Fantôme du passé

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J'avais perdu l'habitude de faire les courses toute seule depuis que j'étais revenue à Lafayette. J'étais toujours flanquée de Bobby ou de Caleb quand ce n'était pas les deux en même temps. Je me considérais chanceuse d'être autant entourée de personnes qui tenaient à moi. Aujourd'hui, exceptionnellement, je recevais chez moi. Caleb et moi, nous avions invité nos parents respectifs à diner ainsi que Bobby bien évidemment pour leur annoncer notre nouveau couple. Bobby, lui, déjà dans la confidence nous servirait de tampon et je ne doutais pas que les parents de Caleb le sachent déjà mais nous voulions officialiser la chose. Donc, aujourd'hui je devrais excercer mes talents de chef, la galère. Heureusement que Bobby s'est proposé pour m'aider, il n'avait pas envie de risquer la vie de nos parents et celle de mes beaux-parents.

Nullement honteuse de mes capacités culinaires, j'avais accepté son aide avec le plus grand plaisir. Ça me ferait moins de travail. Mais il a exigé que je m'occupe des courses seule, ce n'était  pas cher payé pour l'aide d'un expert. C'était le début de l'après-midi, Caleb était au travail et ne tarderait pas à rentrer pour m'aider. J'avais confié Sam à mon père qui disait que Sam lui redonnait de l'inspiration pour l'écriture d'un nouvel album.  Son métier était l'un des plus incroyables qui soit, il écrivait des chansons, la plupart du temps pour des chanteurs ou des chanteuses de jazz. Mais dernièrement, il avait commencé un projet innovant en écrivant des chansons où ils mélangeaient les trois langues qu'il parlait. Il parlait de regets, du mal du pays, du folklore et du panthéon haïtien. Il n'avait pas encore trouvé l'artiste qui porterait son oeuvre au public. Ces derniers temps, il parlait de plus en plus d'Haïti et de son envie pressante d'aller y faire un tour. Donc, Sam lui servait de muse par je ne sais quel obscure procédé propre aux artistes. J'avais toujours envié la sensibilité qui leur était propre, un peu comme s'ils percevaient le monde mieux que nous.

Je poussai mon caddy en soupirant jusqu'au rayon des boissons. Bon alors, la viande s'accompagnait souvent d'un vin rouge. Mon choix se porta sur un pinot noir d'un cépage français. Les vins français sont parmi les meilleurs alors j'en pris deux.

- Mes dieux! Belle?

Cette voix me transperça comme une lame. Je la reconnaissais. Je relevai la tête pour croiser les prunelles charbons de  Camilo. Camilo Aguilar. Mon premier petit ami. Le garçon qui était fou amoureux de moi et que j'ai utilisé pour rendre Caleb jaloux. En vain bien entendu. Je m'en voudrais toujours de ne pas avoir pris en compte ses sentiments.  Pourquoi est-ce que le destin le mettait face à moi précisément maintenant?

- Camilo! C'est vraiment toi?

Évidemment que c'était lui. Le jeune portoricain n'avait pas vraiment changé depuis le lycée à part ses dreadlocks devenus un peu plus longs. Il avait toujours ce regard de braise qui reflétait le moindre de ses sentiments. Camilo a toujours été un livre ouvert pour moi. Ses émotions étaient parfaitement étalées dans ses prunelles d'un noir abyssal. En parlant d'artiste, le jeune latino faisait partie de cette caste de gens trop extraordinaire pour ce monde laid et immonde. Il composait les mélodies les plus merveilleuses sans se forcer, juste en laissant ses doigts courir sur un clavier. Lui et mon père se sont tellement bien entendus. C'était tellement étrange qu'au moment même où je pensais aux artistes que je croisai justement un qui avait tenu une place importante dans ma vie.

- Ouais c'est moi. Je n'arrive pas à croire que je te croise ici? Aux dernières nouvelles t'étais à New York non?

- Je suis rentrée il y a quelques mois après l'enterrement de Mamie Rosa.

Je vis son visage s'assombir à la mention de ma grand-mère.

- J'ai appris la nouvelle, je suis sincèrement désolé. Je sais à quel point elle comptait pour toi.

RasinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant