Chapitre 40

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Quand j'ai ouvert les yeux, j'étais dans mon lit d'enfance. Je me suis levée et je suis passée devant le miroir comme à chaque fois. J'ai alors réalisé que j'avais pris des années de plus, j'étais adolescente désormais. La maison était silencieuse. J'ai fait un tour dans la chambre de Noah, inchangée et j'y ai pris son nounours pour le remettre avec moi dans mon lit.

Je suis allée prendre mon petit-déjeuner au milieu des cadavres de bouteilles. Ma mère elle aussi s'était adonnée à la passion favorite de mon géniteur. Elle se laissait sombrer dans les néants de ce liquide, perdant toute raison. J'ai débarrassé ma table et je suis partie pour l'école, à pied.

Je ne prenais pas le bus car on m'y harcelait, et l'heure d'air frais que me procurait ces balades quotidiennes était le seul répit qui m'était accordé. Puis la journée s'est enchaînée sur les mêmes moqueries, la cruauté constante dans laquelle je vivais. Enfin je rentrais, à pied à nouveau. Au début, j'avais eu peur l'hiver, à cause de l'obscurité, mais après tout rien de ce qui pouvait m'arriver aurait pu être pire que ce que je vivais déjà alors j'ai continué de marcher.

J'avais toujours ce moment d'hésitation avant de rentrer dans la maison. Une part de moi désirait, plus que tout au monde, courir et partir loin. Je n'avais cependant pas le choix, je n'avais pas d'argent, nulle part où aller, plus personne pour m'aider.

Cette fois je fus surprise du vacarme qui se tramait à l'intérieur de ce piège. Je pouvais entendre quelqu'un courir dans tous les sens. Je pris une grande respiration, me préparant au pire, puis j'ouvris la porte.

Je fus choquée de retrouver ma mère en train de dévaler les escaliers dans tous ses états. Elle ressemblait à une folle, les cheveux en pagaille, les yeux gonflés, le visage teinté, une démarche chancelante. Elle trébucha sur les marches et tomba presque à mes pieds avant de se lever et d'agripper mes bras, compressant ma chair.

-          Ou est l'ours de ton frère ? me demanda-t-elle hystérique.

-          Je l'ai pris ce matin, avouais-je sans réellement comprendre le problème.

Sa main s'abattit sur ma joue en une gifle monumentale. L'alcool lui donnait de la force, ce fut la première fois qu'elle me frappait. Je mis ma main sur ma joue, réalisant ce qui venait de se passer, la regardant abasourdie. Je pus apercevoir dans ses yeux un éclair de lucidité puis elle tourna les talons et monta chercher l'ours en question pour le remettre à sa place.

Elle ne m'a pas adressé la parole de la soirée après ça. Le dîner s'était passé en silence. Je limitais au maximum le temps passé en présence de mes parents et m'enfermais toujours dans ma chambre, m'assurant de la verrouiller à chaque fois. Le verrou je l'avais installé moi-même pour éviter les réveils nocturnes violents que nous avions tant subi, aussi parce que j'ai réalisé que mes parents profitaient de mon absence pour venir fouiller ma chambre.

Ma chambre restait toujours fermée, que je sois dedans ou non. Mais ce fameux matin je ne l'avais pas verrouillé. Ça m'étonnait que ma mère n'ait même pas essayé de rentrer dedans pour trouver l'ours, elle avait pourtant retourné toute la maison.

J'en avais beaucoup trop sur le cœur, c'en était insupportable, chaque jour qui passait m'éloignait de plus en plus de Noah et me ramenait toujours plus à la réalité que j'avais nié à mes 10 ans. N'ayant pas la possibilité de parler, j'ai commencé à écrire. Bizarrement je n'ai pas écrit les faits tels qu'ils étaient, j'avais raconté une toute autre histoire, celle de l'autre monde. Dans cet œuvre que je rédigeais, mon petit frère avait péri à cause de l'autre monde.

Ecrire me soulageait beaucoup et m'aidait à affronter mes émotions, mon calvaire. Je me vouais corps et âme à cet art, réécrivant, encore et encore, chaque minute, chaque heure. J'inscrivais tout à la main, je ne sais pas pourquoi mais je préférais, c'était peut-être un peu ma punition, même quand mes poignets souffraient et que les crampes titillaient mes doigts je ne m'arrêtais pas.

Lorsque je faisais des ratures ou des erreurs je réécrivais toute la page pour que ce soit parfaitement propre. Je gardais précieusement mes pages remplies d'encre libératrice dans mon armoire sous une pile de vêtements. C'est ce qui m'a permis de tenir pendant plusieurs mois, écrire, coucher toutes mes émotions dévastatrices sur des feuilles vierges, les accablant de la noirceur de ma vie.

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Il reste 5 chapitres avant la fin 😄

Ne Ferme Pas Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant