Chapitre 21 -Duo d'enquêteurs

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Eléa gardait le regard bas, se sentant incapable de regarder qui que ce soit autour d'elle, revoyant sans cesse les yeux vides de Ludovic au milieu du sang dans son esprit.
Après qu'Alana soit partie chercher du secours et alors que Lucille s'épanchait contre son épaule, la jeune fille était revenue, essoufflée, en compagnie d'un surveillant et de Monsieur Moreau. Ces derniers ne l'avaient pas cru lorsqu'elle leur avait annoncé qu'il y avait un mort dans le dortoir mais, comme elle avait insisté et était hystérique, ils avaient fini par accepter de la suivre et ils avaient constaté avec horreur qu'il ne s'agissait pas d'une mauvaise plaisanterie.
La suite était un peu brouillée dans l'esprit d'Eléa, noyée dans l'agitation.
Lucille avait été évacuée vers l'infirmerie pour qu'on lui donne quelque chose pour l'aider à s'apaiser pendant qu'Eléa et Alana demeuraient sur place, interrogées par Monsieur Moreau en panique, mais elles n'avaient rien pu lui dire puisqu'elles ne savaient rien. Elles avaient seulement trouvé le cadavre alors qu'elles cherchaient Lucille, s'inquiétant pour elle.
S'efforçant de conserver son calme, le professeur avait prit les choses en main. Il avait prié le surveillant d'aller avertir le directeur de toute urgence. N'attendant pas que Monsieur Belforde soit au courant de la tragédie et donne ses directives, il avait ensuite appelé lui-même la police depuis son portable, étant aussi précis que possible, le regard sans cesse involontairement attiré par le corps baignant dans son sang qui coagulait lentement.
Eléa et Alana non plus n'étaient pas parvenu à se détacher de cette vision d'horreur mais, professeur protecteur envers ses élèves, Monsieur Moreau les avait entraînées à l'écart, de l'autre côté de l'angle pour qu'elles ne le voient plus. Cependant, il leur avait expliqué que la police lui avait demandé à ce qu'elles restent dans les parages pendant que lui-même se chargeait d'éloigner d'éventuels autres pensionnaires qui se seraient approché.
Eléa avait admiré sa maîtrise de lui-même et sa capacité à songer à ce genre de détails alors qu'il était lui-même bouleversé et sous le choc, comme en avaient témoigné les tremblements de ses mains qu'il s'était passé sur le visage, semblant soudainement plus âgé.
Ça avait donc été à trois qu'ils avaient assisté à l'arrivée de la police. D'abord, des officiers en uniformes, qui avaient effectué les premières constatations d'usage, délimité la scène de crime puis pris rapidement les témoignage avant que les chargés de l'enquête ne le fassent de manière plus approfondie.
Ensuite, était venue l'équipe scientifique, vêtue de combinaisons blanches. Le cadavre de Ludovic avait été emballé dans un grand sac en plastique noir et Eléa avait commencé à se sentir très mal. Le remarquant et jugeant qu'il était inutile qu'elles n'en supportent encore davantage, Monsieur Moreau s'était tourné vers les agents et leur avait signalé qu'elles n'avaient plus besoin de rester et qu'elles avaient besoin de se reposer. Les officiers avaient accepté mais ils leur avaient ordonné de leur remettre leurs vêtements qu'ils devraient faire examiner. Acquiesçant, les deux jeunes filles avaient regagné leurs chambres, seulement à quelques mètres.
Eléa s'était empressé de se débarrasser de la tenue qu'elle portait, non pas pour accéder à la demande de la police mais plutôt car elle n'avait pas voulu garder de sang sur elle et elle s'en était tachée en s'efforçant de réconforter Lucille.
Elle avait eu besoin de se retrouver sous la douche pour commencer à se sentir vaguement mieux. L'eau chaude roulant sur sa peau avait délassé ses muscles et apaisé mais n'avait pas effacé l'image du cadavre de son esprit.
Elle sortait à peine, rhabillée d'un pantalon de jogging et d'un sweat confortables, lorsqu'on avait tambouriné à la porte. Seule dans la chambre, elle avait ouvert pour tomber face à Gabriel, visiblement paniqué et inquiet. Il avait dû apprendre la nouvelle de la découverte du cadavre de Ludovic et l'identité de celles qui l'avaient trouvé, soit grâce à sa relation privilégiée avec le directeur ou bien car les rumeurs s'étaient déjà rependues dans l'établissement.
Le jeune homme avait paru soulagé de constater qu'elle semblait assez bien tenir le coup, bien qu'elle était évidemment affectée. S'enquérant de son état, question à laquelle la jeune fille avait haussé les épaules sans rien préciser de plus, ignorant que dire de plus, il lui avait demandé si elle avait besoin de quelque chose, et elle avait une nouvelle fois haussé les épaules.
Tout se bousculait dans sa tête et elle avait peiné à qualifier exactement son état et ce qu'elle ressentait. En tous cas, une forte fatigue s'était abattue sur ses épaules et elle avait éprouvé le besoin de se rouler en boule sous sa couverture, chose qu'elle n'aurait jamais fait devant Gabriel en temps normal mais, les choses n'étaient clairement par ordinaires. Alors, elle s'était lourdement laissé tomber sur son lit.
Comprenant parfaitement et compatissant, Gabriel n'avait rien dit et, devinant qu'elle préférerait ne pas rester seule, même si elle n'en dirait rien, il lui avait promis de veiller sur elle.
Elle n'avait pas eu le temps d'être touchée ou troublée, ce qu'elle n'aurait pas été à cause des circonstances, car on avait de nouveau frappé à la porte. Cette fois, Gabriel s'en était chargé pour permettre à Eléa de rester couchée et de se reposer, attention plutôt inutile puisqu'il avait ouvert à un officier qui avait exigé qu'elle l'accompagne pour être interrogée.
Inquiet et protecteur, un peu trop peut-être d'ailleurs, Gabriel avait proposé de l'accompagner, ce que le policier avait refusé catégoriquement. Le jeune homme n'avait guère apprécié mais, avant qu'il ne puisse s'opposer, le directeur l'avait fait demander pour l'aider à avertir les familles des pensionnaires, préférant le faire lui-même plutôt qu'elles n'apprennent la tragédie par les informations. À contrecœur, Gabriel avait laissé Eléa, alors qu'elle avait pourtant besoin de lui, il en était certain, que l'agent avait conduit à la salle d'attente de la psychologue dont le bureau avait été réquisitionné pour servir aux enquêteurs.
Eléa y patientait donc depuis un bon quart d'heure avec Alana, un peu moins hystérique, mais qui marchait de long en large alors que ses mains étaient secouées de mouvements nerveux, agitée, et de Lucille, qui s'était changé elle aussi. Assise à côté d'Eléa, elle se balançait d'avant en arrière, les bras resserrés autour d'elle, le regard fixe et vide, toujours en état de choc malgré les soins de l'infirmière de l'école. Eléa aurait souhaité faire quelque chose pour elle mais elle ignorait quoi et comment.
De temps à autre, des éclats de voix leur parvenaient depuis le bureau pourtant fermé. Monsieur Moreau s'entretenait avec les chargés de l'enquête, qu'elles n'avaient pas encore rencontré.
Protecteur envers ses élèves déjà fortement éprouvées, il refusait qu'elles soient questionnées et que leur existence soient étudiées sans aucun représentant de l'administration ou du personnel de l'établissement en général pour les soutenir et s'assurer que les policiers n'abusent pas de leur autorité mais chacune des trois jeunes filles étaient majeurs alors rien ne justifiait pareilles exigence, à moins que l'une d'entre elles n'en formule la demande explicite. Sauf que le professeur n'était pas satisfait de cette réponse. Il voulait que quelqu'un soit obligatoirement présent avec elles.
D'ailleurs, Elisabeth, qui participait au débat, bien qu'elle reste un peu en retrait, puisque c'était son bureau, se proposait d'accompagner les jeunes filles si elles le souhaitaient mais cela ne suffisait toujours pas à Monsieur Moreau et aucun des deux partis ne réussissaient à s'accorder.
Eléa l'entendait bien par les bribes de conversations qu'elle captait et l'attente se prolongeait. Elle espérait que le désaccord n'allait pas encore durer car elle en avait assez.
Elle voulait seulement retourner dans sa chambre,s'enfouir sous ses draps pour oublier tout ça, la fuite semblant décidément être une réaction réflexe chez elle lorsque la situation lui échappait et ça lui déplaisait. Affronter les choses frontalement n'était pas vraiment quelque chose qu'elle savait faire, ayant plutôt apprit à supporter les choses en serrant les dents. Elle préférait de loin se blottir contre son oreiller avec la présence rassurante de Gabriel à côté d'elle.
D'ailleurs, en songeant à Gabriel, ce dernier apparu au détour du couloir avec trois tasses dans les mains. S'arrêtant de s'agiter en le voyant, Alana se tourna vers lui alors qu'il déposait les tasses sur la table basse en écartant les différentes revues. Il avait pensé que quelque chose de chaud pourrait leur faire du bien et il ne pouvait pas faire grand chose de plus.
Il adressa un sourire un peu tiré, bien loin de son masque coutumier, aux jeunes filles et son regard avisa l'attitude de Lucille. Son visage se fit alors fort inquiet. Il s'approcha d'elle en l'appelant, s'efforçant de la tirer de sa torpeur d'une voix douce. Le laissant faire, le jugeant plus apte à apaiser Lucille qu'elle, Eléa se saisit de la tasse que Gabriel avait déposé dans sa direction.
Elle n'avait pas besoin d'en regarder le contenu pour identifier le chocolat chaud. L'odeur lui suffisait. Comment Gabriel savait-il qu'elle appréciait beaucoup cette boisson ? Aurait-il remarqué que c'était ce qu'elle buvait à chaque petit déjeuner ?
Ce n'était guère important pour l'instant. Tout en sirotant sa tasse, qui la réchauffa doucement et lui fit effectivement du bien, la jeune fille vérifia les résultats de Gabriel avec Lucille mais il n'obtenait guère de succès malgré ses efforts.
Le constatant également, Alana serra les poings et se dirigea vers la porte du bureau à grands pas sous le regard sanguin d'Eléa et y tambourina à forts coups.
Elle n'attendit pas qu'on lui ouvre ou qu'on lui réponde pour s'exclamer, plutôt véhémente :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 1 : Rouge Sang  [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant