Chuseok. *

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30 Septembre 2034.

— Tu te souviens quand nous nous promenions le long de la rivière Han ? m'interroge ma mère en nous servant une nouvelle tasse de thé.

Je plisse les yeux sous la réflexion et soudain, une image de moi courant après Dae me revient à l'esprit. Je la remercie et lui réponds :

— Oui, Dae voulait toujours jouer à Chat là-bas.

— Et tu le laissais tout le temps gagner ! précise-t-elle, souriante.

Je hausse les épaules. Ce n'est pas totalement faux. Que ce soit à ce jeu ou à d'autres, j'avais à l'époque tendance à tricher pour le favoriser. Avec le recul, je me dis que c'était peut-être une désastreuse idée. Sans ça, il ne serait pas aussi mauvais perdant. Cependant, je ne rebondis pas sur ça :

— C'était vraiment beau comme endroit. C'était là-bas le pont où il y avait des jets d'eau, non ?

— Oui ! Le pont Banpo, souffle mon père, une pointe de nostalgie dans la voix.

Il nous rejoint dans la véranda où nous avons installé l'autel et la table pour Chuseok. J'avale une gorgée de boisson et suis alors frappé par l'évidence. Les souvenirs de mon pays natal s'effacent doucement de ma mémoire, remplacés par ceux que je me fais en Angleterre et c'est bien dommage parce que ceux de Corée doivent être bien meilleurs.

— Vous n'avez jamais eu envie... d'y retourner ? leur demandé-je, curieux.

— Si tout le temps ! affirme ma mère avant de prendre la main de mon père dans la sienne. Mais notre vie est ici maintenant. Et surtout la vôtre, à Dae et toi.

Je hoche la tête. Elle a raison. Même si nous avons gardé la majorité des traditions de notre culture, le retour en Corée du Sud serait légèrement brutal. Surtout pour Dae. Je ne suis pas sûr que son homosexualité serait acceptée aussi bien qu'ici.

— D'ailleurs... Comment ça se passe tous les deux à Londres ?

Pour gagner un peu de temps, je bois un peu de thé, tout en cherchant les mots pour que mon mensonge ne soit pas trop visible. Cela fait un peu plus d'un mois que nous avons emménagé ensemble à la capitale. Et autant que nous nous évitons. Enfin c'est surtout Dae qui fait tout pour ne pas me croiser. Mais je ne peux pas leur dire que la seule conversation que nous ayons, c'est lorsque nous faisons la liste des courses. Ils seraient trop malheureux d'apprendre ça. Quand je repose la tasse, mes parents me fixent avec intensité. J'ai l'impression qu'ils ont même arrêté de respirer dans l'attente.

— Bien. On commence à prendre nos marques.

— Dae-Dae s'en sort ?

J'inspire profondément pour garder mon calme. Je ne remettrai jamais en question tout le travail qu'il doit fournir pour son école, mais bon, en dehors de ses cours, il n'a aucune responsabilité. C'est moi qui fais des horaires de fou au restaurant pour ramener de l'argent. Moi qui prépare nos repas à la maison. Moi qui fais le ménage et la lessive. Moi qui fais les courses. C'est simple, je n'arrête jamais.

— Oui. Tu le connais. Il adore danser et apprendre de nouvelles choses et il s'est vite fait des amis, expliqué-je.

Même s'il n'a ramené aucun ami à la maison jusqu'à présent, je l'ai entendu plus d'une fois au téléphone bavardant des cours.

— Ça me rassure, souffle ma mère en serrant la main de mon paternel.

Ils échangent un regard. Je me sens mal et j'ignore pourquoi.

— Il ne nous parle jamais. Heureusement que tu es là pour nous appeler.

Oui, ça aussi, c'est moi qui le fais. Comme c'est moi qui ai organisé notre retour à Barnard Castle le weekend du Chuseok. Alors certes, à cause des cours de Dae et mon boulot, nous n'avons pas pu être présents jeudi, mais au moins, vous avons pu nous retrouver aujourd'hui.

someone like you. - idy 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant