Chapitre 16 - Lavande

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Elisabeth étudia Lavande assise bien droite sur le divan face à elle.
Avec sa robe à volants rose poudré, ses deux chignons sur le côté de son crâne, ses grands yeux pourpres, dont elle papillonnait des cils, et ses mains élégamment resserrées autour de sa tasse thé, elle semblait être l'innocence incarnée, une adorable jeune fille aux allures de petite princesse délicate mais, pour la suivre depuis qu'elle avait treize ans, âge de son entrée à l'institut Belforde, la psychologue savait que ce n'était pas le cas et qu'il ne s'agissait là que d'une apparence en totale contradiction avec le caractère qu'elle dissimulait et que tous lui connaissaient.
D'ailleurs, elle l'avait encore prouvé aujourd'hui.
S'efforçant de rester objective et sans jugement, comme l'exigeait son poste, Elisabeth prit la parole :

« Alors,Lavande, comment crois-tu que va Eléanora maintenant ?
- Toute la bande est partie lui éponger les yeux et lui moucher le nez, elle devrait s'en remettre, la pauvre bichette.
- Eléanora souffre beaucoup de sa magie incontrôlée, elle l'assume très mal, tu sais. C'est cruel ce que tu as fait.
- Oui, je sais. D'ailleurs, elle a raison de mal vivre son pouvoir. C'est une malédiction, tous ceux ici le savent parfaitement.
- Justement, toi, tu devrais comprendre cette douleur et compatir, tu es bien placée pour savoir à quel point ce peut être difficile de naître magicien parfois.
- Vous dites ça parce que ma mère a préféré tenter de me tuer plutôt que d'avoir une enfant aussi différente ? Et en quoi devrais-je comprendre les autres à cause de ça ? Font-ils des efforts pour me comprendre, moi ?
- Tu ne fais pas non plus grand chose pour les encourager à venir vers toi et à te comprendre comme tu le réclames.
- Parce que ce serait à moi de faire le premier pas ? Et pourquoi ? Quand Eléa est partie, ils se sont tous précipité et quand cette lavette de Sylvain pleure, ils sont tous autour de lui alors que personne n'est là lorsque, moi, je pleure, tout le monde s'en fout et je reste seule avec mes larmes !
- Nous en revenons au même sujet : tu ne fais rien pour que les autres veuillent te soutenir. D'ailleurs, tu ne leur montres jamais ta faiblesse aux autres, tu es toujours cruelle alors...
- Alors que je devrais pourtant comprendre la souffrance des autres ? J'ignorais que voir son père se faire trancher la gorge rendait empathique. Moi, j'en ai marre de les voir vivre et sourire comme si tout allait bien alors que cette existence, celle de magiciens, est une torture perpétuelle ! Si j'avais été normale, rien de tout ça ne serait arrivé ! Pourquoi ne souffriraient-ils pas comme moi j'ai souffert et comme je souffre encore ?
- Ce n'est pas une solution. En réfléchissant comme ça, tu t'enfermes dans ce fonctionnement nocif pour toi et pour les autres. Sans compter que ça te plonge toujours plus bas et il arrivera un jour où tu ne pourras plus faire marche arrière, ce sera trop tard et tu seras coincée dans ce cercle infernal. Ne penses-tu pas qu'il serait plus sain et agréable de te faire des amis, d'accepter cette douleur pour aller de l'avant, d'être sympathique et de recevoir de l'affection en retour ?
- Je ne sais pas. Je crois que je ne saurais pas faire de toute façon. On ne m'a jamais montré comment m'y prendre. Après tout, la seule personne qui m'ait jamais manifesté de l'affection, comme vous dites, s'est faite tuer sous mes yeux par ma mère en tentant de me protéger d'elle. Bon, je crois que nous avons bien fait le tour pour aujourd'hui ! Je peux y aller ? »

Elisabeth soupira par les narines.
Elle aurait apprécié poursuivre leur entretiens et creuser encore sur les sujets de son caractère et de son fonctionnement personnel, chose dont elles parlaient régulièrement, mais elle savait que ce serait inutile puisque, lorsque Lavande décidait que la conversation était terminée, impossible de la faire changer d'avis et de lui arracher un mot supplémentaire. Sans compter que la brusquer et l'obliger à s'exprimer serait nuisible et mauvais pour la jeune fille alors elle lui fit signe qu'elle pouvait s'en aller, ce que Lavande fit sans attendre.
La psychologue rangea le dossier de la jeune fille dans le meuble prévu à cet effet et se prépara à son prochain rendez-vous.


Les Yeux du Pouvoir - Tome 1 : Rouge Sang  [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant