, il y avait également deux élèves qui se révélaient particulièrement difficiles à soigner. Shikou pour commencer.
Assise à l'arrière d'une des ambulances, comme la majorité de ses camarades, elle avait de nouveau son casque sur les oreilles avec le volume au maximum pour étouffer toutes les pensées qui résonnaient dans son esprit. C'était Lucille qui avait prié l'un des policiers d'aller le récupérer dans la salle de classe, sachant qu'il était essentiel, pour ne pas dire vital, à Shikou, qui souffrait tant d'entendre toutes les réflexions qui traversaient chaque esprit autour d'elle. Cependant, la musique ne les faisaient pas taire et ne l'empêchait pas d'y être absorbée, si bien qu'elle n'avait pas réellement conscience des ambulanciers qui se succédaient pour évaluer son état par des interrogations qui ne trouvaient aucune réponse.
La jeune fille conservait ses yeux indigos dans la vague, davantage concentrée sur les pensées qu'elle captait involontairement que par les paroles des personnes face à elle, ce qui ne les décourageaient pas, alors qu'ils continuaient à insister, encore et encore.
Quant à Sylvain, il était surprenant qu'il soit ainsi si difficile à gérer, lui qui était habituellement sage, discipliné et qui ne s'opposait jamais, encore moins face à l'autorité qui l'impressionnait, mais son opposition aux soins ne provenait pas d'un refus volontaire obstiné, comme Salim, mais car il était plongé dans un tel état de choc après la prise d'otages et avoir vu trois de ses camarades recevoir des balles. Installé sur une civière, il se balançait d'avant en arrière en pleurant silencieusement.
Lui n'était pas en compagnie d'un ambulancier mais d'Elisabeth, plus indiquée pour faire quelque chose pour lui en tant que psychologue, bien que, pour l'instant, elle ne semblait guère efficace.
Les choses semblaient donc plus ou moins s'améliorer et rentrer dans l'ordre.
De toute manière, il faudrait un peu de temps pour que tousse remettent, psychologiquement en tous cas, car, physiquement, ça commençait déjà à aller mieux. Du moins, en ce qui concernait Eléa.
Le sang que la transfusion déversait dans ses veines lui redonnait de l'énergie en repoussant sa fatigue. La poche étant vide, un ambulancier vint retirer l'aiguille de son bras en appuyant un coton sur le minuscule point sanglant qu'elle avait laissé. L'homme y appliqua un pansement puis tendit un paquet de biscuits à la jeune fille. L'ouvrant, elle commença à en grignoter un lentement du bout des lèvres, plus par nécessité et sur conseil du secouriste que par réel appétit, ayant l'estomac encore noué après toute cette angoisse. Gabriel vint s'installer à côté d'elle, avec, lui aussi un paquet de gâteaux dans une main.
Bien qu'il connaissait déjà la réponse, par ses traits tirés, même si la perfusion avait redonné quelques couleurs à ses pommettes, et les mouvements de son aura éprouvée et encore inquiets, il s'enquit de son état. Eléa se contenta de hausser les épaules, ne sachant guère que répondre d'autre mais, touchée par la prévenance de Gabriel, elle ouvrit la bouche pour s'efforcer de préciser un peu mais elle n'eut pas l'occasion de formuler son premier mot, interrompue par des vociférations.
Intrigués, ils s'approchèrent des portes ouvertes de l'ambulance. Ils localisèrent rapidement l'origine de cette agitation.
Encadré par plusieurs policiers et menotté, Christophe Sarbes était forcé de traversé la cour vers le fourgon qui l'attendait devant les grilles. Cependant, il était fort peu disposé à coopérer ou à rendre la tâche simple aux officiers. Il se débattait et hurlait que ce n'était pas lui le danger, qu'il fallait absolument faire fermer cette école qui rependait les germes du Mal et permettait l'impunité à l'abomination, que les monstres étaient tous ces êtres, erreurs de la nature, qu'on lui avait empêché de supprimer dans l'optique du Bien. Ces affirmations exaltées étaient entrecoupées de citations de la Bible et de délires religieux.
Si certains en doutaient encore, il apparaissait à présent évident qu'il était totalement dément, influencé par des déformations des préceptes religieux et les propos extrémistes anti-magiciens.
Roxanne ne se priva pas de lui cracher dessus lorsqu'il passa non loin d'elle. Eléa hocha le menton, l'en remerciant car elle n'aurait pas à la faire ainsi.
Elle cessa rapidement de s'intéresser à lui car l'inspecteur Guyon vint vers l'ambulance où elle se trouvait avec Gabriel. La jeune femme commença à leur demander comment ils se portaient, ce à quoi ils répondirent par un grommellement peu enthousiastes, avant de les prier de résumer les faits tels qu'ils s'étaient produit dans la classe, formalité qu'elle allait devoir répéter avec chacun des témoins.
Eléa n'avait aucune envie de rapporter l'évènement, de le revivre alors qu'il était si récent et encore présent autour d'eux. Tout ce qu'elle souhaitait était de retourner se reposer et qu'on la laisse en paix, juste prendre un peu de repos loin de tout cela, au moins pour le reste de la journée. Son crâne bourdonnant le lui indiquait.
Le percevant parfaitement, notamment à travers son aura, comme toujours, Gabriel se chargea de résumer l'incident et Eléa se contenta de confirmer ses propos de plusieurs acquiescements auxquels elle ajouta parfois quelques commentaires. L'inspecteur Guyon nota leurs propos sur son calepin en leur indiquant qu'ils s'occuperaient plus tard de leur faire enregistrer une véritable déposition qu'ils signeraient, lorsqu'ils se seraient reposés, ce que Eléa apprécia.
La jeune fille poussa un profond soupir, soulagée de voir l'enquêtrice s'éloigner et les laisser tranquilles. Ils avaient tant besoin de calme.
Elle s'appuya contre Gabriel, profitant du calme qui commençait doucement à s'instaurer au milieu de l'agitation ambiante. Sauf qu'elle ne put guère profiter.
Une détonation incroyablement puissante, au moins dix fois supérieure à celles produites par le pistolet de Christophe, résonna en se répercutant dans tout le quartier, et un souffle violent balaya la cour, projetant à terre toutes les personnes alentours et renversant même les ambulances les plus proches.
Eléa se retrouva projetée contre la paroi du véhicule avant de retomber au sol et des projectiles retombèrent à l'intérieur autour d'elle.
Les oreilles bourdonnantes et déstabilisée, ne comprenant pas ce qu'il venait de se produire, elle se redressa pour découvrir une plaie béante dans le bâtiment principal.

Les Yeux du Pouvoir - Tome 1 : Rouge Sang  [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant