La fille du marais

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S'occuper d'un auberge dans un endroit reculé des États-Unis est une vraie sinécure mais on dirait que même ça était trop dur pour mon père. J'arrivais pas à comprendre comment pouvait-on être ses enfants Bobby et moi car on n'avait rien de lui que ce soit physiquement ou mentalement. Mais malgré tout cela mon père faisait partie de ces personnes que j'estimais beaucoup. Il n'avait concrètement aucun sens de l'organisation et ne se donnait aucun mal pour être sérieux. C'était un artiste. La seule chose qu'il voulait faire, c'était s'enfermer dans son petit studio personnel pour composer. La gérance de l'auberge était bien au dessus de ses compétences et je m'étonnais que ma mère lui ait laissé la bride pour déconner autant.

C'était pour cela que je ne m'étonnai pas de trouver le toît de l'écurie dans un état lamentable et ne parlons pas de la serre que le jardinier avait abandonné. J'avais du pain sur la planche. En poussant un soupir las, Bobby me fit faire le tour de la propriété après avoir sellé les deux plus beaux chevaux de notre écurie. Sam était resté dans la serre à se goinfrer de fraises avec Gigi la fille qui aidait le jardinier avant que celui-ci ne fasse la malle. Le toit de l'écurie détruit par une tempête mais n'ayant jamais été réparé était numéro sur ma liste et on en profita pour parler de nouveaux aménagements pour améliorer la vie de nos pensionnaires. Des mauvaises herbes gâchaient les kiosques de fleurs. J'avais vraiment du pain sur la planche.

- Alors t'en penses quoi?

- De quoi ?

- De la propriété et du travail à faire?

- C'est pas impossible à faire mais nous aurons besoin de mettre les bouchées doubles si on veut que ce soit fait avant les fêtes de fin d'année. Dis moi la comptabilité marche bien. On n'a pas de dettes?

- Non je m'en suis bien occupé mais nos bénéfices se réduisent. On a de moins en moins de client surtout depuis la maladie de Mamie Rosa.

Ça allait être plus difficile que je ne le croyais d'honorer les voeux de grand-mère. Notre visite nous conduisit irrémédiablement à la forêt bordant le domaine. La paix qui régnait en ses lieux changaient de l'atmosphère bruyante et étouffante de New-York. L'odeur des pins associée aux parfums des fleurs sauvages créaient un mélange envoûtant.

La promenade dura toute la matinée puis nous rentrâmes déjeuner pour après prendre compte des papiers de la succession. Tante Adélaïde vint s'immiscer dans le bureau histoire de gâcher notre travail par ses ondes négatives. Étant infirmière de métier, elle n'avait aucun rôle dans la gestion de l'auberge mais elle l'avait mauvaise que ce soit moi la nouvelle gérante. Nous n'avons jamais pu nous entendre elle et moi, notamment parce que c'est une grande dévote et que je suis du genre... sceptique. Mais ce n'était qu'une des nombreuses raisons de notre mésentente.

- Ce n'est pas parce que maman sous l'effet des médocs t'a désignée comme proprio des lieux que tu es la bienvenue petite catin, persiffla t-elle telle une vipère perchée sur ses petits talons carrés aux couleurs criardes.

- Tatie! Quel plaisir d'entendre ta douce voix aujourd'hui! Tu viens m'aider à régler les problèmes de l'auberge?

Surprise par ma reaction ou plutôt mon manque de reaction elle se figea avant de tourner les talons les lèvres pincées. J'expirai un bon coup avant de me replonger dans les comptes. Des chiffres encore des chiffres... Bobby lui comme d'habitude semblait complètement déconnecté de la réalité, le front plissé sous l'effet de la concentration. Bien qu'il n'en soit pas conscient mon frère était le charme incarné, don hérité de papa qui à une certaine époque a fait chaviré bien des coeurs. Je dirais même que ce fait était toujours d'actualité.

Autrefois quand on était au lycée, il faisait partie des fantasmes de beaucoup de mes amies et amis. Vous avez compris. Pourtant il ne s'en était jamais rendu compte, sans doute était-ce du à son temperament rêveur. Ses yeux noirs semblaient toujours perdus dans un autre monde malgré son pragmatisme, chose assez surprenant. Bobby était un énigme vivant. La seule autre personne qui l'ait vraiment compris a été Caleb, bien qu'il l'ait rencontré grâce à moi Caleb eut tôt fait de m'abandonner pour la compagnie de mon grand frère qui correspondait plus à ses critères de meilleur ami. N'empêche, il était resté mon seul veritable meilleur ami jusqu'à cette chaude nuit d'été comme on en trouve en Nouvel Orleans. Je parlais de Caleb, évidemment.

RasinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant