nul.

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23 Décembre 2024.

Il y a quelques jours, nos parents nous avaient appris qu'ils allaient devoir travailler pour le vingt-quatre et vingt-cinq décembre. Cela permettrait à leurs employés d'être en famille pour Noël. Cela ne nous dérangeait pas. Quand nous étions en Corée, nous ne faisions rien de spécial à ce moment-là. Nous avions seulement à plusieurs reprises passé l'après-midi à la patinoire en plein air de Séoul. Or cette année, Séoul était trop loin de nous pour y penser.

Nos traditions familiales, comme la majorité des Coréens, concernaient plus le Nouvel An où nous faisions quelque chose de génial. Nous profitions pendant deux jours de notre maison de campagne près de Busan. Nous pouvions ainsi nous rendre à la plage pour voir le premier lever de soleil de l'année. Dae et moi étions emmitouflés dans de grosses couvertures. Même notre grand-mère devenait presque agréable à ce moment-là, dans le silence hivernal.

Nous rentrions ensuite pour engloutir des boissons chaudes avec des gâteaux que ma mère avait préparés la veille. Tandis que grand-mère passait son temps dans ses appartements, nous discutions, jouions et échangions des cadeaux. Nos parents travaillaient beaucoup, mais le premier jour de l'année, ils étaient toujours présents pour nous.

Cependant, ici, en Angleterre, Noël semblait être une véritable institution alors j'avais voulu marquer le coup. J'avais donc décidé de préparer le dîner pour cette fête même si nous étions le vingt-trois. J'étais tendu et stressé. Le temps m'était compté. J'avais dû viser un objectif trop haut pour moi et pourtant, j'avais poursuivi, m'étais accroché.

Mon cœur pulsait rapidement et en venait même à me faire mal. J'avais tenté d'en faire abstraction, mais c'était désagréable. Une main prise par un oignon, l'autre avait frotté énergiquement mon plexus pour faire disparaître cette sensation. J'avais dégluti, mais m'apercevant que ça ne changeait rien, j'avais claqué la porte du frigo.

J'étais en train de couper mes ingrédients avec application quand j'avais sursauté au bruit de la porte d'entrée. Les sourcils froncés, j'avais regardé l'horloge du four et avait grimacé en découvrant l'heure. Je n'avais pas vu le temps passer. Je m'étais retenu de me mettre une gifle. Pris par mes préparations, j'avais oublié...

— Dae ? l'avais-je appelé.

Il avait fait son apparition quelques instants plus tard à la porte de la pièce, son bonnet toujours enfoncé sur sa tête et son manteau dégoulinant de pluie sur le dos. Son visage était aussi mouillé que ses habits.

— Oh Dae-Dae ! Va vite te changer, tu vas t'enrhumer !

— Tu devais venir me chercher, m'avait-il dit d'une petite voix.

— Je suis désolé, je faisais la cuisine et j'ai pas vu l'heure.

— J'ai dû rentrer tout seul sans parapluie...

— La maman de ton copain ne pouvait pas te déposer ? l'avais-je interrogé.

Un garçon de l'école avait invité Dae au cinéma en ce premier jour de vacances. Mon frère ne voulait pas s'y rendre, prétextant qu'il ne comprendrait pas le film. Les acteurs parlaient encore trop vite pour lui par moments, mais j'avais insisté. Il avait besoin qu'il se fasse des amis ici. Avec notre différence d'âge, même si elle n'était pas énorme, finirait par se ressentir un jour ou l'autre.

— Non parce que moi, je lui ai dit que tu avais promis de venir me chercher et m'emmener voir le sapin à Trafalgar Square !

Je pouvais distinguer toute sa peine et sa déception dans sa voix.

— Je suis désolé, Dae-Dae ! Je voulais vous préparer un dîner de fête pour ce soir et j'ai...

— Tu passes tout ton temps à cuisiner maintenant, m'avait-il coupé.

— Eomma m'a...

— C'est nul !

— Je sais, mais...

— C'est nul ! répète-t-il sans chercher à m'écouter.

J'avais levé les yeux au ciel, blasé par son enfantillage.

— Arrête, Dae, avais-je soupiré malgré tout en reprenant la découpe.

— Non ! avait-il crié. Tu ne joues plus avec moi. Et tu viens même plus à mon école de danse. T'es toujours ici ou au restaurant.

J'avais cessé tout mouvement pour poser mon regard sur lui. Il avait les larmes aux yeux et ça m'avait fait mal. J'avais alors réalisé qu'il n'avait que huit ans, c'était de son âge d'être ainsi. De ne pas saisir les changements qui s'étaient passés à cause de notre déménagement ou de mon apprentissage de la cuisine.

Mais je ne pouvais pas lui expliquer la promesse que j'avais faite à grand-mère avant sa mort. Ou les désirs de nos parents. Dae n'aurait jamais compris, il était trop jeune. Tout ce que je pouvais faire, c'est attendre qu'il grandisse et déchiffre la situation dans laquelle je me trouvais et les sacrifices que je devais faire pour nous tous.

— Je suis désolé.

— Tu n'arrêtes pas de dire ça, mais ça ne change rien. Tu t'en fiches de moi !

— Je ne me fiche pas de toi, avais-je rétorqué du tac au tac, choqué par son affirmation.

Je m'étais essuyé les mains sur mon tablier et avais contourné le plan de travail pour le rejoindre, mais il avait fait un pas en arrière.

— Il te faut des amis comme ce garçon, que tu passes du temps avec Eomma quand elle vient te chercher à la danse. Et moi, je dois... préparer notre avenir.

— Mais moi, je veux être avec toi...

— Dae, je ne pourrais pas toujours être là avec toi, tu sais ?

À mes mots, une grimace était apparue sur le visage joufflu de mon frère, avant qu'une expression neutre ne la remplace. Il m'avait toisé de bas en haut puis avait dit :

— Je comprends...

Il avait fait un nouveau pas en arrière. Puis un autre. Finalement, il avait disparu dans le couloir pour rejoindre notre chambre.

— Prends une douche et mets des habits bien chauds, lui avais-je conseillé depuis la cuisine.

J'avais regardé une seconde mes légumes et mon oignon laissés à l'abandon puis j'avais souri en récupérant mon couteau. J'appréciais le temps que je passais seul derrière les fourneaux. Je me sentais enfin à ma place et surtout utile pour ma famille. Dae finirait par comprendre pourquoi je faisais tout ça. Ce n'était qu'une dispute, un mauvais moment à supporter.

someone like you. - idy 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant