Chapitre 20 - La mort au bout du couloir

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Après ce premier cours particulier de magie, Eléa était allée trouver Monsieur Moreau dans la salle des professeurs, au premier étage de l'aile centrale du bâtiment principal, pour lui présenter ses excuses pour son comportement, son insolence et son ingratitude.
Le professeur d'Histoire avait semblé être surpris mais touché par cette attention. Il lui avait assuré que ce n'était rien, qu'il comprenait sa réaction et, après qu'elle lui ait résumé le déroulement du cours en compagnie de Gabriel, il avait conclu qu'il valait certainement mieux que ce soit le jeune homme qui se charge de son apprentissage magique pour la suite puisqu'il semblait beaucoup plus efficace que lui en ce domaine et que ses résultats étaient plus probants que ceux qu'il avait réussi à obtenir. Monsieur Moreau s'était occupé de demander son autorisation à Monsieur Belforde, une simple formalité puisque le directeur accordait une grande liberté à son protégé à qui il ne refusait pas grand chose.
Cela faisait donc une semaine et demie et trois séances que les cours particuliers d'Eléa avaient été fixés. Ils s'organisaient avec Gabriel selon leurs disponibilités respectives.
Pour le moment, ces cours se déroulaient très bien, même si le trouble et la tension les accompagnaient alors qu'ils se retrouvaient en tête à tête, ce qui ne calmaient pas les taquineries de ses camarades, au contraire, et la jeune fille progressait rapidement, comme l'avait pressentit Gabriel. Elle éprouvait encore de nombreuses difficultés et surtout beaucoup de crainte mais elle était parvenue à doter le sang de la forme qu'elle souhaitait et elle commençait à se remettre de l'événement du réfectoire, même si elle portait une grande attention à ce qu'elle avait dans son assiette depuis.
Si les choses semblaient donc aller ordinairement bien et tranquillement entre les murs de l'institut, il y flottait une tension permanente, bien moins agréable que celle qu'Eléa ressentait en présence de Gabriel, qui pesait lourdement sur les épaules et le crâne de tous.
Sa première cause était évidemment les militants anti-magie qui se réunissaient tous les jours devant la grille pour crier leur opposition à l'existence de cette école et de ses pensionnaires, toujours encouragés et transportés par cette femme intolérante aux cheveux blonds décolorés.
Plus grand monde n'osait quitter la sécurité de l'établissement. Roxanne avait tenté de le faire pour se rendre à son bar favoris et elle avait dû presque en venir en mains pour que les manifestants la laissent en paix. D'après Marianne, qui avait assisté à la scène depuis leur chambre, il n'en aurait pas fallu beaucoup plus pour que l'empoignade se transforme en lynchage public mais Roxanne ne s'était pas laissé impressionner, contrairement à Sylvain qui n'osait plus s'approcher de la grille depuis une semaine.
La jeune fille avait argumenté que la meilleure manière de résister à ces personnes étaient de continuer à vivre et, même si les autres lui donnaient raison, ils ne pensaient pas que aller dans la provocation était une excellente idée. C'était surtout que la jeune fille refusait de se cloitrer dans l'institut. Elle avait besoin de sortir régulièrement pour trouver ses doses d'alcool, de petits amis et d'autres choses, essentielles à son fonctionnement, d'après elle.
Depuis l'arrivée de ce groupe, Eléa recevait tous les jours des appels de sa mère qui voulait s'assurer que tout allait bien, au courant de ces problèmes par l'intermédiaire de l'émission de Marjorie qui, elle, voyait dans la situation actuelle un sujet à exploiter pour son maudit reportage.
Malgré ces événements, qui provoquaient ces impressions de menaces permanentes flottant imperceptiblement dans l'air, tous s'efforçaient de poursuivre leur existence comme si de rien n'était, aussi normalement que possible dans ces circonstances.
Les cours se déroulaient aux horaires ordinaires, les professeurs étaient présents, les cuisiniers confectionnaient les menus, les élèves faisaient leurs devoirs et passaient du temps en petits groupes, Lavande donnait toujours plus de raisons de l'étrangler, Shikou demeurait silencieuse, Salim ne s'approchait jamais et Eléa se défendait des accusations d'amour de Lison après avoir suivi Gabriel du regard mais, en passant dans les couloirs, les regards s'attardaient à travers les fenêtres pour observer ces gens à l'extérieur qui manifestaient contre leur existence même, les mâchoires contractées de colère et d'angoisse.
Cependant, il y en avait un qui ne paraissait guère préoccupé par tout cela et c'était Monsieur Belforde. Jusqu'ici, il ne s'était pas montré pour tenter de rassurer ses pensionnaires ou les membres de son personnel ni pour autre chose d'ailleurs, restant dans son bureau,comme toujours et, d'après ceux vivant à l'institut depuis plusieurs années et qui le connaissaient donc mieux, cela ne lui ressemblait pas. Normalement, il aurait dû être présent, figure protectrice et paternelle rassurante pour tous mais il n'était pas là. Cela faisait d'ailleurs déjà quelques mois qu'il ne participait plus guère à la vie de l'établissement, ce qui faisait répéter à Gabriel, le mieux placé pour juger le comportement du directeur qu'il fréquentait depuis qu'il était nourrisson, que c'était décidément fort étrange, que quelque chose n'allait pas,que cette attitude en était la preuve flagrante.
Tous espéraient que, du haut de son bastion, Monsieur Belforde faisait ce qu'il fallait, jouant de son influence, de ses relations et son talent relationnel pour règler la situation et faire partir ces manifestants.
Sauf que, pour le moment, rien ne changeait vraiment, à part le nombre des manifestants, un peu plus importants ou un peu moins selon les jours. En écoutant les conversations autour d'elle et en posant quelques questions à ses amis, Eléa avait appris que ces circonstances étaient tout à fait exceptionnelles pour l'école. Certes, il arrivait parfois que Monsieur Belforde reçoive des courriers véhéments qui condamnaient son œuvre et ses efforts mais jamais rien de plus. Il s'agissait d'un tout autre niveau aujourd'hui.
Des tractes aux propos anti-magiciens avaient été distribués dans tout le quartier pour "sensibiliser" les habitants à cette dangereuse "menace". Roxanne en avait ramené un d'une de ses sorties.
Comme bien souvent, Eléa ignorait que penser de tout cela. C'était préoccupant, c'était certain, et elle avait également la conviction que la situation ne resterait pas ainsi indéfiniment, quelques semaines encore, tout au plus. Soit elle allait s'améliorer, soit, au contraire, elle empirerait pour de quelconque raisons.
Évidemment, elle espérait que ce serait la première possibilité. Elle en avait assez de se réveiller et d'apercevoir ces personnes, qui jugeaient sans savoir et sans connaître, au pied de la fenêtre. Elle se sentait prise au piège dans ce qui était devenu son foyer et elle détestait cette sensation. Heureusement, elle pouvait compter sur ses camarades et leurs présences pour se soutenir et tenir le coup.
D'ailleurs, ils se rassuraient et se soutenaient tous mutuellement. Tout le monde se sentait éprouvé par ces faits, mais cela n'empêchait pas la vie de s'écouler en continuant et les cours dispensés, même si peu étaient dans l'état d'esprit adéquat pour travailler, que ce soit du côté des élèves ou des professeurs.
Eléa quitta la salle de biologie en soupirant, son trieur serré contre sa poitrine. Elle se doutait d'avoir raté le devoir d'aujourd'hui, ne parvenant pas à se concentrer suffisamment pour répondre correctement aux questions posées. Son esprit revenait toujours à la situation préoccupante qu'ils traversaient actuellement et, d'après les visages de ses camarades sortant derrière elle, elle n'était pas la seule. Tous peinaient à songer à autre chose.
Les membres de la classe échangèrent des regards et des soupirs consternés, agacés et lassés. Seul Sylvain paraissait s'être bien débrouillé, comme toujours et sans surprise. En véritable surdoué, il n'avait pas besoin de beaucoup de concentration, tout lui venait naturellement avec simplicité mais il était soucieux au même titre que les autres, peut-être même davantage avec sa fragilité et sa sensibilité.
Sachant parfaitement comment l'exercice s'était déroulé pour les autres à leur seule attitude, personne ne fit de commentaire ou s'enquit de la réussite de ses camarades et, d'un commun accord, ils se rendirent à l'une des salles de permanence dans le hall du bâtiment principal, ayant une heure de libre.
Avec l'hiver qui approchait et les températures qui chutaient, les cours étaient désertées au profit des intérieurs chauffés et il y avait donc déjà plusieurs autres élèves installés dans la salle, mais il restait encore assez de place pour qu'ils s'assoient autour d'une table. Comme toujours, Shikou et Lavande ne les accompagnèrent pas, Salim se tira une chaise au fond de la salle, loin de tous, et Raphaël se trouvait là sans tellement participer à la conversation, qui n'existait pas vraiment de toute manière.
Tous étaient plongés dans leurs pensées moroses et soucieuses. L'ambiance à la table était plutôt pesante. Même l'énergie et la perpétuellement bonne humeur de Lison semblaient amoindries par les circonstances actuelles et l'habituel sourire d'Alana n'était davantage qu'un rictus amer.
Après plusieurs minutes dans cette atmosphère lourde et désagréable, préoccupée, Lucille rompit le silence en déclarant, ayant besoin de se changer les idées et d'un peu de légèreté malgré la situation et son contrôle raté, ou justement à cause de cela :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 1 : Rouge Sang  [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant