I. 29.

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Décidant que rester là, inutile et immobile, représentait la pire des options envisageables, elle se mit immédiatement en mouvement, pressant le pas jusqu'à la cuisine pour mettre la vieille théière sur le feu, puis traversant en sens inverse, dépassant l'escalier jusqu'au petit cagibi faisant office de pseudo buanderie au fond du couloir. Deux serviettes dans les bras, elle lui en offrit une avant de disparaître dans le petit salon, le seul doté d'une cheminée fonctionnelle. Certes, il ne faisait pas froid, mais la vieille bâtisse était si humide qu'ils risquaient d'attraper la mort à tout instant s'ils ne se réchauffaient pas rapidement. Elle n'y connaissait peut-être rien en mécanique ou en bricolage, mais faire un feu, elle savait faire. Quelques bûches plus tard, à quatre pattes, elle soufflait sur les braises, désespérant que les flammes se décident à jaillir un jour.

- Est-ce qu'elle a été ramonée ? Demanda la voix dans son dos.

Boitillant toujours mais les mains chargées d'un plateau, il observait la cheminée avec suspicion.

- On le saura bien assez tôt. Rétorqua-t-elle en se relevant, relativement satisfaite de son feu, pour aller lui prendre le plateau des mains.

S'il y avait bien la théière fumante en son centre, il n'avait disposé d'une tasse et qu'une cuillère. Un jour, il allait falloir qu'il s'explique sur sa capacité à connaître l'emplacement de chaque chose de son côté de la maison. Elle aurait voulu qu'il comprenne de lui-même qu'il était convié à rester un peu, et qu'au vu du volume d'eau qu'elle avait mit à bouillir, elle avait clairement prévu pour minimum deux tasses, mais la communication n'était pas leur point fort. Alors, reposant le plateau sur la table basse, elle s'installa maladroitement sur le vieux canapé au velours vert bouteille très usé, et attendit en silence qu'il prenne congé et l'abandonne désespérément seule en tête à tête avec l'orage du siècle. Toujours debout, immobile, les mains dans les poches et tête basse, il prenait son temps, s'attardant, comme s'il attendait quelque chose. Un merci peut-être ? Encore des excuses ? Ou tout autre chose ?

- Ne partez pas.

Cette demande qui aurait pu s'échapper de sa propre bouche, contre toute attente, émanait de lui. Visage incliné vers le sol, il la regardait par en-dessous, comme un enfant quémandant une faveur.

- Je veux dire, ne quittez pas Beynac. Précisa-t-il en jetant, malgré lui, un regard en direction des deux sacs entreposés dans un coin. Enfin, pas à cause de moi. J'ai conscience d'avoir été un parfait connard et, si je ne peux pas vous promettre de ne plus l'être, je peux au moins faire en sorte de rester dans mon coin et d'essayer de faire quelques efforts quand nous serons amené à nous croiser... Mais ne partez pas.

- D'accord.

Elle ne sut rien dire de plus, rien ajouter. Elle n'avait plus envie de partir, de toute manière, pas après ce soir. Elle n'aurait su l'expliquer, mais les faits étaient là : elle était dans l'incapacité de se projeter ailleurs qu'ici. Rien n'était réglé pour autant, elle ne comprenait toujours pas les deux tiers des trucs bizarres qui se produisaient lorsqu'ils étaient ensembles, mais peut-être que son rôle était justement de découvrir le comment du pourquoi. Et pour cela, elle devait rester, si ce n'est ici au moins auprès de lui. Ou pas trop loin. Ça sonnait comme une excuse, mais, pour l'instant, son cerveau semblait s'en satisfaire. Et le danseur également. Après l'avoir contemplé avec surprise, certainement due à la rapidité avec laquelle elle s'était rendue sans se battre, il hocha la tête et pivota sur ses talons en direction de cette porte cachée, dans le mur près de la cheminée, contre laquelle elle avait entreposé bureau et buffet en chêne massif. On est jamais trop prudent. Alors qu'elle s'était épuisée pendant une bonne demie heure pour bouger ne serait-ce qu'un seul de ces deux meubles, il ne lui fallu que quelques secondes pour déloger le tout et ouvrir la porte communiquant entre les deux parties de la bâtisse.

nāphîlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant