J'étais de retour chez le psy après avoir passé un dimanche déprimant. La première chose dont nous avons parlé au début du rendez fut le souvenir qui m'était revenu au cours du rangement. Par ailleurs, j'ai exprimé ma déception sur ma mémoire qui s'est démontrée sélective. Je me souviens de ce qui s'est passé dans l'autre monde, mais pas dans la vie courante.
- Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose, relativisa le psy, nos séances sont consacrées à l'autre monde, c'est l'essence même de notre travail. Ça ne m'étonne donc pas que les premières choses qui vous reviennent le concerne. C'est très encourageant. Mais aujourd'hui nous allons faire un travail différent.
- Comment ça ? demandais-je surprise.
- Je pense que retourner dans ce monde tous les jours est exténuant, pour vous et pour moi. Il y a énormément d'informations qui en subviennent et je pense que nous nous sommes contentés d'effleurer la surface sans jamais creuser. Avant de continuer et que je ne découvre d'autres créatures, nous allons commencer par décortiquer celle que nous avons déjà mentionné, m'expliqua-t-il sans me quitter des yeux. Vous êtes d'accord ?
- Comme vous voulez, cédais-je un peu déçue.
- Nous allons commencer par le vent je ne veux pas que vous vous contentiez de me faire une description comme dans un livre, je veux que vous me disiez ce qu'il représente pour vous, comment vous vous sentez quand il vous parle, qu'est-ce que vous inspire sa voix ?
- Il a une voix féminine qui m'est familière mais je n'arrive pas à la replacer sur un visage. Quand je l'entends, je suis à la fois rassurée, parce que j'ai l'impression de ne pas être seule, et à la fois déçue. J'ai l'impression qu'il n'arrive pas à se positionner, qu'il est partagé entre moi, et les créatures de ce monde. Il essaie de m'aider sans intervenir, sans trop se mouiller. Sa voix m'affole autant qu'elle m'apaise, c'est assez étrange, marquais-je troublée. Je ne le déteste pas alors que je déteste de toute mon âme ce monde du mal.
- Très bien, ensuite la forêt ?
- La peur me tord toujours le ventre quand je suis dedans. Peut-être parce qu'elle ne m'offre pas assez de visibilité, elle est parsemée de cachettes pour tous les monstres de cet endroit. Je pense surtout que toute forêt est terrifiante la nuit.
- Si vous me parliez des ombres et des apparis. On dirait qu'ils se moquent de vous et de votre souffrance ?
- Oui c'est la sensation que j'ai aussi, ils sont partout, ils voient tout.
- Ce qui est étrange, c'est que quand ils sont seuls ils ne s'en prennent pas à vous. Si on travaillait maintenant sur votre vie, la vraie. Vous vous souvenez de votre parcours scolaire ?
Je me souvins alors de quelque chose de perturbant. Mon frère et moi avions toujours des habits troués, sales, vieux et moches. Nous habitions également à l'écart de tous. Nous n'avions pas d'amis, seulement nous. Nous étions la risée de l'école, puis cela a continué après sa mort. Les enfants me disaient que je l'avais tué, ils se moquaient de mes cheveux que mon père avait coupé très courts à cause des poux.
Ils ne loupaient jamais un moment de me rappeler que j'étais un peu trop ronde, puis un peu trop mince. Les années ont passées et les insultes se sont amplifiées. Quand j'ai quitté la primaire pour rejoindre le collège, les choses ont empiré. Je n'avais aucun ami, je mangeais seule, personne ne voulait se mettre avec moi pour les travaux de groupe. Puis, me mettre à l'écart et se moquer de moi n'a plus suffit.
Le matin, au moment d'arriver au collège, les élèves s'écartaient pour que je ne les touche pas. Certains attendaient pour que je sois de dos pour venir me pousser et me faire tomber devant tout le monde. Partout où je passais les rires, les bruits d'animaux, les moqueries et les insultes fusaient à mon égard.
On me volait mes affaires, les mettait à la poubelle. Les plus sournois faisaient semblant de vouloir jouer avec moi ou de me réconforter pour mieux m'humilier après. D'autres s'asseyaient à ma place en classe, me jetaient des choses, écrivaient mon nom avec toutes sortes de calomnies au tableau. Plus les années sont passées, plus la violence a augmenté.
Je fus ensuite la victime de rumeurs affreuses, et les élèves se regroupaient parfois en comité pour me frapper, dans les toilettes ou dans les couloirs.
Après avoir fait part de mes souvenirs qui se sont débloqués au fur et à mesure au psy, il resta dubitatif un instant. Il relut ses notes une dernière fois avant de m'adresser la parole.
- Il me semble que nous ayons résolu le problème des ombres et des apparis alors, annonça-t-il.
- Vous pensez que ce monde et les créatures qui y vivent sont des re-transpositions des souffrances de mon passé ? Que les créatures sont des métaphores créées en lien avec un élément de mon enfance ?
- C'est plausible non ?
Oui c'était parfaitement plausible. Il nous restait maintenant la difficulté de trouver à quoi correspond chaque chose de ce monde.
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Maintenant que le mystère des ombres et des apparis est résolu, vos intuitions sur les autres éléments (le vent, la forêt, la bête, les démons d'eau ? )
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Ne Ferme Pas Les Yeux
General FictionMaltraitée durant son enfance par ses parents, Laureen n'a plus aucun souvenir de cette période de sa vie. Un monde ignoble dans lequel elle entre dès qu'elle ferme les yeux se charge pourtant de lui faire revivre toute la souffrance enfouie de son...