Le soleil était haut dans le ciel à peine filtré par les feuilles des arbres qui jaunissaient à vu d'oeil. Je suivais des yeux Sam et Lorelei assis dans l'herbe qui jouait. Un léger silence s'était installé entre moi et le couple souriant que formait Janice et Carl. Nous avions terminé de déjeuner et profitions de la paisibilité des lieux. J'avais exprès choisi une table sur la terrasse pour que mon amie et son mari puisse jouir de l'atmosphère enchanteur. Je voulais présenter l'auberge sous ses meilleurs jours afin d'avoir un retour positif surtout de la part de Janijce qui avait un goût très raffiné. Il y avait cette angoisse sous-jacente que je m'efforçais de dissimuler que ça ne les plaisait pas bien que j'étais fière de mon héritage.
Quand ma grand-mère a fait l'acquisition de ce lieu avec l'argent de son héritage, mon grand-père a pété une durite. À l'époque, mon père était encore un adolescent et mon grand-père très pragmatique a jugé cette dépense farfelue alors qu'il mettait de côté pour les études de mon père et celles d'Adélaïde. La Villa Créole ne possédait pas encore ce cachet enchanteur avec ses éléments de boiserie travaillée, ses jardins aux couleurs variées. Ce n'était qu'une ruine datant de l'époque esclavagiste dont les héritiers ne voulaient plus puisqu'elle aurait coûté trop d'argent en réparation et qu'ils ne pouvaient pas se le permettre. Ils ont été ravis de s'en débarrasser pour une très belle somme à l'epoque car ils ont aussi cédé les terrains avoisinants. Un investissement risqué!
La rénovation des lieux a beaucoup coûté et a duré près de deux ans. Certains travaux moins compliqués ont été effectuées par ma grand-mère, aidée de sa famille c'est-à-dire grand-père et sa fratrie venue en renfort d'Haïti. Même mon père, à l'époque passé maitre dans la procrastination a mis la main à la pâte. Au tout début de l'auberge, elle possédait une clientèle uniquement de gens de couleurs qui trouvaient en ces lieux un refuge sans discrimination où ils n'avaient pas peur d'être qui ils étaient. Puis au fil des années avec l'évolution des mentalités, la clientèle s'est diversifiée au plus grand plaisir de ma grand-mère qui a été obligée de commencer à embaucher des employés. La cuisine au début familiale et principalement créole est devenue variée même si elle conserve une prédominance créole. Je ne peux que me rengorger de fierté en pensant à tout que Mamie Rosa a traversé pour que ce lieu soit ce qu'il est aujourd'hui.
Un soupir s'échappa des lèvres de la rousse. Je me tournai vers elle perplexe.
- Qu'est-ce qu'il y a?
- On aurait aimé prolongé ce petit séjour. L'endroit est superbe et la cuisine mama mia! N'en parlons pas.
- En parlant de ça, est-ce qu'il est possible d'avoir les crevettes farcies de la veille ce soir? J'en meurs d'envie, intervint Carl qui se passait la main sur le ventre avec une mine gourmande.
- Carl! Tu te souviens des conseils de la nutritionniste? Si tu veux garder ton tour de taille, tu devras te mettre au dîner léger, la réprimanda sa femme d'un petit air sévère.
- Mais c'est juste pour cette fois! Ce n'est pas tous les jours que j'aurai la chance de goûter aux spécialités de la Louisiane, protesta-t-il sur un ton qui me rappelait Sam quand il voulait obtenir quelque chose.
Janice l'observa d'un air implacable, pas du tout attendrie.
- Belle, tout ça c'est de ta faute, ajoute-t-elle en se tournant vers moi.
Quoi! N'a t-on jamais entendu pareille sottises? Est-ce de ma faute si j'ai un chef qui assure?
- Je me récuse de toutes responsabilités dans cette affaire, affirmai-je d'un ton sentencieux.
On est interrompu par l'arrivée impromptue de Bobby qui était parti déjeuner avec les parents. Il paraissait suspectement heureux de quelque chose.
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Rasin
ChickLitRetourner dans ce trou paumé de la Louisiane n'a jamais fait partie des priorités d'Annabelle mais dans sa famille, on ne désobéi pas à un mort surtout lorsqu'il s'agit de votre grand-mère préférée. Alors la revoilà de retour à la tête de l'auberge...