bagarre.

1.3K 141 122
                                    

Février 2024.

J'avais tiré sur le col de ma chemise, mal à l'aise, et avais soupiré. C'était le dernier jour d'école, j'allais rentrer au collège dans une semaine, mais je n'étais plus très sûr que ça me fasse tant plaisir. Pourtant j'avais attendu ça avec impatience. Mais depuis un mois, la vie était devenue très compliquée pour Dae et moi et me dire que j'allais devoir abandonner mon petit frère, seul, dans cette école primaire, ça ne me plaisait pas. Mais alors pas du tout.

Mon regard passait d'un élève à un autre tandis que ceux-là sortaient à leur tour, retrouvant pour certains leur mère. J'avais commencé à m'inquiéter quand j'avais vu des garçons de la classe de Dae quitter le l'établissement en ricanant. Je m'étais redressé du muret sur lequel j'avais pris appui et m'étais dirigé vers un gamin que je reconnaissais parce qu'il était déjà venu à la maison pour jouer avec mon frère. J'avais posé ma main sur son épaule et lui avais demandé gentiment :

— Excuse-moi ! Tu sais où se trouve Dae Hyun ?

Il avait relevé les yeux vers moi, un peu apeuré et avait secoué la tête de droite à gauche, mais j'avais senti qu'il me cachait quelque chose.

— Tu en es sûr ?

Cette fois, il l'avait hochée.

— Tu devrais le lâcher, le pestiféré ! Tout de suite !

Je m'étais tourné, me retrouvant face à un adolescent, qui devait avoir deux ou trois ans de plus que moi. Il avait une grande ressemblance avec celui à qui je tenais toujours l'épaule. J'aurais sûrement dû faire ce qu'il m'ordonnait, mais mon esprit était resté bloqué au quolibet dont il m'avait affublé.

Depuis le jour où nous avions tout perdu, les mises à l'écart et les méchancetés de ce genre voire bien pires, avaient été nombreuses. C'était devenu mon quotidien. J'avais juste froncé les sourcils, ne comprenant pas comment les soucis de mes parents, des problèmes d'adultes pouvaient avoir autant d'impacts sur nos vies à Dae et moi.

— Je t'ai dit de le lâcher !

Le grand avait attrapé mes cheveux et les avait tirés en arrière me faisant grimacer sous la douleur. Je m'étais exécuté, allant jusqu'à tomber sur le sol en béton. Quand ses doigts avaient quitté mon cuir chevelu, j'avais commencé à me le masser pour tenter d'effacer les élancements que j'avais au crâne.

— Je lui posais juste une question, m'étais-je défendu.

— M'en fous ! Toi et ton frère, vous ne vous approchez pas de nous, c'est clair !

— Mais pourquoi ? Ils sont amis...

— Plus maintenant ! m'avait-il coupé.

Je voyais déjà la réaction de Dae quand il comprendrait que son copain ne voudrait plus jouer avec lui ou lui parler tout ça pour quelque chose dont il n'était même pas au courant et qui le dépassait de toute façon. Je me suis aussitôt relevé, énervé. Par ce grand qui osait interdire à mon frère d'être avec son camarade. Par tous les autres qui nous insultaient, nous pointaient du doigt parce que nous n'avions plus d'argent. Par mes parents qui nous avaient mis dans cette situation. Par grand-mère qui m'avait obligé à faire une promesse que je me savais incapable de tenir.

J'avais fait face à ce garçon qui était beaucoup plus grand, plus fort et plus vieux que moi. Alors que je n'avais jamais cogné qui que ce soit à part Dae quand nous jouions à la guerre, mais je ne le faisais pas exprès, j'avais serré les poings et l'avais tapé en plein dans le ventre. Il avait grimacé. Un peu. Avant de se reprendre comme si je lui avais seulement fait des chatouilles.

Lui, cependant, avait dû déjà participer à une bagarre parce que lorsqu'il m'avait frappé, il n'avait loupé ni mon œil ni ma pommette. Je n'avais pas pu retenir un cri de sortir. Mon visage allait me faire souffrir un long moment. Je n'étais pas fait pour ça, je le savais et pourtant, je m'étais lancé là-dedans, tête la première. Mes parents n'arrêtaient pas de me répéter de ne jamais laisser ma colère ou en règle générale, mes sentiments diriger mes actions. Je venais de faire l'exact contraire.

Dans mon malheur, j'eus de la chance que mon adversaire décide de ne pas me finir et de me laisser la vie sauve. Il se contenta de réaffirmer que nous ne devions plus nous approcher de sa famille. Comme si j'en avais envie... Je les avais fixés un long moment s'éloigner, les larmes aux yeux. Les gens qui s'étaient agglutinés sans que je m'en rende compte avaient choisi de partir eux aussi, m'abandonnant blessé devant l'école.

J'avais retenu un sanglot et avais essuyé rageusement mes paupières pour m'empêcher de pleurer. Un klaxon dans la rue m'avait sorti de mes pensées, me ramenant violemment à la réalité. J'étais seul devant cette grille ouverte et Dae avait disparu. Sans attendre, j'étais retourné à l'intérieur, en courant. J'avais cherché dans toutes les pièces pendant de longues, trop longues minutes. Je l'avais retrouvé derrière le bâtiment secondaire, celui qui servait pour les cours d'art. Il était recroquevillé sur lui-même, sanglotant.

Mon cœur s'était fissuré à cette image. Je m'étais précipité vers lui et l'avais pris dans mes bras, moi derrière lui. Je m'étais installé par terre et l'avais serré encore plus contre moi. Je lui avais soufflé parfois des mots pour tenter de le réconforter, mais il semblait inconsolable.

— J'ai tout vu... Il veut... plus être... mon ami...

Entre deux sanglots, il avait réussi à me dire ça. Ce que je craignais était arrivé plus vite que prévu.

— Je suis désolé, Dae-Dae... Mais rappelle-toi... Je serai toujours là pour toi, moi.

Il s'était relevé doucement et s'était tourné vers moi. Ses joues roses étaient ravagées par les larmes alors j'y passais mes pouces. Il en avait profité pour lever sa main entre nous et me tendre son auriculaire. Je m'étais forcé à lui sourire et à lui répondre en coinçant son petit doigt avec le mien :

— Promis...

Je lui ai embrassé le front et plus joyeusement que je ne l'étais, lui ai dit :

— Rentrons à la maison !

Enfin, ce n'était peut-être pas le mot. Depuis que ces gens étaient venus nous prendre tout ce que nous possédions, nous avions atterri dans un minuscule appartement où Dae et moi partagions une chambre qui devait faire moins de dix mètres carrés. Mes parents n'avaient même pas de futon et ma grand-mère était partie en province, chez une amie.

— Ce sont les vacances !

J'ai aidé mon petit frère à se lever et tenté de lui faire oublier la trahison de son copain :

— Tu aimerais qu'on aille au parc pour jouer au ballon ?

Il avait seulement hoché la tête, en serrant ma main dans la sienne pour que je ne le lâche pas. Pendant tout le trajet jusqu'à chez nous, nous avions parlé de tout ce que Dae voulait faire et j'avais le plaisir de me dire que je lui avais changé un peu les idées. Mais pas les miennes.

Dès que nous avons mis un pied dans l'appartement, nous étions tombés sur ma mère, nous préparant une boisson chaude. Elle avait demandé sans tarder à Dae de ranger ses affaires et de se laver les mains alors qu'elle me foudroyait du regard. Je savais que je ne devais pas bouger d'ici. Quand mon petit frère eut disparu dans notre chambre, elle avait attrapé mon menton pour inspecter mon visage amoché.

— Je t'interdis de te battre Kwang Sun. Ce n'est pas comme ça que nous t'avons élevé, avait-elle affirmé et elle avait raison.

J'avais avalé difficilement ma salive alors qu'une larme s'échappait. Elle l'avait effacé brusquement et avait ajouté :

— Le monde n'a pas besoin de savoir comment tu te sens à chaque seconde, il va déjà assez mal comme ça.

Elle avait passé une main dans mes cheveux et m'avait soigné avec tendresse.

Moi, j'avais retenu mes pleurs pendant des secondes, des minutes, des heures...

Peut-être même des années...

someone like you. - idy 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant