Épilogue

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Après un début d'année  très chargé, nous avions fini par prendre des vacances. On méritait chacun de se reposer après avoir mis les bouchées doubles dans nos vies professionnelles. L'auberge était entre les mains de Lydia et mon père, et même Adélaïde qui faisait de son mieux pour calmer son caractère acariâtre. Donc Caleb, Sam, Bobby et moi nous nous étions envolés pour quinze jours pour Haïti. Les plages de sable fin, la cuisine savoureuse, l'eau de noix de coco, les fritay. Ouais, il y avait de cela mais j'ai aussi découvert l'envers du décor et j'en suis tombée encore plus amoureuse.

Les premiers jours, nous avons été accueilli par les cousins de mon père. Nous avons donc séjourné chez sa cousine Alizée, la fille de la soeur aînée de Mamie Rosa. Elle vivait dans une maison dans les environs de Bourdon, une demeure au style gingerbread qui datait de par ses boiseries. C'était tellement bizarre car j'avais l'impression de voir un peu de Mamie Rosa en elle. Elle avait eu quatre enfants, trois étaient éparpillés au quatre coin du monde et le dernier possédait un bar dans le centre-ville. Bobby qui était déjà venu par le passé s'y sentait comme chez lui. Je regrettais de ne pas être venue plus tôt. J'arrivais à sentir les sentiments de révolte, d'indignation et de liberté de mes ancêtres en respirant l'air chaud de Port-au-Prince. Je commençais à comprendre les élans patriotiques de Bobby.

- Tu as fini de te pomponner Belle? Freddie dit qu'il y aura de l'embouteillage à Pétion-Ville, résonna la voix de Caleb de l'autre côté de la porte de la salle de bain.

Je me hâtai de mettre une touche finale à mon maquillage puis ouvrit la porte à la volée. Caleb et Sam était debout, les bras croisés et la mine sévère. Ah ces deux-là! Ils étaient toujours sur mon dos quoi que je faisais. Ils revétaient la petite panoplie du parfait touriste. Chaussure de marche, baggy à poche multiple, sac banane, lunettes de soleil et casquette, ils étaient super bien équipés. On partait visiter Fort-Jacques, on en profitera pour arriver jusqu'à Le Montcel qui était vraiment charmant d'après ce que m'avait dit Freddie le fils d'Alizée. C'était un jeune homme énergique et très accueillant. La semaine prochaine, il nous emmènera dans le Sud-Est. On avait hâte de profiter de la mer azur et de la gastronomie du Sud.

- Ça va. Je ne vais quand même pas sortir n'importe comment. J'ai un statut à tenir. Il paraît que quand on est de la diaspora on se doit d'avoir un certain standing.

- Je vois. Maintenant on peut y aller ?

- Quel impatient ! Allons-y!

Freddie possédait une jeep tout-terrain adaptée aux excursions de la sorte. On rejoignit Pétion-Ville après une trentaine de minutes. La Jeep avait fait quelques arrêts aux environs de Canapé-Vert parce qu'il y avait des produits de toute beauté sur la route. Des paniers tressés, des pots de fleurs en argile ou en céramique, des sculptures de fer et toutes sortes de babioles  dont les touristes étaient friands. J'avais fait quelques achats évidemment au grand dam de mon frère et Caleb. Freddie m'avait aidé à marchander et j'avais pu assister à un combat serré entre un vendeur mercantile et mon cousin qui donnait l'impression d'être intraitable dans le marché des affaires.

Puis ce fut au tour de Sam de nous faire voir de toutes les couleurs en voulant goûter tout ce qu'il voyait dans la rue. Je ne me laissai pas faire. Après avoir acheté des papitas, des tablettes de noix de coco, à la pistache et au noix, de la cassave douce je déclarai que c'était assez. De toute façon, il aurait tout son temps pour goûter à tout ce qu'Haiti proposait en terme de friandise. Évidemment ma gourmandise prit le dessus quand je vis les étalages de griot et de bananes frites. Caleb me lança un regard réprobateur que je m'ingéniai à ignorer. Il n'allait pas me faire culpabiliser non plus de profiter de mes vacances.

- Je sens que tu ne vas pas passer la porte de l'appart quand on rentrera.

- Bah tu m'achèteras un palace alors.

- Je savais que ce jour viendrait. Pourquoi ne pas me demander une Ferrari tant que tu y es, lâcha-t-il sur un ton dramatique.

- Excellente idée. Tu sais très bien que je ne suis avec toi que pour ton argent.

- Doucement, je te rappelle que je ne suis que pédiatre. À la longue je pourrais t'offrir une baraque pas trop mal mais un palace? Tu as mal choisi ta victime.

- Ça ne fait rien je t'aime quand même.

- Content de le savoir.

Je surpris le regard attendri de Freddie dans le rétroviseur. On devait avoir l'air niais à ses yeux. Moi-même, je nous trouvais très niais, Bobby nous regardais avec cet air blasé de l'habitué. Il avait fini par admettre que l'on ne se priverait pas de démonstration d'affection devant lui pour épargner sa dignité de célibataire.

On arriva rapidement à Fort-Jacques. La visite fut brève car le fort était en plein travaux. Il lui donnait un coup de jeune à ce qu'il paraît. Donc direction Le Montcel pour une immersion dans un ranch. J'avais vu des photos sur les réseaux et ce que j'avais vu me plaisait. La différence de température se faisait de plus en plus sentir. Alors que le Centre-Ville était particulièrement chaud à cette période de l'année, Kenscoff avaient une température très fraîche. C'était aussi tout un autre monde. Difficile à croire qu'un endroit comme cela existait tout près de Pétion-Ville qui était l'une des plus importantes mégapoles de la capitale. Les gens d'ici vivait avec le strict minimum et pratiquait l'agriculture.

- C'est... pittoresque, commenta Caleb en contemplant le paysage à travers la vitre de la Jeep.

- J'adore.

Le ranch était absolument magnifique et me rappelait la Villa Créole par certains aspects. Je fus immédiatement conquise par la minuscule chapelle qu'on nous fit visiter. J'avais trop envie de me marier dans un endroit comme celui-là. Je jetai un coup d'œil à Caleb qui observait autour de lui avec fascination. Je n'avais jamais pensé à ce jour. Ce jour où j'aurais envie d'unir ma vie à la sienne jusqu'à la fin. On était ensemble et on était bien mais je sentais qu'il manquait quelque chose. Qui nous aurait permis d'officialiser la chose.

- Marions-nous ici, soufflai-je pour n'être entendu que de lui.

Il tourna la tête vers moi choqué et il y avait de quoi puisqu'on avait jamais parlé de ce genre de chose tous les deux.

- Tu... Tu en es sûre ?

- Pas toi? Demandai-je sur ton angoissé.

Il me servit un sourire qui fit fondre mon cœur.

- Tu ne vas pas le croire mais je traîne cette bague dans ma poche depuis une semaine mais je ne trouvais jamais le courage de te faire la demande en bonne et due forme, décréta-t-il en sortant une boîte de son sac banane.

- Mais non, m'exclamai-je en écarquillant les yeux. Je retire ce que je viens de dire, je veux une demande dans les règles de l'art.

Caleb pouffa devant mon ton exigeant avant de s'exécuter sous les yeux ébahis de Sam, Bobby, Freddie et notre guide.

- Annabelle Néard, veux-tu me faire l'insigne honneur de devenir la femme ?

- Je ne sais pas trop, tu n'es pas en mesure de m'offrir un palace... Évidemment que oui que je le veux !

Il enfila l'anneau en or blanc à mon annulaire alors que je me retenais de sauter partout.

- Bien sûr que c'est oui, je suis un parti non négligeable, rétorqua-t-il avec arrogance en se redressant.

- C'est pas faux. Si tu savais comme je t'aime, murmurai-je avant de l'embrasser chastement sur la bouche.

- Hey Oh! Sam et moi, on se sent un peu mis de côté là.

- Et moi aussi, ajouta Freddie avec un sourire en coin.

J'éclatai de rire avant de me tourner vers eux. Bobby et Freddie échangèrent un sourire complice tandis que Sam nous observait la bouche entrouverte avant de secouer la tête puis il courut se jetter dans nos bras. Tout ça sous le regard un peu perdu de notre pauvre guide.

RasinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant