Chapitre 44

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- Maintenant nous allons parler de la lumière, annonça le psy

J'eus un pincement au cœur en entendant cette phrase, une grande nostalgie. C'était surtout le regret de ne plus avoir mes grands-parents, de ne pas pouvoir leur dire merci. Je pris une grande inspiration avant de prendre la parole.

- La lumière était notre guide. Quand nous traversions les bois la nuit, elle nous permettait de ne pas nous perdre et de ne pas réfléchir. Juste courir car très souvent, notre père était derrière nous, prêt à nous attraper et à recommencer. Cette lumière provenait du porche de la maison de nos grands-parents. Ils l'allumaient tous les soirs au cas où nous aurions besoin d'être guidés, et n'ont jamais oublié de le faire, répondis-je dépitée. La lumière c'était notre espoir.

- Donc la forêt, la rivière, la plaine c'est ce que vous deviez traverser la nuit pour rejoindre la maison de vos grands-parents, la sécurité ? demanda-t-il en haussant un sourcil.

Je répondis par un simple hochement de tête.

- Nous avons déjà travaillé sur les ombres et les apparis quand vous aviez fait le rapprochement avec votre harcèlement scolaire, me rappela le psy, vous voulez qu'on refasse un point là-dessus ?

- Non, je ne pense pas que ce soit nécessaire.

- Très bien alors maintenant nous allons passer à la bête, vous l'avez cité comme un ours immense, très sombre, avec des yeux blancs vitreux, récapitula-t-il.

- L'ours c'est mon père, grand, doté de beaucoup de force, des yeux qui n'ont pas de reflet, pas d'âme, aveuglés par la rage. Il nous pourchassait quand nous fuyions, il arrivait très souvent à nous rattraper, et là, il déchaînait toute sa haine, sa rage et sa violence sur nous. On ne devait pas faire de bruit pour ne pas réveiller sa colère, pour ne pas réveiller le monstre, clarifiais-je en fixant la petite horloge derrière le psy car le bruit qu'elle émettait me dérangeait de plus en plus.

Après ces révélations nous avons fait une pause, il nous restait encore un quart d'heure à passer ensemble et je fus soudainement déçue de réaliser que nous n'avions évoqué que la moitié des créatures de ce monde.

- Oh Laureen, je ne vous ai pas prévenu mais je n'ai pas de patient après vous, si vous le souhaitez nous pouvons rallonger la séance, proposa l'homme en face de moi comme s'il avait lu dans mes pensées.

J'ai accepté sa proposition, je désirais en finir avec tout ceci, et même s'il était assez charmant, j'espérais ne plus avoir à revenir voir le psy. Je savais qu'il nous faudrait encore une ou deux séances après celle-ci pour venir à bout de mes angoisses, mais pour l'instant j'étais focalisée sur l'autre monde. Nous avons repris après ces cinq petites minutes pour souffler. Toute cette discussion me donnait la migraine.

- Maintenant nous allons parler de la rivière et de ce qu'elle abrite. La couleur de l'eau est marron en quelques sortes, l'eau est trouble et dégage une forte odeur, amorça le thérapeute en écorchant quelques mots.

- J'ai beaucoup songé à ça, parce que la rivière en soit, n'a rien en commun avec l'apparence qu'elle a dans l'autre monde. Il m'a fallut du temps pour comprendre, mais mon père se noyait dans l'alcool, plus particulièrement le whisky et c'est là que j'ai fait le lien. Il ne s'agit pas d'eau mais d'alcool.

- Très bien mais alors les démons d'eau ? s'étonna-t-il interloqué.

- Je pense qu'ils représentent les méfaits de l'alcool, vous comprenez, vous mettez le pied dedans et ils vous tirent jusqu'au fond et vous retiennent. Je pense que c'est la façon dont on voyait l'alcoolisme de notre père à l'époque, comme s'il n'avait pas le choix, que ces démons le retenaient dans ses travers et ce sont des créatures voraces. Quand elles vous entraînent elles ont le don de plonger tout votre entourage avec vous, expliquais-je incertaine.

- Des victimes collatérales ?

- Victimes de son addiction, je pense qu'il n'aurait pas cédé à autant de rage s'il avait été tout le temps parfaitement sobre. Plus les années passaient plus il buvait et ma mère a fini par sombrer dedans aussi. Quand on n'est pas addict, on est aussi victime de ce que nous font subir les autres. C'est de cette façon que je vois les choses. Vous plongez et vous entraînez tout ce qu'il y a autour de vous.

Il prit un instant pour jauger ce que je venais de dire avant de se remettre à écrire. J'ai constaté qu'il était resté un peu dubitatif face à ma dernière remarque mais je n'y ai pas accordé plus d'importance.

Cela faisait maintenant plus d'une heure que j'étais confinée dans ce bureau, il nous restait encore quatre éléments à éclaircir. Ma migraine s'était intensifiée et devenait difficile à ignorer.

- Nous allons parler du violoniste et de ses compagnons si vous voulez bien maintenant, prévint le psy.

- Le violoniste c'est mon géniteur également. Il jouait toujours de son instrument avec une rigueur et une passion extrême. Il ne supportait pas qu'on le dérange quand il en jouait, d'où les noctuas et les ignis.

- Comment ça ? Questionna-t-il surpris.

- Souvent, il nous jetait ce qu'il trouvait, il avait toujours un opinel sur lui, il s'en servait pour tout, alors quand on le dérangeait, il nous le lançait. La plupart du temps il nous effleurait juste mais il est déjà arrivé qu'on ait des plaies plus sérieuses, d'où les noctuas. Ensuite, il fumait beaucoup, expliquais-je. Je dirais que tout ce qui passait sous sa main pouvait se transformer en objet de torture. Il nous a déjà brûlé plusieurs fois avec ses cigarettes.



Ne Ferme Pas Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant