Ma peau était recouverte de couleurs telle une œuvre d'art, l'œuvre d'un terrible artiste. Mes cheveux étaient ébouriffés, décoiffés tellement je n'avais cessé de passer mes mains dedans. On devait me donner dix ans de plus dû à mon apparence. Le manque de sommeil a provoqué deux grandes tâches noires sous mes yeux, rien de nouveau, elles s'y étaient logées depuis longtemps. Je trimbalais avec moi cette apparence de junkie, je suis sûre que les gens ici pensent que j'en suis une.
J'avais gardé mon manteau, l'utilisant comme une carapace, espérant que tout le monde ne remarque pas à quel point j'étais dévastée. Je n'avais aucune envie d'être ici, mais je n'ai pas eu le choix. Qu'adviendra-t-il de moi ? Il semble que seule la personne que je viens voire soit en mesure de choisir.
L'attente était de plus en plus pesante, je me sentais oppressée dans cette pièce étrangement triangulaire. J'avais pour seule distraction, la fenêtre au bout de la pièce, mais celle-ci ne reflétait que la nuit noire de cet hiver glacial. La lumière du lampadaire de la rue éclairait le mur de l'immeuble d'en face. Il ne me restait plus de quoi me divertir après avoir analysé chaque détail du mur, aucun oiseau ne passait devant cette fenêtre, rien. Le décor ne changeait pas.
Alors j'ai décidé de regarder autour de moi discrètement. Les murs étaient recouverts d'un papier-peint bleu qui tirait sur le gris. Des affiches inintéressantes l'habillaient et je les avais toutes lues au moins six fois.La lumière faible et jaune mettait encore moins cette pièce en valeur. La petite table comportant des magazines se trouvait trop loin de moi, me lever aurait attiré l'attention. Je me suis donc résolue à regarder furtivement les gens présents dans cette petite salle.
Il y avait un homme et une femme confinés avec moi. Ils étaient assis l'un en face de l'autre mais ne relevaient pas les yeux. D'une cinquantaine d'année tous les deux à mon avis, ils étaient absorbés par leur téléphone. La femme semblait très fière, habillée de façon chic mais toute en noir. L'homme lui, figurait plus simple, vêtu sombrement également, l'apparence physique d'un bon vivant mais en pleine déprime. Chacun portait à son annulaire une alliance dorée, j'en conclus donc qu'ils étaient mariés. J'ai tenté d'imaginer la tête de leurs époux respectifs pour parer à mon ennui, mais j'ai vite basculé sur le jeu qui consiste à deviner leur vie.
Je n'eus pas le temps de chercher bien longtemps, la porte de la pièce d'à côté s'était brusquement ouverte me faisant sursauter. Un homme sorti, très maigre, il s'est dissipé très vite, comme s'il fuyait. Un homme élégant apparu derrière lui et alla au comptoir j'imagine pour demander qui était le prochain « malade ».
Sans surprise, il s'agissait de moi. L'homme, plutôt jeune à ma grande surprise m'invita à entrer dans son bureau qui formait également une sorte de triangle. Cependant cette pièce était beaucoup plus grande que l'autre. Derrière son bureau se trouvait une grande bibliothèque et à l'opposé se situait un petit salon avec quelques fauteuils et une table basse. Après avoir analysé l'endroit comme un animal perdu, j'ai fixé mon attention sur celui qui est censé m'aider. Il n'avait rien dit m'observant tout le long de mon inspection. Il me fit un grand sourire quand il comprit qu'il avait mon attention.
- Prenez place sur un fauteuil je vous prie, m'incita-t-il poliment en accompagnant sa réplique d'un geste me désignant le petit salon.
Il faisait trop d'efforts pour paraître gentil et ça me rendait davantage nerveuse. Je pris place et il s'assit en face de moi. Il me fit comprendre d'un regard insistant que je n'avais toujours pas retiré mon manteau, ce que je finis par faire.
- Alors, pourquoi nous voyons nous ? demanda l'homme en face de moi, faisant semblant de ne pas savoir ce qui m'amenait ici.
- J'imagine que vous avez lu le rapport, répondis-je sarcastiquement après un petit moment d'hésitation.
- En effet, reconnu-t-il, je pensais juste que vous aimeriez formuler ce qui vous arrive de vos propres mots.
Je ne répondis pas, me sentant prise au piège par sa fausse compassion. Il prit le temps de m'analyser quelques instants, peut-être espérait-il que je parle mais je ne dis rien.
- Je vais faire un résumé à voix haute alors, m'expliqua-t-il avant de commencer à lire, le lundi 30 novembre à 2 heures 43. Après avoir reçu plusieurs appels du voisinage au cours de ces derniers mois pour des faits inquiétants concernant Mme Williams, l'appel du 30 novembre, d'un des voisins de madame, à 2 heures 12 nous a particulièrement alerté. Depuis quelques mois des coups de fils du voisinage sont reçus fréquemment au poste, jusqu'à tous les soirs dernièrement. Ils relatent des faits assez alarmants de somnambulisme ou de vacarme nocturne principalement.
Il fit une pause pour humidifier sa bouche avant de reprendre la parole.
- Ce lundi, l'appel était différent. La jeune femme aurait hurlé à plusieurs reprises, des bruits sourd de mobilier que l'on déplace et casse ont raisonné en pleine nuit faisant craindre aux voisins un cambriolage. Puis vers 2 heures 27, monsieur Marc Curtis affirme avoir vu madame Williams sortir de chez elle. Selon lui elle déambulait dans la rue de façon étrange, vêtue d'un short et d'un débardeur alors qu'il faisait – 4°C, couverte de bleus et de plaies, les pieds et les mains en sang. Il suggère alors une énième crise de somnambulisme. A notre arrivée, 5 minutes plus tard, nous avons retrouvé madame Williams allongée par terre chez elle, accompagnée de monsieur Curtis, inconsciente au milieu du salon de sa maison complètement saccagée.
Il s'arrêta un instant, sûrement pour retrouver un endroit où reprendre la lecture après avoir sauté quelques passages inintéressants.
- Nous avons également pu constater de nombreuses ecchymoses sur son corps, des plaies ouvertes ainsi que plusieurs cicatrices dont certaines en forme de morsure d'animal que nous ne pouvons expliquer. La jeune femme avait perdu assez de sang pour que ça en soit inquiétant, nous avons donc appelé les secours, et prodigué les premiers soins. La maison était sans dessus dessous, la vaisselle et le mobilier étaient cassés. Des meubles étaient renversés. Aucune pièce n'a été épargnée. Le papier peint des murs était déchiré, sur certaines pièces on pouvait retrouver d'immenses traces de griffures. Après notre enquête, nous avons conclu que madame Williams était l'auteure de la dégradation de sa maison.
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Ne Ferme Pas Les Yeux
General FictionMaltraitée durant son enfance par ses parents, Laureen n'a plus aucun souvenir de cette période de sa vie. Un monde ignoble dans lequel elle entre dès qu'elle ferme les yeux se charge pourtant de lui faire revivre toute la souffrance enfouie de son...