Chapitre 34

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En passant devant le miroir de ma chambre d'enfant, je fus interloquée. Je me suis arrêtée quelques instants devant pour constater mon apparence. J'avais rajeuni de plusieurs années. J'étais redevenue une enfant. Je ne savais plus où était la réalité, avais-je rêvé de cet horrible monde, de ce psy, ou étais-je entrain de rêver en ce moment ?

Tout semblait si réel pourtant, intact, ma chambre n'a pas bougé. Je sortis pour aller espionner Noah. Il avait laissé sa porte entrebâillée, il jouait doucement avec ses petites voitures.

J'entendis la porte claquer et je me rendis à la fenêtre du couloir pour voir ce qui se passait dehors. La voiture rouge démarra et s'en alla, mon père venait de partir.

- Il est parti c'est bon ? me surprit Noah en se penchant à son tour pour voir la voiture disparaître.

Une fois qu'elle ne fut plus dans notre champ de vision, il sauta et cria de joie. Il courut dans tout le couloir en faisant l'avion, puis il vint me toucher avant de partir en courant.

- Touché, c'est toi le loup !

Nos rires éclatèrent dans la maison alors que nous courions à travers toutes les pièces, dévalant les escaliers, sautant sur les fauteuils, se cachant derrière notre mère attendrie devant la scène. Après cette grande partie de jeu, nous nous sommes stoppés pour reprendre nos souffles. Nous nous sommes assis dans le canapé.

Comme devant un film, j'ai observé le décor. Ce canapé en tissu accompagné de deux fauteuils en cuir, l'un d'entre eux ne nous accueillait jamais car c'était la possession de mon père. Noah, pour faire le pitre, jouait les courageux et allait s'asseoir dedans quand notre géniteur n'était pas là. 

La table de salon exposait toujours le journal et le cendrier à moitié rempli, ainsi qu'une bouteille de vin. Des buffets habillaient la pièce et une table plus grande entourée de chaises servait à recevoir des amis, qu'on ne voyait jamais. Je pris un instant également pour contempler ma mère. 

Elle regardait dehors, les yeux remplis de chagrin. Elle avait toujours ce regard, lourd et pleins de remords. On devinait, sous les marques des années et de fatigues, la beauté égarée de sa jeunesse. Elle arrangeait toujours ses cheveux en une natte, ou queue de cheval basse. J'ai rarement vu ma mère les cheveux détachés. 

Vêtue de sa blouse bleue ou gris foncé, elle n'arborait jamais de couleurs trop vives. Son sourire, lorsqu'elle nous voyait jouer était fade et terne. Je déglutis difficilement après cette analyse. Il ne faisait pas bon être chez soi, Noah illuminait la maison, mais l'atmosphère ici était pesante, étouffante. Le nuage de fumée, l'odeur de tabac et de café, le froid à cause des fenêtres toujours ouvertes pour faire disparaître ce brouillard toxique, rendaient l'endroit toujours plus hostile. 

La maison n'était pas chaleureuse, pas rassurante. Noah dut sentir mon inconfort et me proposa d'aller jouer dehors. Aujourd'hui je sais que toute mère aurait rappelé à ses enfants de se couvrir par ce froid hivernal, mais pas la nôtre. Nous sortîmes en pull, nous dirigeant vers la forêt. A nouveau, j'ai réalisé que toutes les mères auraient demandé à leurs enfants de rester à portée de vue mais encore une fois pas la nôtre.

 Nous étions assez loin de la maison pour notre âge. La forêt regorgeait de merveilles, d'arbres immenses de variétés différentes, des chênes, des pins, charmes et frênes. Beaucoup d'autres espèces ornaient cette grande forêt. Une petite rivière vive la traversait, elle était plus ou moins profonde selon les endroits. 

Noah débordait de joie, il sautillait riait, me racontait des histoires. Je me souvins soudain que nous aimions jouer aux explorateurs et qu'à chaque fois nous voulions découvrir une partie différente de cette forêt. Cette passion nous est venue le jour où nous avons découvert cette belle clairière par hasard.

Dans notre aventure du jour, nous avons trouvé et poursuivi un rouge gorge qui semblait avoir une aile cassée. Après concertation et une fois sûrs qu'il était vraiment en mauvaise santé, nous avons décidé de l'attraper pour le ramener et le soigner. Alors que je le tenais bien dans mes mains et que la petite bête eut cessé de se débattre sous la panique, Noah me sortit de mes songes.

- Laureen il est quelle heure ? demanda-t-il inquiet en me tendant son bras pour que je la lise sur sa montre.

- Il est midi moins le quart, annonçais-je après avoir lu sur le petit cadran accroché à son bras.

Il fit alors les gros yeux et je compris que quelque chose n'allait pas.

- Vite ! Il faut qu'on soit à la maison avant qu'il ne rentre ! lança-t-il alerté en commençant à courir.

Je ne pus courir avec le petit oiseau dans mes mains, mais j'avais fait au plus vite. Par chance, en rentrant j'ai constaté que la montre de Noah n'était pas à l'heure grâce à l'horloge du salon. Il était seulement onze heures. Noah courut se percher derrière notre mère assise sur un fauteuil et cacha ses yeux à l'aide de ses petites mains.

- Ne triche pas maman, nous t'avons ramené une surprise, dit-il enjoué.

Je me suis approchée, tendant mes mains pour montrer le petit oiseau et Noah retira ses mains. Ma mère fut surprise de se retrouver face à ça. Mais un grand sourire nous soulagea. Elle ria même.

- Ou l'avez-vous trouvé ?

- Il a une aile cassée, alors nous allons le sauver ! s'exclama Noah. Pas vraie maman ?

Elle lui offrit un grand sourire et caressa la joue de son fils tendrement.

- Je vais vous trouver une boîte en carton, nous allons y mettre un peu de coton et tout ce qu'il faut pour lui faire une bonne maison. J'irai voir chez Papy et Mamie s'ils ont toujours une petite cage pour oiseaux demain. 


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Bon dimanche et à demain !

Ne Ferme Pas Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant