Chapitre 26 - Les joies de la garde à vue

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Allongé sur la couchette au matelas plus confortable que ce qu'on pouvait supposer, les bras sous la nuque et les yeux clos, Salim se demandait comment les choses allaient tourner pour lui à présent. Il était clair qu'il se trouvait en fort mauvaise posture.
Être découvert à côté d'un cadavre encore chaud ne contribuait pas à paraître innocent, mais qu'y pouvait-il ? Il n'allait tout de même pas nier qu'il s'y trouvait alors qu'il avait été arrêté sur les lieux du crime devant la majorité de sa classe.
Il ne pouvait pas reprocher à ses camarades de l'avoir dénoncer après cette scène, bien que ça avait été involontaire de leur part. En crise de panique, revivant douloureusement l'événement de la semaine passée, Lucille avait hurlé, extériorisant son horreur, ce qui avait été d'ailleurs le seul but de ce cri, pas d'avertir quelqu'un de ce qu'il s'était passé. Sauf qu'un hurlement en pleine nuit se repérait et s'entendait, résonnant dans le silence, et plusieurs personnes, notamment les policiers placés par les deux inspecteurs, avaient accouru et, évidemment, les apparences avaient été contre Salim.
Ça avait été le même déroulement qu'une semaine plus tôt : les officiers qui avaient délimité la scène de crime, pris les dépositions des témoins, cette fois plus nombreux et avaient prévenu leurs supérieurs.
La seule différence ici était que quelqu'un avait été arrêté pour le meurtre et ça avait été menottes aux poings et escortés de policiers que Salim avait quitté l'institut, sous l'œil d'une bonne partie des pensionnaires et du personnel. En réalité, il n'avait pas été officiellement inculpé pour les assassinats, les preuves contre lui manquaient, surtout pour le premier. Il avait seulement été conduit en garde à vue pour un temps indéterminé, au moins pour la nuit, puisqu'il ne serait interrogé par les inspecteurs que le lendemain.
Comme il n'avait pu être conduit en prison à cette heure tardive, ils l'avaient installé en cellule de dégrisement. On lui avait apporté un repas,un simple sandwich auquel il n'avait pas touché. Comment avoir faim après une soirée pareille ?
Il avait refusé que quelqu'un de sa famille soit prévenue et avait précisé, un peu stupidement et candidement, qu'il ne souhaitait pas d'avocat non plus. Il ne voulait voir personne. Au moins ici, dans cette cellule équipée d'un confort minimum, on ne l'approchait pas et les visions lui accordaient donc un peu de répit, comme il le désirait tant, bien qu'il ait vu le policier qui lui avait retiré les menottes passer à travers son pare-brise lors d'un accident. Ce qu'il aurait aimé demander, en revanche, était de quoi dessiner pour transposer cette image sur le papier et se la sortir de la tête mais son orgueil ainsi que sa mise à l'écart lui avaient interdit de quémander de la sorte.
Alors il se contentait de fermer les yeux en s'efforçant de l'oublier, sans succès. Il ne les oubliait jamais, aucune d'entre elles. Elles ne s'effaçaient jamais, elles restaient toujours dans son esprit. Avec le temps, la seule conséquence était que les images se mélangeaient les unes aux autres et, ce soir, allongé à seulement attendre que le temps passe, puisque le sommeil le fuyait, elles repassaient sur ses paupières closes. Luttant contre, il triturait la couverture recouvrant sa couchette, les mâchoires contractées. Il n'en pouvait plus de toutes ces images tortionnaires. Parfois, il se questionnait sur leur utilité.
Avaient-elles un but ? Devait-il empêcher ces morts de se produire ?
Il ne le pensait pas, au vu de la manière dont s'était soldé sa tentative. Le seul objectif de ces visions semblait bien être de le faire souffrir.
Du fond de cette cellule, il se demandait comment il avait pu tenir aussi longtemps. En s'habituant ?
Certainement pas car la douleur était toujours aussi intense, bien qu'il paraissait s'être endurci, mais uniquement à l'extérieur car, à l'intérieur, tout était déchiré en lambeaux. Il avait beau éviter tout contact quelconque avec autrui autant que possible, il y en avait toujours un qui s'établissait au détour d'un couloir, dans une bousculade, dans un frôlement de vêtements, lors d'un exercice collectif en sport. C'était le problème de vivre dans une institut dont le but était l'éducation et la sécurité d'autant de jeunes magiciens que possible. Il y avait toujours du monde partout, difficile de rester tranquille plusieurs heures, surtout lorsque l'on fréquentait une classe, certes la moins fournie de l'établissement, mais il était tout de même constamment entouré de personnes extérieures susceptibles de le toucher à tout moment, par accident évidemment puisqu'il ne permettait pas qu'on le fasse volontairement et son comportement agressif dissuadait quiconque de le faire.
Du moins, presque, car il y en avait un qui ne renonçait pas malgré tous les échecs qu'il avait essuyé et essayait. C'était évidemment Raphaël. Il venait toujours lui proposer de se joindre au reste de la classe, se plaisait à venir le voir.
Salim aurait pu croire qu'il l'appréciait mais il se doutait que, avec l'attitude désagréable qu'il adoptait en permanence, c'était impossible. En revanche, l'inverse était plus que possible et Salim appréciait Raphaël. C'était justement pour quoi il le repoussait certainement encore plus violemment que les autres : car le garçon silencieux à l'incroyable discrétion comptait pour lui d'une certaine manière, car il trouvait qu'ils se ressemblaient un peu, et il ne voulait donc pas voir quoi que ce soit le concernant, encore moins que pour les autres. Le seul moyen de ne jamais risquer d'entrer en contact avec d'autres serait de s'enfermer seul, totalement en exile, plus que le plus extrémistes des misanthropes.
Sauf qu'il était incapable de le faire. Ce n'était pas qu'il n'aurait pas su s'adapter et survivre dans des conditions hostiles loin de tout et de tous. Après tout, tout n'était qu'une question de volonté et, il devait au moins le reconnaître, ces insupportables visions avaient l'avantage de lui en forger une d'une surprenante résistance, à l'épreuve de beaucoup de choses. Il aurait pu pourvoir à sa survie dans un milieu sauvage avec quelques efforts mais il ne supporterait jamais la solitude.
Si il parvenait tant bien que mal à supporter les scènes d'horreur qui se rejouaient sans cesse dans son esprit, une existence de solitaire le rendrait fou. Certes, il ne se considérait pas comme quelqu'un de sain d'esprit, ce serait même l'inverse, mais il s'était toujours efforcé de conserver une once de santé mentale, qu'il percevait là,au fond de lui, mais il savait, il était persuadé, que la solitude lui ferait franchir la limite et aurait raison de cette puissante volonté pour le plonger dans un abîme d'illusions et de délires.
Alors, il demeurait à l'institut Belforde en espérant que, enfin, apparaisse un moyen de stopper ces visions et qu'il pourrait protéger sa famille et ses proches en y restant, coupé du reste du monde qui ne pénétrait pas dans l'établissement, se marginalisant par son comportement détestable.
Un bruit au niveau de la grille fermant sa cellule le tira de ses pensées et il se redressa pour s'enquérir de quoi il s'agissait. On venait de glisser un plateau chargé de ce qui composait son petit déjeuner dans l'ouverture prévue à cet effet.
Abîmé dans ses réflexions au ton sombre, il n'avait eu aucune conscience du temps passé et il ne s'était ainsi nullement aperçut de son écoulement. Il faisait jour.
Depuis quelques minutes ou des heures ? Impossible pour Salim de le déterminer. Tout ce qu'il savait était qu'il n'avait presque pas dormi.
Qu'importe, ce ne serait pas la première fois ni la dernière. De toute manière, lorsqu'il s'endormait, les cauchemars l'envahissaient, bien qu'ils continuaient même lorsqu'il était éveillé, en un sens.
Combien de temps allait-il rester ici ? Qu'allait-il se passer pour lui ?
Dans un soupir, se doutant des réponses fournies par sa situation précaire, il tira à lui son plateau et le posa sur ses genoux. Fourchette en main, il s'apprêtait à prendre une bouchée mais il suspendit son geste alors qu'il s'apercevait qu'il n'avait pas faim. Il avait rarement réellement envie de manger et ne le faisait plus par besoin vital que par désirs, ces visions les lui retirant presque tous, mais, aujourd'hui, il se sentait particulièrement incapable d'avaler quelque chose, la gorge nouée et obstruée, le ventre lesté de plomb, que se soit à cause de sa situation actuelle ou de l'évènement qui l'y avait conduit.
Il posa le plateau à côté de lui, le repoussant sans y toucher. Peut-être trouvait-il davantage d'appétit plus tard.
Il regarda autour de lui et, n'ayant rien d'autre à faire, il s'installa contre le mur, une jambe remontée contre sa poitrine, pour attendre, les yeux clos, s'efforçant de chasser toutes ces images sanglantes de son esprit,sans grand succès, comme toujours. Cependant, il n'eut pas à patienter bien longtemps seul dans cette cellule avec sa torture perpétuelle car quelqu'un vint le chercher.
De l'autre côté des barreaux, Salim reconnu l'inspectrice chargée, avec son collègue, de mener l'enquête sur le meurtre, ou plutôt sur les meurtres puisqu'ils s'élevaient au nombre de deux à présent, commis à l'institut. Julie Guyon, si il se souvenait bien.
Grace à une carte magnétique, elle déverrouilla la porte de la cellule. Salim n'attendit pas qu'elle le lui ordonne pour sortir et la rejoindre, ne souhaitant pas la forcer à venir le chercher, non pas par politesse ou pour bien se faire voir et ainsi adoucir ou arranger son cas, mais pour éviter le contact et donc une vision supplémentaire. Il n'en avait vraiment pas besoin pour l'instant.
En revanche, il se montra beaucoup moins coopératif et conciliant au moment de tendre ses poignets pour se laisser menotter car l'enquêtrice serait obligée de le toucher pour ce faire, augmentant les risques de vision, mais il ne pouvait pas s'y soustraire.
L'inspectrice serra ses doigts autour de son bras pour refermer le premier bracelet métallique autour de son poignet gauche. Salim ferma les paupières en se concentrant, se préparant à subir les images qui l'assaillirent en quelques secondes. Au moins, cette fois, il ne vit pas d'assassinat ou d'accident sordide et tragiques, seulement une crise cardiaque après de longues années de service et une retraite bien consommée.
Ce n'était pas moins difficile pour autant et il dû retenir ses larmes. Ne manquerait plus qu'il éclate en sanglots en plein milieu d'un poste de police devant plusieurs officiers. Heureusement, il pouvait compter sur ses lunettes pour camoufler son regard luisant.
Tentant de se focaliser sur autre chose pour se défaire de ces images qui encourageaient toutes les autres à remonter, il se concentra sur les menottes, qui reliaient ses poignets entre eux, et sur l'éclat qu'elles projetaient.
Toujours pour fuir le contact, il se mit en marche de lui-même sans que l'inspectrice n'ait à le forcer ou à le lui ordonner, la suivant jusqu'à un autre couloir où s'ouvraient des portes numérotées que Salim devina être des salles d'interrogatoire et, effectivement, lorsque Julie Guyon en ouvrit une, il découvrit une table encadrée de trois chaises, une d'un côté et deux de l'autre. En revanche, aucune glace sans teint n'était encastrée dans le mur du fond, comme on en voyait dans les séries télévisées. À l'intérieur patientait le coéquipier de l'inspecteur Guyon, adossé contre le mur avec les bras croisés sur la poitrine avec son costume bon marché.
À son entrée, il vrilla son regard de plomb sur Salim, comme si il cherchait à percer sa carapace, qui lui permettait de tenir et de supporter son existence douloureuse, pour observer ce qu'il était directement à l'intérieur, déterminer si il était coupable ou juste un gamin instable au mauvais endroit au mauvais moment, comme Lucille.
D'ailleurs, jamais cette dernière n'avait été réellement soupçonnée parce que, pas même deux inspecteurs entraînés à suspecter tout et tous ne pouvaient la croire coupable d'un meurtre tant elle incarnait la douceur, la gentillesse et l'innocence. Il leur avait suffit de quelques minutes d'entretien avec elle et de l'avis de la psychologue de l'institut pour qu'ils la rayent de la liste des suspects, là où Salim se trouvait en mauvaise position.
Lui, en revanche, avait plus l'apparence du coupable que du pauvre témoin choqué. Il fallait dire qu'il y avait de nombreux éléments plaidant en sa défaveur.
Obéissant toujours avec un temps d'avance pour éviter tout contact, avec l'un ou l'autre des inspecteurs,qu'il ait vu le décès de Julie Guyon ne signifiait nullement qu'il pouvait la toucher sans risque – les visions se répétaient et se rejouaient dans son esprit à chaque nouveaux contact avec la personne concernée – il prit place sur la chaise solitaire, qu'il écarta de la table, s'éloignant de ses deux interlocuteurs.
L'inspecteur Guyon s'installa face à lui avec dans les mains ce qui devait certainement être son dossier composé de ses examens médicaux, son parcours scolaire, les informations sur sa famille et toutes les évaluations psychologiques qu'on lui avait fait passer, à l'hôpital, à l'institut ou au centre pour jeunes en difficulté. Les enquêteurs avaient dû se régaler en les lisant.
Quant à l'inspecteur Carmody, il demeura immobile contre le mur à fixer Salim de ses yeux glacials. Ce regard aurait mit n'importe qui mal-à-l'aise, y compris Salim, si, avec ses pouvoirs et toutes ces images, il n'avait pas été endurci et capable d'encaisser beaucoup. Il en fallait donc davantage pour l'impressionner ou le déstabiliser, plus qu'un simple regard, qu'il soutint sans ciller ni rien dire. Il ne comptait pas s'exprimer de toute manière. Les aveux ne lui semblaient clairement pas de mise.
Quant à se justifier, s'expliquer, pour quoi faire ?
Cela ne ferait que le desservir au lieu de l'innocenter. Aborder le sujet de sa magie, des visions qui le hantaient, n'était pas une bonne idée, il le savait d'expérience. En général, et au mieux, les gens étaient effrayés et le fuyaient. Il arrivait aussi qu'on le prenne pour un envoyé de la mort et qu'on pense qu'il causait ces décès qui lui apparaissaient, il se faisait alors cruellement chasser. Alors, il se taisait et attendait de voir ce que les inspecteurs souhaitaient lui demander.
Avant de réellement débuter cette séance d'interrogatoire, puisqu'il ne s'agissait pas d'autre chose, l'inspecteur Guyon tendit son téléphone à Salim, le faisant glisser sur la table en lui proposant d'appeler quelqu'un, sa décision de n'avertir personne ayant pu évoluer durant la nuit, mais le jeune homme refusa en secouant négativement la tête de gauche à droite, toujours silencieux. La jeune femme récupéra l'appareil qu'elle fit disparaître dans sa poche et la foire aux questions débuta.
Quelle que soit l'interrogation, Salim ne fournissait pas de réponse. Cela n'aurait servi à rien de son point de vue. Soit il avouait, ce qui serait pire que tout le reste, soit il gardait le silence, comme présentement, car raconter ce qu'il s'était passé, la vérité en somme, se serait mauvais, les réactions des deux inspecteurs seraient aux antipodes des espérances qu'il aurait fondé.
Déjà que des magiciens prenaient peur et le condamnaient uniquement à cause de sa magie, comment des non-magiciens pourraient davantage le comprendre et ne pas l'accuser sur ce seul motif ?
Il était en fort mauvaise position de toute manière alors autant éviter de l'aggraver encore par des préjugés et des superstitions.
L'inspecteur Carmody tenta bien d'insister, de l'impressionner et de l'écraser de sa présence, jouant les méchants flics, alors que sa collègue, elle, adoptait un comportement qui se voulait amical, douce et soit-disant compréhensive, compatissante, dans le rôle de la gentille flic. Cependant cette stratégie, par ailleurs fort connue, n'eut aucun succès et ils n'obtinrent par la moindre réaction, Salim demeurant silencieux comme il l'avait décidé en arrivant.
Avec toutes les horreurs qui tournaient en permanence dans son crâne, il ne suffisait pas de deux inspecteurs pour l'effrayer et le pousser à s'ouvrir. D'ailleurs, avec lui, l'obliger à s'exprimer avait plutôt l'effet inverse et il avait donc tendance à davantage se refermer.
En désespoir de cause, l'inspecteur Carmody frappa de la paume contre la table, signalant à Salim, qu'ils savaient déjà qu'il était coupable de ces meurtres alors se taire était inutile et qu'il ne faisait que confirmer qu'il était un sale type en s'obstinant ainsi dans le silence sans offrir aux familles des victimes de faire leur deuil, les laissant dans l'incertitude. Salim ne réagit toujours pas. Cette vaine tentative pour l'apitoyer, le saisir par les sentiments en invoquant les proches des morts et leur souffrance, échouait totalement.
Encore une fois, avec toutes ces images morbides dans sa tête, il avait apprit à se détacher de ce genre de sentimentalisme.
Au lieu donc de se préoccuper des paroles et des essaies des deux enquêteurs, Salim s'intéressa davantage à la pièce autour de lui, n'écoutant guère plus ses deux interlocuteurs. Il remarqua quelque chose dont il ne s'était pas aperçu plus tôt, focalisé sur son intériorité, un tableau en liège installé contre le mur en face de lui sur lequel était affichées différentes photos, de personnes ou des deux scènes de crime, quelques documents ainsi que plusieurs prises de notes.
Salim avisa sa photo, celle de son dossier de l'institut Belforde, mais loin de celles des deux victimes. En plus petit, il y avait également celles des témoins, une grande partie de la classe,mais Salim fut plus intéressé par les questionnements listés sous le portrait des victimes.
Apparemment, les inspecteurs recherchaient un lien entre les deux macchabées, un point commun qui pourrait expliquer les meurtres, un mobile, mais ils ne trouvaient rien, à part le lieu de leur décès, qui était tout de même étendu.
Salim fut soulagé de cette constatation car, sans mobile, les inspecteurs ne pouvaient guère l'inculper officiellement, mais était-ce réellement une bonne chose ?
Enfermé au fond d'une cellule derrière des barreaux, il ne risquait pas d'entrer en contacte avec grand monde sans pourtant subir les affres de la solitude. C'était peut-être la solution... Il suffit de quelques seconde pour que le jeune homme abandonne cette idée. C'était stupide.
En prison, il serait constamment entouré, que ce soit par les autres détenus ou les gardiens, sans compter qu'il partagerait une minuscule cellule avec cinq autres individus, certainement dangereux, et il n'aurait pas le loisir de se mettre à l'écart pour esquiver les contactes au maximum ou bien se réfugier dans un coin isolé pour quelques heures de répit.
Non, se laisser incarcérer pour ces meurtres était stupide et se serait pire donc il n'allait pas reconnaître ces meurtres.
Quittant ses réflexions dans lesquelles il s'était une nouvelle fois perdu pour quelques minutes, Salim revint sur les inspecteurs qui, lassés de ne rien obtenir et comprenant qu'il était inutile de s'acharner pour rien, décidèrent de suspendre l'interrogatoire qu'ils reprendraient plus tard, selon l'utilité de la chose.
Bougeant avec un temps d'avance pour éviter qu'on ait à le toucher, il se leva et se dirigea vers la porte où il attendit qu'on le reconduise à sa cellule sans que l'un des deux inspecteurs n'aient à le lui ordonner.
Comme pour l'allée, ce fut l'inspecteur Guyon qui l'accompagna sans rien dire, réfléchissant à l'affaire, ce qui convenait parfaitement à Salim. Elle le libéra de ses menottes et ouvrit la cellule, dans laquelle il entra sagement, avec sa carte magnétique, avant de la refermer de la même manière. Salim la regarda partir, l'observant presque avec fascination, cherchant à remplacer l'image qu'il avait d'elle dans son esprit, celle que lui avait donné sa vision de tout à l'heure, mais en vain.
Pourquoi s'acharnait-il toujours à essayer, pourquoi recommençait-il ces tentatives jours après jours alors qu'il savait que c'était inutile ?
Peut-être car il ne pouvait pas abandonner. Si le le faisait, l'incident de ses onze ans se reproduirait, ce qu'il ne souhaitait pas. Du moins, pas toujours. Parfois, il se laissait aller à ce genre de réflexions plus que sombres.
Gisant sur sa couchette,les bras écartés et une jambe pendante, il divaguait ainsi dans ses pensées, évitant de se diriger vers le sordide et s'efforçant de se débarrasser de ses visions. Il se demandait combien de temps les inspecteurs pouvaient ainsi le garder en cellule sans preuve supplémentaire de culpabilité mais, lorsqu'ils le relâcheraient, que ferait-il ? Il devrait renter à l'institut et, là-bas,comment serait-il accueillit et considéré après cet incident ?
Tous le prendraient pour le meurtrier ou bien seraient assailli de doutes. Il se souvenait parfaitement des regards que ses camarades n'avaient cessé de lui jeter et c'était douloureux.
En se basant sur son comportement, on pourrait croire qu'il se moquait bien de ce que pouvaient penser les autres et que ces derniers ne l'intéressaient pas mais il se montrait distant et agressif par nécessité, non par envie ou personnalité.
Au fond, les autres comptaient pour lui, d'une manière peu conventionnelle que lui-même ne comprenait pas exactement, et il s'efforçait d'être proche, de se joindre à leur groupe, comme il le pouvait tout en évitant l'épreuve durement difficile des visions par contact.
Que n'aurait-il pas donné pour participer aux plaisanteries d'Alana et Irwan, pour se joindre à leur conversation ? Mais il devait se contenter de la proximité qu'il établissait.
Les jugements qu'on porterait sur lui à son retour à l'école le toucherait donc fortement mais il serait bien forcé de les affronter puisqu'il n'avait pas vraiment d'autre endroit où aller. Il était absolument hors de question de retourner dans la maison de son enfance et il n'avait pas les moyens pour se payer une chambre d'hôtel. Peut-être une nuit ou deux mais certainement pas davantage. D'ailleurs, les établissements qui accepteraient de le recevoir avec ses yeux rouges sombres ne seraient pas nombreux, au contraire. Sans compter qu'il donnerait l'impression de fuir et de se cacher, avouant sans rien dire, ce qu'il refusait catégoriquement.
Il allait affronter les choses en les regardant en face.
Déterminé, il serra les poings sur sa couverture et hocha le menton. Cependant, toute cette volonté ne remédiait pas à sa situation actuelle. Continuant à réfléchir, il se leva et fit quelques pas, tournant en rond dans sa cellule en s'approchant des barreaux.
Ainsi, il remarqua un peu d'agitation semblant provenir de ce qu'il se souvenait être l'accueil. Du moins,quelque chose paraissait se passer car le terme "agitation"était un peu exagéré. Cela aurait-il un rapport avec Salim ?
Ce dernier haussa les épaules, n'y croyait guère. Les choses n'évolueraient certainement pas avant la fin de sa garde-à-vue. Un officier se profila bientôt au bout du couloir, indiquant donc qu'il s'agissait d'une visite à un détenu. Cette fois, Salim pouvait donc être certain que cela ne le concernait pas. Personne ne serait venu le voir pour s'enquérir de son état. Pourtant, il n'y avait personne d'autre enfermé en garde-à-vue. Il était le seul ici.
Était-ce donc pour lui alors ? Mais qui ? Pourquoi ?
Curieux de l'apprendre et plus que sincèrement surpris, Salim se pencha pour tenter d'apercevoir son visiteur mais il n'y parvint pas immédiatement et ne put le distinguer qu'après qu'il ait fait plusieurs pas derrière l'officier, trop petit pour être aperçu plus tôt.
Salim écarquilla les yeux derrière les verres de ses lunettes. Il avait déjà été fortement surpris en arrivant à la conclusion que cette visite lui était destinée, mais il s'attendait à un professeur, le directeur ou un membre quelconque du personnel de l'institut Belforde ou peut-être Gabriel, à la rigueur, certainement pas à un membre de sa classe or, c'était pourtant bien Raphaël qui stoppa face à lui, de l'autre côté des barreaux.
Une certaine émotion étreignit Salim mais il la laissa de côté, ne devant pas y céder, pour plutôt s'interroger sur ce qui avait bien pu pousser le garçon à venir ici.
Tout le faisant, il recula, s'éloignant, pour éviter toute proximité. Qu'ils soient séparés par des barreaux ne suffisait pas.
De son côté, Raphaël l'observa. Il fut soulagé de constater qu'il ne semblait pas trop éprouvé ni particulièrement angoissé mais, avec Salim, difficile d'être réellement certain de son état avec toute l'hostilité qu'il déployait toujours pour repousser les autres. D'ailleurs, Raphaël percevait une certaine agressivité dans son regard dirigé vers lui, ce qui le mit mal-à-l'aise, déjà qu'il n'avait guère confiance en arrivant et qu'il avait songé à faire demi-tour durant tout le trajet jusqu'à se retrouver face à la cellule.
Les dents enfoncées dans sa lèvres inférieure, le garçon se dandina d'un pied à l'autre, tout sauf assuré. Certes, il était celui qui allait le plus vers Salim pour toujours lui proposer de les accompagner, celui qui le prenait le plus en compte, mais cela ne signifiait nullement qu'il se sentait plus sûr de lui face au jeune homme, au contraire.Il perdait le peu de confiance qu'il avait en lui dès que les yeux de ses camarades se posaient sur lui. Sans compter que, aujourd'hui, la situation n'était absolument pas évidente ou commune et cela renforçait son malaise.
Il s'était demandé ce qu'il allait bien pouvoir dire à Salim tout en se dirigeant vers la poste de police et même pendant qu'il négociait avec l'officier à l'accueil pour obtenir la permission de le voir, comment justifier sa présence ou expliquer son envie de se rendre jusqu'au commissariat, mais il n'avait pas encore trouvé la réponse ou une quelconque explication, surtout qu'il ne parvenait pas à réfléchir sous le regard du jeune homme.
Alors, il gardait le silence sans oser le regarder, ayant baissé les yeux après son examen d'arrivée, en se tordant les mains et se sentant stupide, se reprochant qu'il aurait tout de même pu préparer quelque chose à dire à Salim mais, malgré ses efforts, il en avait été incapable, pensant seulement à son envie,son besoin de s'enquérir de l'état de Salim.
Ce dernier lui épargna de davantage se torturer l'esprit de la sorte en lui lançant d'un ton agressif en découvrant ses dents, comme si il voulait grogner à la manière d'un animal sauvage :

« Tu veux quoi ? (Raphaël sursauta, se sentant encore moins assuré si c'était possible, mais il répondit tout de même en balbutiant:)
- Je...je voulais savoir comment tu allais...
- A ton avis ?
- Oui, c'était un peu stupide comme question, désolé.
- Ouais, assez.
- Est-ce que...est-ce que tu as besoin de quelque chose ?
- Comment ça ? S'étonna Salim.
- Je te demande si tu veux que je t'apporte quelque chose, n'importe quoi.
- Non, c'est bon.
- Bon, très bien (Raphaël baissa le menton et se détourna pour repartir mais, après un pas, il revint en saisissant un barreau pour déclarer:) Je sais que tu ne pourrais jamais faire ça !
- Ah oui ? Et qu'est-ce que tu en sais ?
- Je le sais et j'ai pas besoin de preuve pour être convaincu que tu ne pourrais jamais faire ça !
- Il n'empêche qu'il ne faut pas s'approcher de moi, Raphe, d'accord ?
- Je m'en fous ! Question peur de pouvoir, j'en connais un rayon et puis j'ai pas envie de t'abandonner, de faire comme si tu n'existais pa...
- Non, Raphaël ! Dégage ! Tu m'entends ? Tire-toi de là ! »

Raphaël s'écarta vivement, effrayé et surpris par le hurlement de Salim auquel il ne s'attendait pas.
Un officier en uniforme, le même que celui qui avait conduit Raphaël à la cellule de Salim, s'approcha,les sourcils froncés, pour s'enquérir du problème mais il n'eut pas le temps d'arriver à leur hauteur.
Les mâchoires contractées comme pour retenir ses larmes, Raphaël se détourna, les poings serrés, et il partit, les épaules tremblantes.
Salim le regarda s'éloigna puis baissa les yeux. Il était vraiment désolé mais il ne fallait, il ne voulait pas, que Raphaël s'approche. Il ne supporterait pas de voir sa mort.










Les Yeux du Pouvoir - Tome 1 : Rouge Sang  [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant