Chapitre 19

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Je luttais toujours contre la musique enivrante que le violoniste émettait. Marchant rapidement sans faire de bruit dans cette plaine, je gardais un œil sur la trajectoire du violoniste. Il dansait infatigablement et parcourait la plaine en long, en large et en travers. Je me paralysais quand il approchait de moi pour ne pas le déconcentrer dans sa danse de la folie. 

Mon cœur battait plus vite à chaque fois qu'il me frôlait ou que ses pieds se dirigeaient vers moi. L'air se réchauffait au fur et à mesure que je m'approchais de la maison. Je ressentis alors la même sensation que la dernière fois. Il me restait encore plusieurs mètres à parcourir pourtant je ne pouvais empêcher mon cœur de chanter. 

J'étais saisie par le même espoir envahissant, celui qui apaise tout, celui qui vous donne la sensation de vous porter. Je réprimais néanmoins mon irrésistible envie de courir pour rejoindre le porche de la maison. 

Pourtant mes pieds se déplaçaient plus vite, je ne souffrais plus de rien, les cailloux qui s'enfonçaient dans mes pieds nus à chaque pas semblaient soudain moins pointus. Les courbatures qui me torturaient jusque-là disparurent totalement. Je n'étais plus épuisée d'avoir marché, j'avais cette montée d'adrénaline qui guérissait tout, qui apaisait même le fardeau qui pesait sur mon cœur.

J'étais maintenant plus proche de la maison que je ne l'avais jamais été. Une délicieuse odeur de pâtisserie émanait d'une fenêtre ouverte. La lumière du porche m'aveuglait cette fois. Quand je me suis enfin autorisée à lâcher prise, j'ai heurté le violoniste qui émit alors une fausse note. Il cessa sa musique et s'arrêta pour me regarder avec fureur avant de brandir son archet comme une arme. 

Je n'avais pas attendu jusque-là, il me restait de grandes chances de parvenir à la maison avant qu'il n'ait le temps de m'anéantir. Mes jambes me portèrent alors à une vitesse folle à la porte de la maison, j'ai manqué de tomber au moment de gravir les marches. Le violoniste joua alors une musique plus agressive réunissant son nuage d'oiseaux de malheur. 

Au moment où les oiseaux et les insectes s'élancèrent pour m'achever, ma main se posa sur la poignée, appuyant et tirant de toute mes forces. La panique et le besoin vital d'atteindre cette maison me poussèrent à hurler. Je continue de penser que ma voix et mes cris ont reflété toute la détresse et le désespoir que j'ai accumulé durant toutes ces années. Mes poings cognèrent la porte de toutes leurs forces accompagnants mes cris dans mon impatience déchirante.

- OUVREZ !!! JE VOUS EN SUPPLIE ! Je vous en supplie, hurlais-je d'en un premier temps avant de répéter en perdant du volume en même temps que l'espoir, me laissant gagner par mes larmes révélant davantage ma détresse.

Je n'eu pas le temps de sangloter plus longtemps. Alors que j'attendais l'impact imminent, brûlant et tranchant des créatures de la plaine, je fus surprise du calme qui régnait dernière moi. Je me suis alors retournée ne pouvant contrôler mes sanglots pour comprendre la raison de cette accalmie. 

J'ai sursauté en apercevant le violoniste derrière moi. Dans un geste brutal il leva sa main tenant son archet, avant de l'abattre brutalement sur moi provoquant un trou noir. 

Pour ne pas changer je me suis réveillée paralysée dans le bureau de mon thérapeute. Je fus surprise de le découvrir livide une fois mes esprits retrouvés. Il se mit à se frotter nerveusement le cuir chevelu.

- Pensez-vous que cette maison est un piège ? Peut-être que nous nous sommes trompés et qu'il n'y a pas d'échappatoire, balbutia-t-il inquiet.

C'est à ce moment que je compris qu'il baissait les bras, il confirma mon hypothèse en poursuivant.

- Nous n'avons fait pratiquement aucun progrès en un mois, vous semblez en pire état que lors de notre première session, m'indiqua-t-il consterné. Toute cette histoire c'est de la folie... J'ai été trop ambitieux et gourmand en pensant pouvoir vous aider je pense, je... Je vous présente mes excuses mais ne vous en faites pas Laureen, je vais vous orienter vers un de mes confrères qui saura sans doute mieux vous aider, s'enquit-il en saisissant un petit bout de papier pour noter les coordonnées de son confrère.

Ma déception fut grande, mais elle ne me fit pas mal à côté de celle d'avoir échoué si près du but. J'avais affreusement mal, une sensation que je ne pouvais expliquer, plus douloureuse encore que la dernière fois. Comme si on transperçait mon cœur.

Je suis rentrée dépitée, je ne sais même pas comment je suis rentrée chez moi si ce n'est par automatisme car je n'ai aucun souvenir du trajet. Je venais de me prendre une claque immense, remettant tout en question, trimbalant avec moi le poids qu'avait causé mon nouvel échec si près de la maison convoitée dans cet autre monde. Si le psy avait raison ? Si tout ceci n'était qu'un leurre, que je n'arriverais jamais à l'intérieur de la maison ? Si je n'arriverais jamais à quitter ce monde de cauchemars ?

Ma maison restait toujours en chaos constant ce que je ne comprenais pas au vu de mes rangements incessants. Rien n'allait plus, j'avais bel et bien ouvert la boîte de Pandore en acceptant de parler de mon problème. Tous les efforts que j'avais fait pour fuir ses démons ont été démolis par l'espoir de m'en sortir.

 Après tout, c'est la faute du psy si j'y ai cru, si j'ai cru tellement fort que je pourrais m'en sortir. Je l'ai cru, et je me suis accroché si fort à cet espoir ridicule de pouvoir guérir et me voilà  encore plus abîmée qu'avant, physiquement et mentalement. 

Je ne saurai dire ce qui me fait le plus mal à vrai dire, mais je souffre le martyr. Je souffre au point de réaliser que le seul fait d'exister me fait souffrir. Maintenant quelles options me reste-t-il ? Renouveler l'expérience avec un nouveau psy ? Partir et tout recommencer mais à quoi bon, rien n'atténuera ma douleur.


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Vous vous attendiez à l'abandon du psy ? 

Ne Ferme Pas Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant