Chapitre 15 - Cuisson : saignante

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« Allez, Eléa, debout ! (la jeune fille grogna, encore à moitié ensommeillée, aux mots de Marianne). Tu ne vas tout de même pas commencer à faire comme Roxanne !
- Eh ! S'indigna Roxanne d'une voix légèrement pâteuse.
- Regarde la et ose dire que tu n'es pas un très mauvais exemple.
- Ça, la vodka, quand on a pas l'habitude...
- C'est toi qui m'as servit. Grommela Eléa en se retournant sur le dos.
- Rien t'obligeait à l'avaler mais c'est vrai que ça nous aurait certainement fait manqué le meilleur moment de la soirée parce que l'alcool a dû t'aider !
- Je vois pas de quoi tu parles. Prétendit Eléa, la langue toujours aussi lourde dans sa bouche sèche.
- Ah oui, vraiment ?
- Je m'en souviens pas.
- Bah, on pourra t'aider à te rappeler. On a prit des photos.
- Quoi ?

S'exclama Eléa en se redressant subitement sur son matelas, projetant son oreiller au fond de son lit.
Roxanne bondit vivement en arrière malgré son état approximatif dans un éclat de rire. La jeune fille se laissa retomber en arrière en se passant une main sur le visage avec un soupir, comprenant qu'il n'y avait aucune photo mais juste une ruse de Roxanne dans laquelle elle s'était engouffré sans l'envisager une seconde, se trahissant elle-même à l'instant.
Evidemment qu'elle se souvenait de la veillée. En fait, la fin de la soirée était un peu floue, surtout alors qu'elle se réveillait à peine, mais l'événement le plus marquant, que Roxanne avait prétendu avoir immortalisé dans la puce de son téléphone, était gravé dans sa mémoire.
Elle avait encore la saveur des lèves de Gabriel sur les siennes et elle sentait toujours ses mains contre son dos et ses doigts glissant entre ses mèches courtes sous sa perruque.
C'était ce qui l'avait maintenue éveillée longtemps après s'être couché, une fois remontée des sous-sols du bâtiment principal. Après ce baiser langoureux, il lui semblait qu'elle s'était écroulé contre Gabriel et avait somnolé contre lui, plus ou moins éveillée, jusqu'à ce que tous décident d'un commun accord qu'il était temps de mettre fin à cette sympathique veillée. Gabriel n'avait rien dit et avait conservé la tête de leur groupe jusqu'au dortoir, comme lors de l'allée. Ils avaient pu constater que la veillée officielle se terminait elle aussi mais ne s'étaient pas attardé dans les couloirs, fatigués.
Sauf que c'était certainement pour une toute autre raison que Gabriel était allé directement s'enfermer dans sa chambre en souhaitant une bonne nuit aux autres dans un vague marmonnement.
Eléa ignorait vraiment ce qu'elle allait bien pouvoir lui dire ou comment se comporter face à lui lorsqu'ils allaient se croiser, car ils allaient forcément se rencontrer aujourd'hui à un moment ou un autre. La question se répétait en tournant dans son esprit sans qu'elle n'en trouve la réponse. Peut-être pourrait-elle tout simplement feindre que tout était parfaitement normal et faire comme si de rien n'était, comme Gabriel l'avait déjà fait par deux fois. Prendre exemple sur le jeune homme lui semblait une bonne solution mais elle doutait de posséder la capacité de détachement de Gabriel.
Même si elle était renfermée et peinait à s'ouvrir après plus d'un mois, elle ne portait pas de masque comme lui. Elle se sentait trop impliquée. Son corps et son esprit étaient en ébullition alors qu'elle était réveillée depuis seulement quelques minutes.
Comment allait-elle surmonter ce problème et affronter la journée ? Peut-être en se cloitrant dans sa chambre sans en sortir jusqu'au lendemain au moins.
Après tout, il n'y avait pas cours aujourd'hui en ce beau dimanche nuageux, elle pouvait se le permettre, Marianne l'avait juste réveillé pour qu'elles aillent prendre leur petit déjeuner ensemble, comme ils en avaient prit coutume. Seulement, s'enfermer en niant ce qu'il s'était produit et en évitant Gabriel n'était pas une réelle solution,juste un moyen de s'enfouir la tête dans le sable, ce qui n'arrangerait rien.
Au mieux, elle repousserait, légèrement, l'inévitable, qui s'abattrait tout de même sur elle à un moment ou à un autre, et, au pire, elle donnerait l'impression de se terrer, ce qui était exactement le cas, en laissant toutes les rumeurs se déclencher et ainsi se confirmer. Elle avait conscience qu'elle devait faire taire les différents commentaires de tous genres avant qu'ils ne deviennent incontrôlables et qu'elle ne puisse plus regarder Gabriel en face, bien qu'elle doutait d'être capable de le faire de toute manière.
Sauf que, pour l'instant, elle n'avait vraiment pas le courage de se lever. Elle se sentait lourde et sa tête pesait également, notamment à cause d'une barre de plomb en travers de son front laissé par son verre d'alcool fort dont, comme l'avait deviné Roxanne, elle n'avait pas vraiment coutume. Elle voulait encore dormir. Au moins, dans le sommeil, elle ne se torturait pas l'esprit à se demander comment affronter le regard de Gabriel en cette journée, sauf si le problème l'y poursuivrait et qu'elle en rêvait, son subconscient étant en quête d'une solution qu'il n'y avait pas réellement.
Ne se sentant donc pas la force de s'extirper maintenant de ses draps pour subir les remarques de tous, y compris celles de ses propres pensées, elle plaqua l'oreiller sur son visage, manifestant clairement son intention de rester au lit en se convainquant mentalement que c'était seulement à cause de sa fatigue et non qu'elle se cloitrait de honte et de gêne.
Cependant, ne comptant apparemment lui permettre de se complaire dans cette lourdeur et dans ce malaise, comme elle l'aurait préféré, fuyant tout de même sans le reconnaître, Marianne échangea un regard avec Roxanne en secouant négativement la tête de gauche à droite. Elle savait que ce serait pire si Eléa demeurait ainsi à se cacher et elle ne souhaitait pas qu'elle soit prise dans une situation sans maîtrise, elle ne serait pas une bonne amie dans le cas contraire.
Comptant donc l'obliger à se lever, elle s'installa sur le bord du lit et arracha l'oreiller du crâne d'Eléa. Pour empêcher cette dernière de le récupérer, elle le lança à Roxanne qui, peu vaillante non plus après la presque totalité d'une bouteille de vodka à elle toute seule, le reçut en plein visage.
Marianne leva les yeux les yeux au ciel avant de revenir de nouveau vers Eléa, qui se tourna sur le côté dans un grognement, se plaquant contre le mur.
Sans violence mais tout de même ferme, elle referma la main sur l'épaule d'Eléa pour la secouer en insistant encore :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 1 : Rouge Sang  [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant