Chapitre 36

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J'espérais sincèrement que notre géniteur aurait eu une once de pitié et nous aurait laissé rentrer au chaud pour la nuit. Ce fameux soir où nous avons été tabassés, nous avons dormi dans l'atelier. Après avoir tout retourné j'avais retrouvé des couvertures miteuses et moisies, leur aspect sale, leur odeur âcre et les champignons qui les dévoraient n'inspiraient pas confiance, mais nous grelottions déjà...

Nous avons eu froid et faim. Même après avoir gratté aux portes et hurlé qu'on était désolés, le silence de mort et l'indifférence sont restés ancrés entre ces quatre murs . Le lendemain, nous nous sommes réveillés ressentant des douleurs atroces dans tout le corps après une très mauvaise nuit.

Nous mourions de faim, mais nous pensions que rentrer chez nous n'était pas une bonne idée. Nous avons alors marché jusqu'à l'arrêt de bus pour se rendre à l'école, sans cartables, dans nos habits d'hier tout sales et froissés. Noah était tout honteux de son état, l'urine avait séché sur son jean mais l'odeur qui s'en dégageait ne pouvait être ignorée.

Nous attendions notre bus, quand une voiture rouge fit son apparition sur cette petite route très peu fréquentée. Nous avons reconnu la voiture de notre père, je pense que si n'avions pas eût si mal nous aurions couru. Il s'arrêta à notre hauteur, baissa sa fenêtre.

- Montez, ordonna-t-il sans nous regarder, trop occupé par sa clope. Pas d'école aujourd'hui, votre mère a appelé.

Nous avons obéi, montant à l'arrière effrayés et dégoûtés d'être si proche de lui. Il n'avait aucune estime pour nous, il transpirait la rage et la haine. L'alcool n'aidait probablement pas. A vrai dire, quand il commençait à boire ce n'était pas bon, mais après avoir ingurgité pas mal de ce liquide, nous étions rassurés car au moins ça le faisait dormir.

Notre géniteur était reparti travailler après nous avoir déposé. Nous sommes rentrés dans la maison comme si une bombe était cachée quelque part et menaçait d'exploser à tout moment. Le brouillard dessiné par la fumée de tabac qui régnait dans cette maison lui donnait toujours cet air lugubre et froid.

 Nous trouvâmes notre mère dans la cuisine, mais elle nous ignora. Nous sommes donc montés prendre un bain et se faufiler sous nos couettes pour nous réchauffer. La faim tenaillante avait fini par nous faire sortir de nos terriers.

Les autres jours se sont passés sans encombre, nous avons pu retourner à l'école une fois nos bleus et nos bosses dissipés. Notre géniteur nous avait ignorés, ou nous étions trop tourmentés par la peur pour lui donner une minime raison de s'énerver. Le retour à l'école fut tout de même assez pénible.

 Premièrement parce que j'étais complètement à l'ouest face à cette situation, ne sachant plus si je rêvais ou si c'était bel et bien la réalité. Ensuite, parce que la cruauté des enfants était terrible. Je devais défendre mon frère, ignorer nos assaillants. Cette vie était remplie de souffrance, entre et outre les murs de cette foutue maison. Nous subissions les moqueries, les injures, les coups. Pourtant quand nous étions tous seul mon petit frère restait un vrai rayon de lumière. Moi j'étais le pilier, le bouclier de son innocence.

Ce qui me déroutait énormément c'était le détachement de notre mère, comment pouvait-elle laisser tout ceci se produire ? Elle nous regardait toujours d'une façon négligente après les excès de colère de notre père, comme pour nous dire « je ne peux rien faire de plus, je ne cesse de vous prévenir. ». Puis plus tard elle redevenait douce et attentionnée comme pour se faire pardonner. 

 Pourtant je savais qu'à chaque coup, chaque cri que nous poussions, elle tremblait avec nous, souffrait de nos bleus, pleurait de notre tristesse. Alors pourquoi ? Est-ce que notre père avait autant d'influence sur elle ? Est-ce qu'elle avait trop peur pour s'interposer ? Était-ce la raison pour laquelle elle nous soufflait de se taire, de s'enfuir ou autre, plutôt que de nous aider ?

Une après-midi, ma mère parti chez nos grands-parents, notre géniteur nous interdisait de les voir. Nous étions seuls à sa merci. Pour éviter tout problème nous sommes sortis jouer dehors après avoir demandé la permission. Nous n'avons jamais eu d'heure pour rentrer l'après-midi, notre géniteur ne nous en imposa pas non plus avant notre départ. 

Alors nous avons joué, heureux de respirer, de pouvoir chanter, courir, heureux de vivre. Nous ne voulions jamais rentrer quand nous étions dehors. Le temps passait toujours incroyablement vite. Rêveurs, nous élaborions des plans fantastiques où nous nous échappions chez nos grands-parents avec notre mère pour partir loin après, loin de lui, loin de la maison. Un jour mon petit-frère m'a même dit qu'il le tuerait, comme ça il ne nous ferait plus de mal.

Le temps de nous rendre à l'évidence arriva et nous avons dû rentrer à contrecœur, espérant que notre mère soit arrivée avant nous. J'eus la chair de poule en entendant le bruit du violon quand nous approchions de la maison. Nous voulions rentrer par la porte principale, mais elle demeurait close. 

Nous avons donc fait le tour pour entendre le son de l'instrument de plus en plus fort. Par la fenêtre, j'ai pu apercevoir sa silhouette accompagnée du violon dans le salon. Même s'il était de dos, je devinais ses yeux fermés et ses traits durs figés par une immense concentration. Mon cœur battait de plus en plus fort, mes mains étaient moites. La porte de derrière était ouverte, ce qui nous rassura un peu, la musique résonnait plus fort entre les murs et notre père, comme je l'avais deviné, jouait les yeux clos en se berçant légèrement au rythme de son instrument. 



Ne Ferme Pas Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant