II. 28.

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Lorsqu'elle revint, il croisa son regard. Un regard qu'elle ne lui offrit qu'une petite seconde avant qu'elle ne se dérobe, baissant la tête et s'empressant de fuir vers ses fourneaux. Était-ce de la gêne qu'il avait pu y déceler ? Ou autre chose ? Il n'était pas censé assister à ça, cette scène de l'intime d'une famille au bord de l'implosion, cette scène qu'elle aurait certainement préféré lui épargner, qu'elle aurait préféré garder pour elle, ne surtout pas partager. Pas même avec "un" ami. Immobile, silencieux, il l'observa servir un café à son cousin, puis placer deux autres tasses vides et la cafetière sur la table. Attendaient-ils encore du monde ? Une minute fila sans qu'elle ne prenne la parole, se contentant de laisser les deux autres emplirent l'espace sonore tandis qu'elle s'affairait seule sans que ça ne semble déranger aucun des deux autres. Était-elle toujours la seule à cuisiner et servir ? Une autre minute s'écoula encore, mettant sa patience à mal, et alors qu'il s'apprêtait à quitter la table pour lui prêter main forte et espérer croiser ce regard qu'elle lui refusait toujours, un nouvel arrivant fit son apparition, saluant les deux garçons d'une tape, chacun, sur l'épaule, et la jeune femme d'une bise sur la joue qu'elle lui tendait. Un homme pressé, bien habillé, bien coiffé, à peine plus âgé que les autres, mais tellement plus... responsable ? Astrée lui désigna la tasse vide qui l'attendait sur la table, et ce ne fut qu'en se dirigeant vers sa place, qu'il remarqua la présence inconnue, la sienne.

- Tu es le danseur, je suppose.

Un sourire aimable aux lèvres, il tendait sa main par-dessus la table. Une main que Syssoï accepta de serrer tout en lançant un regard d'incompréhension en direction de la jeune femme. Elle voulait bien lui expliquer qui c'était et surtout comment il connaissait son existence ? Puisqu'elle ne répondait pas, ce fut au nouvel arrivant de reprendre :

- Tic et Tac m'ont beaucoup parlé de toi... et de Charlotte, et de Pierre...

Tic et Tac ? Pâris et Benjamin, visiblement.

- Et à ta tête je constate que la réciproque n'est pas vraie, et qu'aucun des deux n'a évoqué mon existence. Je suis Simon, le frère aîné de Benjamin, et le seul adulte de cette famille.

- Et moi ? Tu m'oublies ? Rétorqua Astrée en lui apportant une assiette d'œufs brouillés.

- Malheureusement, ta croissance s'étant stoppée d'elle-même durant l'année de ton douzième anniversaire...

- Il est jaloux parce que le titre de Baronne me revient de droit, alors que techniquement, avec ses deux années de plus que moi, il est l'aîné de notre génération. Lui expliqua-t-elle en lui cédant, à nouveau, son regard. Tu voudras une assiette aussi ? 

- Ce que je voudrais c'est que tu te poses cinq minutes pour avaler quelque chose, au lieu de courir partout pour servir des individus possédant autant de jambes et de bras que toi.

C'était sortit tout seul, malheureusement. Voilà de longues minutes qu'il retenait cette réflexion jugeant que son statut d'invité l'empêchait de se la jouer moralisateur. Mais elle seule comptait, il devait bien l'admettre, et la façon dont elle était traitée ici, par sa propre famille, avait fini par avoir raison de lui. Sa remarque avait jeté un froid, les conversations avaient cessées, et tous les regards convergeaient sur lui, désormais. Avait-il été trop loin ?

- Putain, c'est la phrase la plus longue qui soit jamais sortie de sa bouche ! S'exclama, bientôt, Pâris, le détrompant, de ce fait, sur l'interprétation qu'il avait fait de ces regards.

La surprise qu'il y avait lu n'était pas du à sa remarque, mais simplement au fait qu'il ait parlé, et parlé longuement.

- J'crois bien que c'est la première fois que j'entends le son de sa voix. Merde, j'suis ému ! S'extasiait l'un.

nāphîlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant