I. 51.

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Elle avait pris la fuite, jusque tard. Dans un premier temps, elle avait cherché à fuir un frère et un cousin qui n'auraient eu de cesse de lui rebattre les oreilles avec cette histoire de voiture sabotée, mais dans un deuxième temps, c'était essentiellement lui qu'elle avait cherché à éviter. De peur qu'il ne l'évite lui, de manière bien trop ostentatoire. Elle préférait être l'instigatrice de la prise de distance que de devoir la subir. C'était moins dur à supporter. Petit jeu de dupe pour son cerveau qui ne l'était pas, dupe. Mais, après tout, tant qu'elle ne le voyait pas faire, qu'elle ne subissait pas concrètement sa froideur et sa distance, alors elle pouvait encore prétendre que ça n'existait pas, et que si elle rentrait maintenant, tout de suite, il l'y attendrait, l'y accueillerait avec un grand sourire. Peu probable, le sourire n'étant clairement pas une fonction première chez lui, mais qu'importe, c'était bien plus tolérable ainsi.

Elle avait cherché Jeanne, en vain. Elle avait des questions à lui poser, des éclaircissements à quémander, mais la vieille femme n'avait pas ouvert sa Poste de toute la journée. Est-ce qu'elle aussi, cherchait à éviter la petite baronne ? Aurait-elle fait une entorse à son professionnalisme légendaire juste pour ne pas prendre le risque de la voir, elle, débouler dans sa toute petite agence postale de province ? Astrée n'était pas suffisamment égocentrée pour l'envisager, cela dit, Jeanne demeurait introuvable. Alors, la jeune femme tua le temps en allant visiter le château, fourmillant de touristes en cette période. Il était nettement moins impressionnant que celui de Castelnaud, mais au moins, celui-ci ne lui évoquait pas la mort. Seulement la vie, les vies de tous ses ancêtres.

Sur la promenade, elle avait croisé le Capitaine, bien décidé à lui parler, lui aussi, du fameux tournoi qui se profilait. Pourquoi tenaient-ils tous tant à ce que la baronnie participe ? Ces temps-là étaient révolus depuis plusieurs siècles, cela n'avait aucun sens de s'y raccrocher de la sorte. Plus aucun Beynac ne vivait dans la région depuis son arrière-grand-père. Et encore, même ce dernier avait partagé son temps entre la terre de ses ancêtres et la capitale. Son propre grand-père avait passé son enfance écartelé entre deux régions, le nord et le sud. Et que dire de son arrière-arrière-grand-père, certes résident à temps plein de Beynac, mais dont l'occupation première avait été ses champs, ses plantations, son agriculture et ses bêtes. Pas très seigneurial, tout ça. Non, vraiment, la fascination de ces gens envers un titre qui n'avait plus aucun sens depuis bien des siècles, lui échappait totalement.

Finalement, à la nuit tombée, après avoir disparu tout le jour, elle avait rejoint ce lit que son frère occupait déjà, et rompue de fatigue s'était autorisée à l'inaction en s'allongeant à son côté. Sauf que le sommeil n'était pas venu immédiatement, et que son esprit en avait profité pour cavaler. Et plus il lui échappait, plus elle peinait à rejoindre Morphée. Un véritable cercle vicieux des plus énervants. Les doux ronflements provenant de sa gauche ne l'aidant, bien évidemment pas. Son salut, elle le trouva dans ces éclats de voix lui parvenant par-delà la porte fenêtre ouverte sur la cour. N'ayant pas la moindre idée de l'heure, elle récupéra son téléphone pour s'en informer, et constater qu'il était excessivement tard. Voire excessivement tôt, en réalité. La voix féminine était facilement reconnaissable. Mais à qui parlait-elle ? Ou plutôt après qui en avait-elle ? Deux portières avaient claqué, elle ne pouvait donc être seule, mais si Charlotte ne semblait se soucier ni de l'heure, ni de l'endroit, son interlocuteur, quant à lui, chuchotait en retour.

Astrée n'entendait que des mots décousus, échappés ici et là, ne formant aucune phrase réellement identifiable. « Mais... Marre... Tu... Nan... Déteste... Je... » et puis un râle. Un insupportable râle d'exaspération. Alors, elle se leva, quittant le lit au profit du parquet que ses pieds foulèrent jusqu'à la porte fenêtre. D'ici, elle espérait mieux discerner la conversation qui se tenait presque sous ses fenêtres. Ce n'était pas de l'indiscrétion puisque la blonde ne semblait pas faire grand cas du fait qu'on l'entende ou non. « Lâche-moi, je n'suis pas ivre ! » scandait, d'ailleurs, cette dernière. Pourtant, clairement, elle l'était. Voix malhabile, mots à moitié avalés, même l'écho de ses pas sonnait comme dissonant. Dos au mur, Astrée tendait l'oreille sans se faire voir. Elle aurait dû fermer la fenêtre, et retourner s'allonger, mais c'était plus fort qu'elle, elle avait besoin de savoir qui était la personne en compagnie de Charlotte. Et si c'était lui ?

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