Chapitre 18

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Hélas, j'ai toujours été naïve. Naïve de croire que je sortirais de ce monde aussi facilement, que tout s'arrangerait cette fois. Je n'étais plus aveuglée par la lumière, un son que je détestais entendre faisait écho jusque dans la forêt. Mon courage s'est aussitôt dissipé.

Le son d'un violon flottait dans l'air, me laissant, cachée dans ce bois maudit, tétanisée. J'étais incapable d'écouter de la musique classique depuis bien longtemps. Je pense que l'origine de cette aversion pour cet art remonte à la première fois que j'ai eu à faire au violoniste dans ce monde. 

J'avais été enchantée, petite, dans ce monde affreux, d'entendre un air de musique doux et délicieusement bien joué. Ce monde est sournois et plein de vices, il amadoue pour mieux détruire, je l'ai aussi découvert à mes dépends. Le violoniste ne joue pas des airs effrayants, quand on est dans la forêt, on aurait envie de se rapprocher pour l'admirer jouer. Je ne sais pas pourquoi je le crains autant, car il n'est pas la plus affreuse des créatures.

 Cependant quelque chose chez lui me tétanise à chaque fois, j'ai cette drôle d'impression comme si j'étais plus en danger que jamais quand il prenait le relais pour me torturer. Alors qu'une des symphonies de Bach émanait de cette plaine, je marchais à pas de loup dans les bois pour me rapprocher dans le plus grand des calmes. 

Je désirais observer, analyser avant de tenter ma chance pour enfin rejoindre la maison convoitée. Plus j'avançais plus fort la musique retentissait, faisant vibrer mon corps d'effroi. Un frisson parcouru ma peau alors que je pus enfin l'apercevoir. Le violoniste ressemblait à une forme d'ombre, mais sa silhouette et les traits de son visage figuraient parfaitement distinguables. 

Il s'agissait d'un homme, élancé. La rigueur sans faille avec laquelle il s'adonnait à sa tâche se remarquait même sur les traits de son visage. Il jouait de son violon comme s'il s'agissait de son cœur et que le son qu'il sortait, devait sonner toujours juste s'il voulait qu'il continue à battre. Ses yeux blancs vitreux fermés, il était concentré et envoûté par le son qui émanait de son instrument.

 Ce qui dérangeait le plus chez ce personnage n'était pas son allure étrange et rigide. Certes il était effrayant, mais ce qui rajoutait à son air de monstre était son étrange habitude de danser une forme de valse rapide. Il était transporté par sa musique qui guidait ses pas à une vitesse folle. Il parcourait ainsi toute la plaine inlassablement, promenant avec lui cet air effroyable. Pour rajouter à la terreur qu'il me provoquait, il n'était pas seul.

Sa musique ne transportait pas seulement cette silhouette mais aussi les noctuas et les ignis. Au-dessus de lui, dans le ciel, une danse semblable était reproduite. Un nuage de noctuas et d'ignis tourbillonnait et virevoltait en accord avec l'air du violon. Les créatures étaient envoûtées par l'art du violoniste, lui obéissant aveuglément grâce au son induit par le frottement de son archet. 

Cette danse semblable à celle des étourneaux et autres oiseaux migrateurs qui se rassemblent n'avait rien de somptueux. C'était une menace constante. Au moindre bruit, à la moindre distraction, rien que s'il me remarque le violoniste se déconcentre et une fausse note sort de son instrument exprimant sa colère noire. 

Les noctuas et les ignis se regroupent alors en rangs serrés attendant le signal fatidique. Puis le violoniste joue un air différent, agressif, terrifiant, guidant ses créatures démoniaques sur moi en un éclair. 

Les noctuas sont de petits oiseaux noirs, aux yeux blancs vitreux dépourvus de toute raison, comme leur enchanteur. Quand le violoniste les fait danser, ils volent doucement, jouant avec le vent. Malheureusement, quand il est en colère, ils volent incroyablement vite, me transperçant en un clignement d'œil. Des oiseaux de malheurs certes, car ils sont dotés d'un bec aussi tranchant qu'un couteau.

Ces immondes oiseaux volent avec les ignis. De loin ce ne sont que des petits points dorés. Ils ressemblent à s'y méprendre à des lucioles. Ces insectes volent aussi rapidement que les noctuas lors d'une attaque, cependant ils ne me transpercent pas comme ces derniers. Les ignis brûlent, ce sont des petites boules de feu qui viennent s'écraser sur ma peau à une vitesse affolante. Toutes les marques de brûlures qui ornent mon corps sont l'œuvre des Ignis, me laissant de petites cicatrices rondes de moins d'un centimètre de diamètre.

Faire abstraction de la musique envoûtante demeurait une tâche ardue tant elle faisait chavirer votre âme. J'ai cependant fait de mon mieux en profitant que le violoniste soit loin pour faire mes premiers pas dans la plaine. La forêt est effrayante car elle regorge de cachettes et n'offre pas une grande visibilité, mais la plaine nous laisse à découvert, à la totale merci des monstres de ce monde. Il n'y a pas d'échappatoire.


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Vos impressions sur les ignis, les noctuas et le violoniste ? 

Ne Ferme Pas Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant