départ.

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Avril 2024.

Enfouis dans la poche de ma veste, mes doigts serraient depuis que nous avions quitté l'appartement, la petite lettre que mon meilleur ami m'avait donnée la veille. Je n'avais pas osé la lire. Pourtant, j'en rêvais. Mais quand il me l'avait tendue, la main tremblante, alors qu'il demeurait bien droit sur le palier de chez moi, il m'avait fait jurer de ne l'ouvrir qu'une fois que je serai arrivé dans mon nouveau pays. Encore une promesse... Mais cela était sûrement la plus facile à tenir pour moi. Donc je la tiendrai. Coûte que coûte. J'avais lâché le papier.

J'avais relevé la tête sur laquelle ma mère avait enfoncé un bonnet. Il ne faisait pas froid, et Dae, qui avait été affublé du même attirail, lui en avait fait la remarque. Elle m'avait jeté un coup d'œil avant de déglutir. Ce n'était pas contre la fraîcheur qu'ils nous protégeaient, mais contre le regard des gens. Tout comme notre masque blanc, cela servait juste à nous fondre dans la masse, pour ne pas être reconnus.

À quelques mètres devant moi, Dae tirait sa minuscule valise dans laquelle il avait rangé tous les jouets qu'il avait pu sauver des huissiers et de l'autre côté, il tenait fermement la main de notre mère. Il avait peur. Comme moi. Comment ne pas être effrayé de quitter notre pays, le seul que nous n'ayons jamais connu, sans savoir où nous nous rendions?

J'avais reniflé pour m'éviter de pleurer. Mon père était à ma gauche, je ne pouvais pas flancher devant lui. J'étais déjà curieux à cette époque. Peut-être trop selon mes parents. Si la plupart du temps, je réussissais à la gérer, quand nous étions arrivés sous un panneau lumineux indiquant tous les prochains départs de Séoul, j'avais craqué :

— On va où, eomma?

Elle avait passé une main gelée dans mon cou et après un timide sourire, m'avait répondu :

— Londres, en Angleterre.

Mais... Ils ne parlaient pas la même langue que nous, n'avaient pas les mêmes habitudes, traditions, dessins animés, jeux...

— On va y rester combien de temps? l'avait interrogée Dae à son tour.

— Pour toujours.

La voix sèche et déterminée de mon père ne nous avait pas laissé le choix. Il fallait se taire. Dae avait baissé la tête avant de passer ses bras autour de notre mère, lui réclamant un câlin. Elle s'était contentée de lui tapoter le crâne alors je lui avais caresser de dos en de larges mouvements comme il aimait. Tout en m'exécutant, j'avais jeté un coup d'œil au panneau. Notre vol était affiché, mais pas notre porte. Nous allions donc devoir attendre.

— Eomma, est-ce que je peux avoir de l'argent pour acheter quelque chose pour le voyage?

Elle s'était tournée vers moi, la moitié de son visage caché par son propre masque. Ses yeux m'avaient sondé pendant un moment interminable puis finalement, elle avait accepté, me tendant son minuscule porte-monnaie. Je m'étais penché vers mon frère et lui avait murmuré, pour qu'il soit le seul à m'entendre :

— Ne pleure plus. Je vais t'acheter à manger et même des stickers, d'accord?

Il avait juste fait un petit hum pour me répondre ce qui m'a fait sourire.

— Promis, Dae-Dae.

J'avais embrassé sa tête par-dessus son bonnet puis je m'étais éloigné pour me rendre dans le premier magasin devant lequel je passais. J'avais croisé les doigts en espérant trouver ce que je désirais. J'avais déambulé entre les rayonnages et avais attrapé un paquet de bonbons que mon frère allait adorer. Au détour d'une étagère, la Une d'un magazine avait attiré mon attention.

Je m'étais approché lentement de la publication et avais caressé la couverture du bout des doigts. Un frisson désagréable s'était emparé de moi. Après un instant d'hésitation, j'avais pris un exemplaire dont les gros titres disaient : « La pire débâcle nationale de la décennie ». Pour illustrer les mots, une photo de mon père réalisant un Jeol devant ses anciens employés les accompagnait.

J'avais grimacé et si j'avais pu, j'aurais jeté à terre toutes ces horreurs, mais à la place, je l'avais ouvert au dossier qui concernait le fiasco Lim comme le journaliste l'avait nommé. Je n'avais pas compris toutes les phrases de ce long article, mais je crois qu'au final, j'avais saisi l'essentiel. Un conseil financier de l'entreprise familiale avait détourné des millions de Won* avant de disparaître dans la nature. Bien entendu, tout était retombé sur mon père qui avait dû liquider la société et licencier tous ses salariés.

À présent, j'avais les explications à tout ce que nous avions vécu ces derniers mois. La perte de notre maison et de toutes nos affaires. Les regards de travers. L'énervement de grand-mère. La honte de mes parents. Les critiques et les injures d'inconnus. Mais surtout notre départ de Corée.

Les larmes avaient brouillé ma vue et j'avais lâché la revue. J'ai jeté des coups d'œil apeurés autour de moi. Quand une femme s'est approchée de moi pour me demander si j'allais bien je m'étais enfui en courant, abandonnant les sucreries pour Dae au sol avec les méchancetés qu'on disait sur ma famille.

J'avais sûrement bousculé des gens. J'avais sans doute fait tomber des valises. J'avais même dû trébucher moi aussi vu l'état de mon pantalon au niveau de mon genou droit. Mais je n'avais aucun souvenir de tout ça. Je me remémorais juste mon petit frère pleurant contre notre mère. De ses sanglots que j'entendais encore alors qu'il était peut-être de l'autre côté de l'aéroport. De ses petites mains qui serraient le manteau d'eomma.

Je m'étais arrêté au milieu d'une salle d'attente, ma respiration saccadée me brûlant la poitrine. J'avais abaissé mon masque, retiré mes lunettes et essuyé finalement mon visage noyé sous les larmes. Mon corps était secoué par les soubresauts de mes pleurs. J'étais perdu. Physiquement et mentalement.

Soudain, des mains se sont accrochées à mes épaules et m'ont fait faire demi-tour sur moi-même. Je m'étais retrouvé face à mon père qui semblait inquiet. Il m'avait serré dans ses bras, un long moment, et j'en avais profité parce que c'était rare qu'il agisse ainsi avec moi. J'avais enfoui mon visage dans son cou.

— Kwang Sun, avait-il murmuré à mon oreille. Pour être heureux, il faut être fort. Plus fort que le monde qui nous entoure.



Won : monnaie de la Corée du Sud

someone like you. - idy 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant