Chapitre 9

38 6 25
                                    

La plaine se laissait voir au loin, là où les arbres se faisaient rare, j'allais pouvoir quitter la forêt. Alors que je contemplais les premières formes de la maison émettant de la lumière au bout de cette plaine, je ne faisais plus attention où je mettais les pieds. Je n'ai donc pas remarqué le fossé, ça n'a pas manqué. Un pas, puis au moment de poser le deuxième pied je glisse car il n'y avait pas d'appui. Le vent se lève et frappe les branches des arbres.

 La pente était raide, j'essayais d'arrêter ma chute avant d'atteindre la rivière en bas mais je prenais de la vitesse. Je réussis de justesse à me rattraper au tronc d'un petit arbre, visiblement assez solide pour supporter mon poids. La pointe de mon pied droit a seulement effleuré l'eau, créant une petite onde insuffisante pour me mettre en danger. Ma poitrine se soulève plus vite qu'à la normale et j'essaie de reprendre mon calme, tout comme fait le vent.

- Cette rivière est-elle profonde Laureen ? Devez-vous la contourner ?

Je ne peux dire si elle est profonde ou non, son courant est redoutable cependant. L'eau est trouble, entre le jaune, le vert et le marron. Je ne peux voir le fond qu'au bord, quand il n'y a pas de profondeur. Au milieu, je ne vois rien, elle est profonde c'est une certitude, surtout très large. L'eau est l'élément que je redoute le plus ici, car je n'ai aucune chance. 

Quand ce n'est pas le courant qui m'emporte, il arrive que je n'atteigne jamais l'autre rive, je nage, m'épuisant toujours plus mais je n'atteins jamais le bout. Je reste bloquée au milieu jusqu'à ce que je sombre, ou que je commette une erreur. Je dois même admettre que c'est l'élément qui me terrifie le plus. Je ne vois pas le danger, la seule chose que je peux voir dans la noirceur de cette nuit, est le courant qui emporte d'étranges silhouettes. 

Une fois je nageais et un de ces étranges bout de bois m'a percuté, j'ai hurlé d'horreur en constatant qu'il s'agissait de corps d'enfants, de bambins plus exactement. Le corps bleui, la chair abîmée, déchirée par l'eau, une expression de terreur habille leur visage. Leurs petits corps frêles et sans vie flottent et dérivent, me laissant une vision d'horreur. L'odeur qui émane de cette rivière est toujours particulière, nauséabonde.

 La surface est repoussante, ce qui vit à l'intérieur est bien pire. Ces créatures sont des monstres. Tels des piranhas, elles vivent en surnombre dans cette eau. Elles sont sensibles aux ondes, aux mouvements trop rapides et saccadés. Elles se réveillent alors et il ne fait aucun doute pour la victime que son heure a sonné quand elle voit l'eau, jusqu'alors si calme, qui se met à remuer comme si elle était en ébullition. 

Vous n'avez pas le temps de retenir votre souffle qu'elles vous attrapent de leurs mains petites mais coupantes aux doigts palmés et aux griffes immenses. Elles possèdent une queue longue qui les aides à se déplacer incroyablement vite, un petit corps semblable à un reptile, composé de quatre pattes. Une tête affreuse coiffée de sorte de tentacules peu longues qui peuvent être confondues avec des algues au fond de l'eau, ce qui leur rajoute un air répugnant.

 Leurs dents font plus de ravages qu'une scie, mais elles ne vous déchiquettent pas vivant. Elles sont plus petites qu'un alligator ou crocodile adulte, plus compactes, avec de grands yeux blancs comme ceux de l'ours. Une fois qu'elles vous entraînent sous l'eau où vous pouvez à peine distinguer les choses, vous entendez leurs cris si stridents qu'ils vous percent les tympans et vous font souffrir le martyr. Un cri qui vous tétanise, qui perce votre peau, votre âme. 

 Elles vous mordent, vous griffent et vous tirent d'une force surpuissante jusqu'au fond de la rivière pendant que vous débattez. Puis, dans une immense souffrance, vous étouffez et vous mourrez. J'imagine qu'après vous dérivez avec les autres corps en surface mais je n'ai aucune certitude.

Je tremble toujours à chaque fois que je me retrouve devant cette rivière, mais j'ai déjà réussi à la traverser sans encombre, cela dépend de la volonté de ce monde. Cela dépend de la façon dont il a choisi de me torturer cette fois. Je tentais de respirer convenablement alors que je mis un pied au fond de l'eau, remuant le moins possible la substance. Le vent souffla alors un peu plus fort.

- Prends. Garde, m'avertit-t-il en chuchotant, martelant chaque mot.

Ma main lâcha le tronc auquel je me retenais pour poser le deuxième pied et avancer. Je fixais la lumière au loin, me rappelant que c'était mon objectif. Coûte que coûte, je devais l'atteindre. J'avais fait deux pas jusqu'à présent et j'allais faire le troisième quand une pression s'exerça violemment sur mes omoplates. 

Je n'ai pas fait attention aux ombres et l'une d'entre elles a profité de mon inattention pour me pousser avec beaucoup de force. Mon corps fut déséquilibré et malgré tous mes efforts pour ne pas tomber, mon buste fut attiré vers le sol. Je me vis tomber au ralentit et entendit l'eau se soulever et se séparer sous l'impact de mon corps, remuant fortement celle-ci. 

Mes mains empêchèrent ma tête de sombrer et par réflexe je me suis relevée aussitôt, l'eau bouillonnait déjà sous l'affolement des démons d'eau. Je courus pour rejoindre la terre qui était toute proche. Un pied toucha le sol hors de l'eau, au moment de poser le deuxième, alors que je pensais être sauvée, une main saisit ma cheville. 

Je fus alors tirée en arrière et mon corps s'abattit sur l'eau en un fracas. Des mains vinrent le saisir, jusqu'à ma tête et mon cou, m'étranglant au passage. Puis je fus traînée sous l'eau, dans ce nuage d'innombrables démons d'eau. Leurs cris détruisant ma tête me tordant de douleur. Mon corps fut lacéré par leurs griffes et dents alors que je sombrais toujours plus. Dans une extrême souffrance, je n'eu plus assez d'air et ma vision s'est brouillée pour enfin s'éteindre. 

✎✎✎✎✎✎✎✎✎✎✎

Votre avis sur les démons d'eau ? Vous les imaginez comment ? Quand à Laureen, vous la voyez comment ? 

Ne Ferme Pas Les YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant