someone like you. - idy 3

audition.

Mai 2034.

Je tourne mon critérium et efface avec la gomme, les lettres que je venais d'écrire dans la grille. J'abandonne mon crayon sur la tablette devant moi et soupire. Mon regard dévie de mon mots fléchés au paysage par la vitre du train. La campagne anglaise commence à laisser place à ce qui ressemble fortement à la banlieue. Nous ne devons plus être très loin de Londres.

Ma main passe dans mes cheveux et je me laisse aller dans mon fauteuil, les bras croisés devant moi. En face, de l'autre côté de la petite table, Dae écoute en boucle la chanson de son audition, dans les bras d'Ady. Même si j'ignore pour quelle raison ce dernier nous accompagne alors qu'aux dernières nouvelles ils n'étaient plus ensemble, je n'ai posé aucune question, fait aucune remarque et n'en ferai pas.

Il faut dire que depuis que mes parents ont appris à mon frère que je serais du voyage pour aller à sa présentation, il a trouvé très mature de ne plus m'adresser la parole. Ou si peu. Alors dès que je lui parle, il fait comme si je n'existais pas. C'est stupide, puéril, énervant et un peu humiliant aussi sur le long terme. Ne comprend-il pas que je n'ai pas choisi d'être dans ce wagon ?

Comme je le pensais, Londres arrive et le contrôleur nous l'annonce. En prenant mon temps, je range mes affaires dans mon sac et attrape au-dessus de nous, nos vestes. Chacun s'habille en silence. Ady et moi commençons à connaître mon frère. Nous savons qu'il est dans sa bulle et que rien ni personne ne peut l'en sortir à part lui-même.

Pour chacune de ses performances, Dae se transforme, devient presque une autre personne. L'être le plus bavard du monde ne dit plus un seul mot. Il ne sourit plus. Ses sourcils se froncent sous la concentration. Et quand il met un pied sur scène... Il rayonne. Mais ce n'est plus une licorne, comme le surnomme Hugo, c'est un félin, plus sombre, plus puissant, insaisissable, mais toujours aussi magnifique.

Alors sans un mot, nous nous dirigeons vers la sortie, à la suite des autres passagers. Je me trouve juste derrière eux et quand je vois Dae croiser le regard d'Ady avant de descendre le marchepied, j'ai comme un mauvais pressentiment. Il atteint le quai, remonte les bretelles de son énorme sac de sport sur son épaule et nous attend en jetant des coups d'œil à droite et à gauche. Ou plutôt, il attendait Ady. Dès que celui-ci arrive à ses côtés, mon frère attrape sa main, lève son visage vers moi et me lance, avec un grand sourire :

— À ce soir !

Je me fige sur la marche, les regardant s'éloigner en courant à travers la foule. Il a osé. Je secoue la tête, désespéré et déçu. Surtout déçu. C'est dans ces moments que je comprends que mes parents ne désirent pas le laisser seul à Londres.

— Gamin, maugréé-je pour moi-même.

— Monsieur, il faudrait descendre, m'interpelle une voix.

Je jette un rapide regard à la queue derrière moi. Je m'excuse et rejoins le quai. Les gens passent à côté de moi sans me remarquer, certains me bousculent. Quand une énième personne me donne un coup d'épaule, j'enfouis mes mains dans les poches de veste et me mets en marche. Je suis le mouvement. Une fourmi parmi tant d'autres et pourtant, je suis seul.

Pendant un long moment, j'erre sans vraiment voir ce qui m'entoure. Je demeure assis sur un banc de la gare, presque amorphe. Parce que je suis démuni. Je ne sais plus ce que je dois faire et soudain l'idée de rester à Londres, de ne pas retourner à Barnard Castle m'envahit. Je me perds dans cet univers alternatif que je m'invente. Et je me sens soulagé à cette pensée.

Au moment où un sourire apparait sur mes lèvres, mon portable vibre entre mes mains, annonçant la réception d'un message. Il est de ma mère :

Vous êtes bien arrivés à l'école ?