I. 6.

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Ce n'était pas son habituel cauchemar qui l'avait éveillé. Ou, tout du moins, pas cette fois. S'il l'avait effectivement réveillé, c'était bien plus tôt, dans la nuit, lorsque le souffle lui avait manqué et que, empêtrée dans le pull qui lui servait de drap, elle s'était sentir mourir de l'intérieur. Comme à chaque fois, elle avait tenté de forcer le barrage de sa mémoire pour qu'enfin un vestige, une miette, n'importe quoi, lui explique l'état dans lequel elle se retrouvait nuit après nuit. Mais rien, jamais rien ne lui revenait, ne faisant qu'accroître ce sentiment de frustration et cette folie latente dans laquelle elle était persuadée de sombrer. Toutefois, après une bonne heure passée à errer dans les différentes pièces rendues lugubres par la nuit, elle avait fini par s'endormir à nouveau dans le grand lit sans drap. Et si elle s'éveillait à nouveau, le cœur frénétique et les entrailles en feu, ce n'était pas le résultat d'une amnésie nocturne. La chambre d'une autre époque se trouvait, à présent, baignée de cette lumière dorée si particulière, et le songe qui l'avait tiré du sommeil semblait vouloir se poursuivre malgré son éveil, malgré ses grands yeux parfaitement ouverts. Matteo.

Matteo... Pourquoi pensait-elle à lui subitement ? Il avait accompagné sa vie depuis tant d'années. Pas partagé, non, ça c'était son sentiment à lui. Pour elle, il n'avait fait que l'accompagner. Leur histoire n'avait été jalonnée que de séparations et retours de flamme, un peu comme une lutte de pouvoir, une balance ne trouvant jamais l'équilibre parfait, et l'un des côtés finissant toujours par l'emporter sur l'autre. Matteo était l'auteur des retours de flamme, et Astrée l'instigatrice des séparations. Elle n'avait fait que le repousser durant toutes ses années, le repousser pour son propre bien, pour ne pas qu'il s'accroche trop à elle sachant qu'elle n'était pas celle qu'il recherchait. On la disait folle, capricieuse, éternelle insatisfaite puisque, une chose était sûre, Matteo était parfait. Et oui, elle devait bien se rendre à l'évidence, pour un membre de la gente masculine il était ce qui s'approchait le plus de la perfection. Il était parfait, certes, mais il n'était pas parfaitement fait pour elle. Lorsqu'elle se projetait dans un futur plus ou moins éloigné, jamais Matteo n'avait fait partie du tableau. Ni lorsqu'ils étaient au lycée, ni maintenant. Elle avait ce sentiment de 'en attendant que...', de 'à défaut de...'. Ce n'était pas par égoïsme qu'elle le rejetait, au contraire, c'était en acceptant de revenir qu'elle cédait à ce défaut. Parce que c'était si simple de se laisser aimer de lui, d'accepter sa présence, ses avances. Ce n'était pas juste pour lui, mais qui était-elle pour décider seule de ce qui était le mieux pour lui ? 

C'était le raisonnement qu'elle avait adopté chaque fois qu'elle avait fait preuve de faiblesse par le passé, cédant une nouvelle fois à la facilité. Du moins jusqu'au décès. Après ça, plus rien n'avait été pareil. Plus la patience, plus la force de faire semblant, plus l'envie non plus, de se laisser aller dans des bras qui n'avaient plus rien de réconfortants. Qui n'avaient jamais rien eu de réconfortants. Assez des faux semblants, elle lui avait rendu cette liberté qu'il refusait toujours de prendre. Il n'y avait pas eu de grands discours, ni d'effusion, pas de 'il faut qu'on parle' et autres formules annonçant la couleur. Elle avait simplement cessé de répondre. Répondre à ses gestes tendres, à ses appels, à ses questions. Il n'y avait pas eu de point final à leur relation, puisqu'il n'y avait jamais eu d'introduction. Si seulement il avait pu cesser d'en vouloir plus, toujours plus... Alors peut-être qu'il aurait pu redevenir ce qu'il n'aurait jamais du cesser d'être : un ami. Un meilleur ami. C'était certainement ce dont elle avait le plus besoin actuellement, mais même ça, il ne parvenait pas à le comprendre. Il ne savait pas lire en elle, il parvenait à peine à déchiffrer le titre et prenait un malin plaisir à sauter des chapitres entiers. Le problème c'est qu'il était à elle là où, elle, ne lui avait jamais appartenu. Il ne comprenait pas. Il ne comprendrait jamais. Encore aujourd'hui il s'imaginait qu'elle avait juste besoin d'un peu d'espace, que cette situation, cet éloignement n'était que temporaire.

nāphîlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant