Les Capucines

CHAPITRE 24 - LOUIS

Installé derrière Harry, une main sur sa cuisse, je lis le mémo qu'il écrit pour me raconter la situation avec ses amis. J'ai rapidement compris que ce n'était pas vraiment une visite de courtoisie lorsque quelques clients m'ont rapporté la tension visible entre les deux hommes.

Harry me dévoile tout le côté sombre de sa carrière : le rythme effréné de sa vie d'artiste, le manque de sommeil, de repos, les soirées qui s'enchaînent. L'alcool et les drogues mis gracieusement à sa disposition. Les enregistrements de chansons en pleine nuit, pendant les tournées pour sortir plus rapidement un titre et rester toujours sur le devant de la scène.

Il m'épargne cependant ce que je connais de lui par la presse : les relations parfois sulfureuses avec quelques jeunes femmes et hommes.

Puis vint le moment où il m'explique, qu'après la soirée de trop, il a perdu sa voix. Il avoue ne pas avoir écouté son corps quand il l'alarmait. Il m'explique avoir vécu pendant plusieurs mois avec une gêne sans s'inquiéter plus que ça. Il me raconte le rendez-vous chez le médecin, la nécessité de l'intervention chirurgicale et les mois de convalescence. Il me confie sa crainte de ne pas retrouver le timbre particulier de sa voix. Il m'avoue avoir fait demi-tour en quittant l'auberge parce que l'angoisse le submergeait et qu'il a préféré manquer l'opération.

Il me fait part de ses craintes et me répète sa déception par rapport au comportement de Jeff.

Je serre légèrement sa cuisse avant de me relever. Ca fait beaucoup de choses à encaisser. Je me doutais que son état n'était pas anodin. J'ai déjà tenté de lui en parler depuis que nous nous sommes rapprochés. Mais Harry a toujours éludé la question. Je comprends mieux pourquoi à présent. Je comprends ses craintes. Une intervention chirurgicale comporte toujours des risques.

Pourtant, je ne parviens pas à canaliser la colère qui s'infiltre en moi. Je suis partagé lorsque mon regard se pose sur Harry, toujours assis sur le ponton, le regard triste tourné vers l'horizon.

"Tu es choqué ?  il demande doucement face à mon silence.

- Non. Ce n'est pas ça, Harry." je réponds le plus calmement.

Harry se tourne vers moi. Je lis l'incompréhension dans son regard, un peu de déception aussi car j'imagine parfaitement qu'il s'attendait à ce que je désapprouve le comportement de Jeff. Mais au fond de moi, je n'y parviens pas. Malgré tout l'attachement que j'ai pour Harry, je comprends Jeff, d'une certaine manière.

"Dis-moi quelque chose Louis... me demande-t-il en se relevant à son tour.

- Harry, tu ne peux pas négliger ta santé comme ça... je commence, tentant difficilement de garder mon calme.

- Je ne néglige pas ma santé. Je suis en bonne santé, en bonne condition physique. Ce que je viens de te raconter, c'est occasionnel, il tente de se justifier.

- Je ne connais pas ton milieu, mais consommer de la drogue ou de l'alcool plusieurs fois par semaine, je ne dirais pas que c'est occasionnel Harry, je poursuis. Tu as perdu ta voix. Tu savais que tu avais un problème et tu as préféré l'ignorer.

- Alors, toi non plus tu ne m'entends pas, il répond un sourire ironique aux lèvres.

- Mais toi, est-ce que tu t'entends ? Bordel Harry, tu aurais pu éviter cette opération si tu avais fait attention aux signes. Jeff a raison lorsqu'il te dit que tu préfères ignorer les problèmes. Mais regarde où ça t'a mené ! Je ne peux pas cautionner ça. Je suis désolé."