Chapitre 12 - Rapport d'audience

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La petite salle de détente, comme l'appelait l'étiquette scotchée sur la porte, était bondée et bruyante, pleine d'adolescents agités. La plupart faisant face au vieux poste de télé posé sur un meuble au contreplaqué partiellement arraché en se moquant, souvent de manière assez vulgaire, des acteurs jouant dans les publicités.
Au fond de la pièce, deux garçons jouaient au baby-foot à grands renforts de hurlements et de provocations minables. La partie commençait à dégénérer, les deux joueurs délaissant les poignées pour se faire face, les torses bombés comme deux coqs cherchant mutuellement à se prouver leur supériorité. L'affrontement était proche mais l'un des éducateurs qui surveillaient les pensionnaires se chargea rapidement d'y mettre un terme en les séparant et il les envoya tout deux en isolement.
Personne ne releva véritablement l'incident qui était du genre courant ici. De toute manière, il y avait trop d'agitation pour s'apercevoir de ce qu'il se passait à l'autre bout de la salle.
Au milieu de tout cela, était assise une jeune fille sur une chaise en plastique inconfortable avec les pieds croisés sur une table. Ne participant pas au désordre ambiant, elle lisait calmement sur son téléphone, les écouteurs dans les oreilles, s'isolant du reste.
Pourtant, elle n'était pas réellement rejetée par les autres. Ici, il suffisait de se faire respecter pour se faire accepter et, elle,elle avait su s'y prendre. Elle tenait simplement à sa tranquillité et ne souhaitait pas qu'on l'importune.
Ce qui ne l'empêcha pas de répondre au cheek amical que lui proposa l'un de ses camarades en passant à côté d'elle sans relever le regard, absorbée par sa lecture, mais elle s'en arracha car quelqu'un d'autre l'interpella en se tournant vers l'écran et augmentant le volume depuis la télécommande :

« Eh, Nolwenn, regarde, c'est ta nouvelle crèche !

La jeune fille délaissa son roman, fermant le fichier et coupant sa musique, pour relever ses yeux d'un orange vif sur l'écran sur lequel s'affichait le titre de l'émission L'institut Belforde, sur fond d'un bâtiment en briques brunes aux allures de manoir victorien, bien plus beau et plaisant que ce foyer pour ados en difficultés.
La seule envie de Nolwenn était de s'y rendre sans attendre des semaines que l'administration fasse suivre son dossier.
Lorsqu'elle avait contacté le directeur Belforde, elle ne s'attendait pas vraiment à obtenir une réponse mais il avait fait le nécessaire pour l'intégrer à ses effectifs et elle allait pouvoir sortir de cet enfer pour une nouvelle vie, du moins, elle l'espérait. Elle n'en pouvait plus de cette vie dans ce foyer où elle venait de passer trois ans.
Plongée dans sa lecture, elle avait raté le générique et n'avait pas vu défiler les visages et les noms de ses futurs camarades puisque, âgée de dix-sept ans, elle serait placée dans la classe des plus âgés, mais elle préférait. Elle souhaitait les rencontrer directement et pas les pré-connaître à travers une stupide émission voyeuriste de télévision.
Elle s'apprêtait donc à quitter la salle de détente pour regagner sa chambre où lire paisiblement mais l'un de ses camarades la retint.
Un bras autour de ses épaules, il lui lança :

- Une fois là-bas, tu nous fileras le numéro de tes copines, en souvenir du bon vieux temps !
- Ça, c'est pas le bon vieux temps. Ce sera bien lorsque je serai là-bas. »


Installé dans le canapé devant l'écran plasma de la télévision, calé dans l'angle contre le dossier et l'accoudoir avec son ordinateur sur les genoux, Adriel cherchait un programme pas trop mauvais à se mettre en fond sonore pendant qu'il travaillait sur son dossier pour la fac.
Essayant les numéros de chaines les uns après les autres, il chercha quelque chose puis tomba sur le début du reportage consacré à l'institut Belforde.
Adriel connaissait cette école pour vivre à Saint-Théophile des Mines dans un appartement en périphérie du centre-ville. Il passait parfois devant dans ses déplacements.
Lui, il n'était pas magicien, ses yeux étaient d'un beau brun caramel velouté, mais il se sentait assez intéressé par le sujet, attiré par cet établissement comme si quelque chose le concernant s'y trouvait, quelque chose d'impossible à identifier qui l'attendait. Comme s'était incompréhensible et aussi un peu stupide, à son avis, il s'obligeait à ne pas y songer et ne se renseignait jamais sur ce propos mais, aujourd'hui, alors que cette émission venait par hasard de s'afficher sur la télévision de leur petit salon, il désirait en apprendre un peu plus.
Oubliant son dossier, il augmenta légèrement le volume en regardant l'écran alors que le générique débutait. Le jeune homme observa les visages qui défilaient sur l'écran.
L'un l'intrigua particulièrement et il se pencha vers l'écran. Il trouvait que le jeune homme dont le portrait venait d'apparaître lui ressemblait étrangement mais il n'eut guère le temps de s'interroger.
Entrant dans le salon depuis la cuisine, sa mère avisa le reportage que diffusait la télé et elle s'exclama en invoquant le nom du Seigneur.
Ne souhaitant pas provoquer un incident et un scandale familial qui le forcerait à subir les sermons et les remontrances de sa mère, Adriel éteignit l'écran et, fermant son ordinateur pour le porter sous son bras, il alla pour retourner dans sa chambre dans le petit couloir à côté du poste de télévision.
Avant qu'il ne s'y engouffre, sa mère lui signalant en portant la main au crucifix en or qu'elle portait autour du cou :

« C'est l'engeance du démon. »

























Les Yeux du Pouvoir - Tome 1 : Rouge Sang  [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant